Les Tunisiennes libres d’épouser qui elles veulent


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La présidence tunisienne a annoncé jeudi 14 septembre l’abrogation de la circulaire de 1973 et des différents textes associés qui interdisaient jusqu’ici aux Tunisiennes de se marier avec un non musulman.

« Une immense victoire du mouvement féministe?! ». Monia Ben Jemia, juriste et présidente de l’association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) ne boude pas son plaisir. Un des grands combats de l’association depuis sa création en 1989 vient enfin d’aboutir. Les femmes tunisiennes peuvent dorénavant épouser un non-musulman.

Saïda Garrach, porte-parole de la présidence de la République, également grande militante féministe, a annoncé jeudi 17 septembre que « tous les textes liés à l’interdiction du mariage de la Tunisienne avec un étranger, à savoir la circulaire de 1973 et tous les textes semblables, ont été annulés ». « Félicitations aux femmes de Tunisie pour la consécration du droit à la liberté de choisir son conjoint » a-t-elle écrit sur sa page Facebook.

À l’occasion de la fête de la femme le 13 août dernier qui commémore le code du statut personnel de 1956 jugé très avant-gardiste dans le monde arabo-musulman, le président Beji Caïd Essebsi s’était engagé à ce que ces textes soient abrogés par le gouvernement et que la Tunisie avance vers l’égalité hommes femmes en matière d’héritage. Il faisait ainsi écho à la vaste campagne lancée par le collectif pour les libertés individuelles créé par une trentaine d’associations, dont l’ATFD, début 2016.

En vertu de la circulaire de 1973, une Tunisienne musulmane ne pouvait épouser un non-musulman que si celui-ci fournissait un certificat de conversion à l’islam et les mariages célébrés à l’étranger avec un non musulman ne pouvaient être reconnus par la Tunisie. Alors qu’un Tunisien pouvait, lui, librement épouser une non musulmane.

Ces « mesures discriminatoires sont contraires à la constitution » et sont « une violation du droit fondamental de tout être humain à choisir son conjoint », avait fait valoir le collectif pour les libertés individuelles. « Elles sont contraires à la convention des Nations Unies sur le consentement au mariage, et à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes que la Tunisie a ratifiées », complète Monia Ben Jamia.

« Ces mariages étaient de fait quasi inexistant avant 1973 tant ils étaient socialement mal vus, rappelle Monia Ben Jamia. C’est dans un contexte de réislamisation de la Tunisie pour couper l’herbe sous le pied des islamistes qu’avait été adoptée cette circulaire en 1973 ».

Si la Tunisie est le pays musulman qui a le plus sécularisé son droit, son code de la famille n’évoque pas cette question du mariage entre musulman et non-musulman. « Alors que la législation des autres États de droit musulman traite de ces questions en les interdisant, le droit tunisien est silencieux et laisse ces questions au pouvoir d’interprétation du juge », expliquait Hamdan Nadafi dans sa thèse de 2013 sur « la liberté de religion dans les États de droit musulman ».

L’islam a alors servi de référence pour combler le silence du législateur analyse Hamdan Nadafi. Il cite ainsi un arrêt de la Cour de cassation de juin 1973 : «Attendu qu’il est incontestable que la femme musulmane qui épouse un non-musulman commet un pêché impardonnable que la loi islamique tient un tel mariage pour nul et non avenu».

Ces unions se sont multipliées ces dernières années. « Nous ne disposons pas de statistiques, mais ces mariages sont très courants notamment parmi la deuxième génération des Tunisiens nés en France ou ailleurs à l’étranger et il y a beaucoup de plaintes de femmes franco-tunisiennes, poursuit la juriste. Parce que leur mariage célébré en France n’est pas reconnu en Tunisie, elles ne peuvent même pas venir en vacances et prendre une chambre d’hôtel ?! ». Il y aura forcément des résistances, selon la juriste qui rappelle que le syndicat des notaires avait réagi négativement à l’annonce du président. tout en affichant son optimisme ?: «Il faudra bien que la loi s’applique ».

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