Madagascar les dessous de la crise


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L’imbroglio politique se poursuit à Madagascar. Après la tentative de retour avortée de Marc Ravalomanana samedi, les autorités du pays et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) tentent de sauver le processus de transition. Pourtant la feuille de route signée le 17 septembre par la SADC autorise l’ex-chef d’Etat, exilé en Afrique du Sud après avoir été renversé le 17 mars 2009 par Andry Rajoelina et l’armée, à rentrer. Ce coup d’Etat a mis à mal le pays, provoquant l’effondrement de l’économie. Plus de 70% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Retour sur les origines d’une crise.

Madagascar dans l’impasse. Les espoirs des milliers de sympathisants de Marc Ravalomanana qui l’attendaient à l’aéroport sont bien vite retombés. L’avion du président renversé en mars 2009 par l’actuel dirigeant de transition, Andry Rajoelina soutenu par l’armée, n’a pu atterrir à Antananarivo, la capitale malgache. Les autorités du pays l’ont sommé de retourner à Johannesburg, en Afrique du Sud, où il est exilé depuis le reversement de son régime. Les démêlés judiciaires de l’ex-président seraient à l’origine de son refoulement. Marc Ravalomanana a été condamné par la justice malgache à la réclusion à perpétuité et à des travaux forcés pour le meurtre de manifestants lors de la révolte populaire en février 2009 avant son éviction du pouvoir.

Pourtant la feuille de route, signée le 17 septembre par la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), et qui prévoit de sortir le pays de la crise politique, autorise « un retour sans condition » de l’ancien président. Le texte indique que la transition doit toujours être dirigée par Andry Rajoelina avec des institutions élargies aux trois mouvances d’opposition qui siègent au Parlement, dont celle de l’ex-président. La mouvance de ce dernier a suspendue sa participation aux institutions de transition, alors qu’une nouvelle session du Parlement s’est ouverte lundi pour reprendre l’examen d’une loi sur la commission électorale indépendante. Cette situation cacophonique met en péril le processus de sortie de crise et peut faire voler en éclat la transition qui repose sur l’alliance de parties opposées.

Des négociations pour le retour de Ravalomanana

Désormais, les autorités sud-africaines, sous l’égide de la SADC, négocient un processus d’amnistie pour permettre à l’ancien chef d’Etat de rentrer dans des conditions sûres, rapporte L’Express de Madagascar. Néanmoins le vice-ministre sud-africain, Marius Fransman, estime que la tentative de retour de Marc Ravalomanana était prématurée. Selon lui, l’ancien chef d’Etat porte autant la responsabilité de cette nouvelle crise que son rival Andry Rajoelina. C’est « malheureux et irresponsable » de la part de Marc Ravalomanana d’avoir tenté de rentrer et l’attitude d’Andry Rajoelina lorsqu’il évoque son arrestation est « irresponsable » aussi.

Pour Marc Ravalomanana, l’interdiction de revenir à Madagascar est la preuve que les autorités de transition ne respectent pas la feuille de route. Mais l’article 20 de la feuille de route autorisant le retour du président pose problème. Une annexe y a été ajoutée indiquant que la justice malgache est souveraine, et que la SADC ne peut « annuler quelque condamnation judiciaire » ni déterminer les lois d’amnistie. Selon Marius Fransman tout le nœud du problème réside dans cet article « L’article 20 dit clairement que tous les politiques en exil, y compris l’ancien président Ravalomanana doivent rentrer sans condition. Il y a toutefois une loi et des tribunaux dans le pays et monsieur Ravalomanana a été jugé. Comment concilier ça ? », a-t-il expliqué à RFI. Mais Annick Rajaona, chargée des relations internationales auprès du président Rajoelina, a rappelé dans un communiqué que la feuille de route n’implique pas une « exonération des poursuites judiciaires. La feuille de route stipule le refus en tout cas de l’impunité, exercice de séparation de pouvoir dans la justice et aussi la souveraineté nationale. C’est très clair ».

De fidèles partisans

En clair, le régime de transition accepte le retour de Marc Ravalomanana dans le pays à condition que ce dernier soit prêt à se livrer à la justice. Le pouvoir en place a sans doute opté pour le refus de son retour plutôt que de provoquer la colère de ses partisans.

Marc Ravalomanana compte toujours de nombreux sympathisants. Tous les samedis des milliers de personnes se rassemblent sur les ruines du centre commercial, le Magro, qui appartenait à l’ancien chef d’Etat, pour attendre son retour, rapporte AfrikTV. Ils sont nombreux à regretter l’époque glorieuse de l’ex-dirigeant, qu’ils surnomment « dada », qui veut dire papa en malgache. Guy Maxime Ralaiseheno, Président de l’association des Maires de Madagascar, ne manque pas de vanter ses mérites. Selon lui, il « a changé le pays durant ses sept années de présidence. Les Malgaches réclament son retour !» Pour Jeanine Louisa Ravalomanana, mère au foyer, « Marc Ravalomanana a développé l’éducation permettant à des milliers de Malgaches de s’instruire ».

Deux opposants similaires

Le bras de fer entre Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana ne date pas d’aujourd’hui. Tout semble opposer les deux hommes, pourtant leurs parcours sont similaires. Tous deux ont été maire d’Antananarivo avant d’accéder à la direction du pays. Marc Ravalomanana s’est emparé de la Mairie de la capitale avant d’avoir été élu pour la première fois président en 2002; son rival est devenu Maire en 2007 avant d’être nommé en mars 2009 chef de la Haute autorité de transition. Protestants et issus de l’ethnie Merina, ils sont de redoutables hommes d’affaires. Avant même d’accéder au pouvoir Marc Ravalomanana dirigeait sa société agroalimentaire, Tiko. Quant à Andry Rajoelina, il est toujours à la tête d’un groupe de médias, Vivatv, qui comprend aussi une radio.

La crise politique actuelle se profilait déjà aux portes du pays bien avant le coup d’Etat de mars 2009. Réélu pour un second mandat de cinq ans, le 3 décembre 2006, Marc Ravalomanana a multiplié les erreurs, nourrissant la déception du peuple. Son régime est désigné comme autocratique. La mainmise du chef d’Etat sur l’économie est pointée du doigt. L’opposition lui reproche notamment de s’accorder des allègements fiscaux en supprimant les droits de douanes sur des produits importés par sa société Tiko, ou bien en s’accaparant un groupe de BTP, un réseau de supermarchés, et une chaîne de télévision… Il est accusé de dérive autoritaire depuis un référendum qui, en 2007, lui a accordé la possibilité de gouverner par ordonnance « en cas d’urgence ou de catastrophe ».

Les années noires de Ravalomanana

L’éclatement successif de plusieurs affaires a mis en péril l’image du président. L’achat d’un jet privé, un Boeing 737, à 60 millions de dollars fait monter la colère des Malgaches. En novembre 2009, le quotidien britannique, The Financial Times, révèle que le chef d’Etat a vendu des terres arables d’une superficie de 1 million 300 000 hectares à la société sud-coréenne Daewoo pour une durée de 99 ans afin d’y cultiver du maïs et des palmiers à huile à destination de Séoul. Une situation qui a provoqué un « ras le bol général », selon Jean-Michel Wachsberger, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), cité par Mediapart.

En mauvaise posture, la côte de popularité de Marc Ravalomanana est tombée au plus bas. Une situation qui a profité à Andry Rajoelina. Tout commence le 13 décembre 2008: Viva TV, la télévision d’Andry Rajoelina, diffuse une interview de l’ancien président Didier Ratsiraka, très critique envers le régime de Marc Ravalomanana. Ce dernier ordonne la fermeture de la télévision privée qui a diffusé cet entretien, susceptible de « troubler l’ordre et la sécurité publique ». Andry Rajoelina riposte et donne un ultimatum au pouvoir en place qui a jusqu’au 13 janvier pour réouvrir sa chaîne de télévision. Mais en vain. Le quotidien Madagascar Tribune souligne que, malgré la présence de ses partisans pour protéger les locaux de Viva TV, les autorités ont « démantelé son émetteur et lui ont retiré sa licence d’exploitation ». Une situation qui a mis le feu aux poudres et déclencher la crise politique.

Une démission forcée ?

Andry Rajoelina appelle le 24 janvier à une grève générale sur la place du 13 mai, lieu symbolique de la contestation à Madagascar, pour lutter contre la « dictature du président qui n’écoute plus personne ». Il se fait alors porte-parole de la contestation civile. Un appel suivi par des dizaines de milliers de personnes qui se rassemblent dans le centre d’Antananarivo. Des émeutes et des pillages éclatent dans la capitale faisant une trentaine de morts en deux jours. La confusion règne à nouveau dans le pays lorsque, le 7 février une trentaine de manifestants sont abattus devant le Palais présidentiel. Marc Ravalomanana est alors accusé par son opposant d’avoir donné l’ordre de tirer sur les protestataires. Des accusations qu’il a toujours réfutées. Lâché par l’armée, il annonce sa démission, le 17 mars 2009. Andry Rajoelina est nommé quelques heures plus tard président de la Haute Autorité de la transition. Mais le chef d’Etat déchu dit avoir été contraint de transmettre les pouvoirs sous la menace des militaires. Une version contestée par le camp opposé.

Une économie morose

En tous cas, le coup d’Etat a plongé Madagascar dans un gouffre. Plusieurs programmes d’aides des bailleurs de fonds, notamment le Fonds monétaire international et la banque mondiale, ont été supprimés. Ces sanctions à l’égard du pays ont ébranlées l’économie malgache, entrainant une paupérisation de la population. En mars 2010, l’ONU a estimé que près de 70% des Malgaches vivaient en dessous du seuil de pauvreté.

De son côté, Andry Rajoelina, qui mène toujours sa quête pour légitimer son pouvoir, tente d’obtenir le soutien de la communauté internationale. Cette dernière reconnait l’homme fort du pays comme le président de la Haute autorité de transition mais exige l’organisation d’une élection présidentielle libre, transparente, et démocratique pour reconnaître officiellement le régime malgache. Le scrutin est prévu pour mai 2012.

Si la communauté internationale reste réservée face au régime de transition, la France, elle, s’est démarquée en lui tendant la main. Andry Rajoelina a été reçu le 7 décembre dernier à l’Elysée par le président Nicolas Sarkozy. Pourtant le président français avait adopté une toute autre position en mars 2009, s’insurgeant contre l’éviction de Marc Ravalomanana : «J’observe qu’il est renversé sans aucune élection. J’observe que la première décision c’est la suppression du Parlement, ce qui n’est quand même pas un signe extrêmement positif». Malgré tout, le dirigeant du régime de transition n’est pas reparti les mains vides lors de sa rencontre avec le président français. Il a signé avec le ministre français de la Coopération, Henri de Raincourt, un accord pour des subventions de dix millions d’euros par le biais de l’Agence française de développement.

En attendant la sortie de crise, les Malgaches sont les premiers à pâtir de l’instabilité politique qui mine leur pays depuis plus de dix ans. Une population à bout de souffle n’est jamais à l’abri d’une nouvelle révolte.

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