Mamadou Keita: « la société française m’a accepté mais l’administration m’a rejeté »


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Le Mali a refusé, fin novembre, de signer avec la France l’accord sur l’« immigration concertée » facilitant les reconduites à la frontière. Ce pays qui compte près de 100 000 ressortissants dans l’Hexagone, devient ainsi le seul d’Afrique subsaharienne à dire non à la politique française de gestion des flux migratoires. Près de 40 Maliens sont reconduits à la frontière tous les mois, selon l’Association Malienne des expulsés (AME). Cette association dénonce les pressions de la France sur le gouvernement malien. Afrik.com a rencontré, à Bamako, son secrétaire général, Mamadou Keita, lui même expulsé de France. Il raconte sa vie d’expulsé et son action au sein de l’AME.

Il parle avec un accent parisien. Les habitants de son quartier l’appellent le Français car de ses quatorze ans passés dans l’Hexagone, il a gardé des habitudes de vie occidentale. Depuis trois ans maintenant, Mamadou Keita a commencé une nouvelle vie à Bamako. Une nouvelle vie qu’il consacre notamment à l’association malienne des expulsés (AME) qu’il a rejoint en 2006. Tous les soirs, à l’aéroport de Bamako, il accueille deux à trois expulsés du territoire français. Et au nom de son association, il tente de leur apporter son soutien moral et leur propose un logement d’urgence au siège de l’association. « La grande majorité des expulsés n’ont pas de famille directe à Bamako, parce qu’à la base ce sont des ruraux », explique-t-il.

Lors de son retour, en 2005, seules l’incertitude et la honte l’attendaient. La honte parce que, « pour les gens ici, être expulsé signifie qu’on est un délinquant. Parfois on est même rejeté par nos familles.» Cela arrive souvent quand, pendant leur séjour à l’étranger, les expulsés «n’envoient rien aux leurs», explique M. Keita. Chaque année, les Maliens installés en France rapatrient environ 120 milliards de francs CFA, soit 183 millions d’euros. Ce qui fait d’eux des acteurs de poids dans le développement de leur pays.

Mamadou Keita, lui, affirme n’avoir pas été rejeté par sa famille. «J’envoyais régulièrement de l’argent et j’ai construit des chambres au village», indique-t-il. Mais il a tout de même ressenti qu’il a perdu l’estime qu’il avait aux yeux de ses proches. «Parce que, dit-il, ils savent que je ne pourrai plus leur donner ce que je leur donnais auparavant». Mamadou Keita a pensé, un temps, au suicide. Son rêve, celui de construire sa famille et d’éduquer ses enfants en France s’est envolé. Tous les biens qu’il a acquis pendant de longues et dures années de vie dans l’Hexagone, perdus. Tout était à recommencer alors qu’il avait presque atteint son objectif.

Occupant de l’Eglise Saint-Bernard

Septembre 1991, Mamadou Keita débarque à Paris en provenance de Bruxelles avec un visa touristique valable pour trois mois. Il avait, selon ses propres termes, bénéficié des services d’un réseau « mafieux » contre un peu plus d’un millions de Francs CFA (près de 2000 euros). Somme qu’il avait réunie en allant travailler en Côte d’Ivoire. A Paris, il connaîtra la « galère » des débuts, des nuits glaciales sur les tables de la cantine du célèbre foyer malien de la rue Bara (Montreuil). Il trouve ensuite de petits boulots grâce à de faux papiers. En aout 1996, il fait partie des occupants de l’Eglise Saint-Bernard, est arrêté, jugé, condamné à dix ans d’interdiction du sol français et emprisonné pendant près d’un mois. N’ayant fourni ni sa nationalité, ni son passeport, Mamadou Keita n’est pas expulsé.

C’est là, pour le gouvernement français, tout l’enjeu de l’accord d’immigration concertée qu’il propose au Mali et aux autres Etats d’Afrique subsaharienne. La France demande à ces pays de délivrer un laisser passer aux personnes refusant de donner leur nationalité, afin de permettre leur rapatriement. Actuellement, seulement 30% des Maliens placés en détention provisoire obtiennent le ticket signant leur retour dans leur pays. Paris souhaiterait que cette chiffre passe à 60 %.

Non expulsable, Mamadou Keita est donc libéré. Il est interdit du territoire français, mais pas reconduit à la frontière. Le jeune Malien reprend tout naturellement ses activités. « A l’époque, je n’avais pas compris que je devais quitter la France, raconte-t-il, puisque j’ai été libéré devant la prison. Pour moi, c’était réglé. » Il travaille alors successivement dans le prêt à porter avec les Chinois, dans l’animation de fête pour enfants puis, en 2000, il suit une formation de six mois en restauration et trouve un travail dans ce domaine. « Je n’avais pas de problème avec la police, je payais tous mes impôts et cotisations, mon loyer (567 euros pour un HLM à Courbevoie», affirme-t-il.

En 2003, Mamadou Keita, cuisinier dans un restaurant chic sur les champs Elysée, tente de régulariser sa situation. « A la préfecture, les agents étaient surpris, car j’avais toutes les preuves d’une bonne condition de vie depuis plusieurs années alors que j’étais frappé par une interdiction du territoire de dix ans », raconte-t-il. La préfecture lui délivre tout de même un récépissé renouvelable tous les trois mois en attendant d’étudier son dossier.

«Vous allez être reconduit à la frontière»

Ce récépissé lui sera renouvelé pendant quatorze mois. La certitude d’avoir enfin le précieux sésame qui lui permettra d’être en règle fini par gagner Mamadou Keita. Elle se dissipe très vite. Le 22 mars 2005, avant de se rendre à son travail, il fait un détour à la préfecture pour demander un renouvellement son récépissé et s’informer sur l’état d’avancement de son dossier. Il n’arrivera jamais au restaurant.

«Vis-à-vis de la loi, vous ne devriez même pas venir à la préfecture demander une régularisation de votre situation, parce que vous êtes interdit du sol français », lui avait déclaré l’agent de la préfecture charge de son dossier. « Vous allez donc être reconduit à la frontière car votre dossier a été rejeté et vous n’avez pas fait de recours.» Mamadou Keita tombe des nues. Son avocat avait reçu le courrier notifiant le rejet de sa demande mais a oublié de l’en informer. Arrêté, il est placé dans un centre de détention provisoire pendant 29 jours avant d’être expulsé en avril 2005.

« J’ai la haine envers l’Etat Français, c’est clair et net, lance Mamadou Keita. La société m’a accepté, j’avais des amis partout, j’ai tout fait pour m’intégrer, j’ai appris le français, un métier, j’avais un travail mais l’administration m’a rejeté». Aujourd’hui, il se félicite du rejet par le Mali de la politique française de «l’immigration concertée». Une politique qu’il juge absurde. «Ils veulent que le Mali leur envoie de la main d’œuvre dans certaines professions, or les Maliens sur place ont acquis des compétences dans ces mêmes secteurs.»

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