Les hôtels Accor misent sur la clientèle africaine en Afrique


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Olga Ahouansou

Novotel, Sofitel, Mercure et Ibis sont des enseignes hôtelières, du groupe Accor, qui font partie du paysage de nombreuses capitales africaines. Quels sont les rouages de ces établissements ? A quelles réalités sont-ils confrontés ? Olga Ahouansou, responsable régionale des ventes en Afrique nous plonge au cœur du système et du projet d’entreprise. C’est sans langue de bois qu’elle s’est prêtée, avec Afrik.com, au jeu des questions-réponses pour aborder même les thèmes les plus délicats.

Les hôtels Accor en Afrique vus de l’intérieur. Forte d’un réseau d’une soixantaine d’établissements sur le continent, la branche Accor Afrique affiche une gamme constituée de Sofitel, de Novotel, d’hôtels Mercure, d’Ibis et de Formule Un (ces derniers représentent la moitié de l’offre totale et restent uniquement concentrés sur l’Afrique du Sud). Avec la recrudescence de la clientèle africaine, le groupe français a dû repenser son offre pour proposer des produits plus adaptés. Olga Ahouansou, responsable régionale des ventes[[<*>Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Gabon, Ghana, Guinée Equatoriale, Mali, Nigeria, Tchad et Togo.]], nous explique comment les enseignes se fondent aujourd’hui dans le paysage africain. Rapports parfois délicats avec les autorités, l’activité dans les pays en crise, le problème de la prostitution, elle répond sans ambages à toutes nos questions et nous aide à mieux saisir certaines réalités de terrain.

Afrik.com : En quoi consiste exactement votre travail ?

Olga Ahouansou :
On peut résumer ma fonction en tant qu’animatrice des commerciaux de ma zone. A l’ouverture d’un hôtel, je m’occupe du recrutement, j’assure la formation et la mise en place des commerciaux. Je m’occupe également d’animer et de mettre en place les nouveaux programmes… Mon objectif est d’harmoniser les compétences de l’ensemble de nos commerciaux, et d’arriver, à terme, à ce qu’un commercial en Afrique puisse être à même de travailler n’importe où ailleurs.

Afrik.com : Quelle est la structure de votre clientèle ?

Olga Ahouansou :
Sur le périmètre sur lequel j’ai compétence, nous avons en gros 50% de nos clients qui viennent d’Europe – dont la moitié de France (à l’exception du Nigeria et du Ghana, où les Britanniques sont majoritaires) -, 40% viennent d’Afrique et 10% des autres continents.

Afrik.com : Les grands hôtels ont souvent, en Afrique, des rapports tendus avec les autorités pour des questions d’ardoises impayées. Etes-vous confrontés à ce type de problème ?

Olga Ahouansou :
Il y a plusieurs cas de figures. Nous avons des hôtels où nous sommes propriétaires, d’autres où nous sommes locataires et d’autres pour lesquels nous avons des mandats de gestion. Nos relations avec l’Etat sont différentes suivant la situation. Il n’y a aucun problème quand nous sommes propriétaires ou locataires. En revanche la situation est plus difficile quand nous sommes chargés de gérer des hôtels d’Etat. Elle peut devenir très compliquée car la majeure partie des Etats africains n’est pas solvable. Nous avons récupéré des hôtels où l’Etat devait plusieurs milliards de F CFA à la société gestionnaire. Nous avons dû trouver des arrangements au moment des privatisations. Maintenant nous expliquons que nous sommes un groupe avec des procédures très strictes. Donc nous exigeons un prépaiement ou des garanties avant d’accepter certaines manifestations.

Afrik.com : Et cela suffit pour arriver à gérer les conflits ?

Olga Ahouansou :
En général, nous essayons de ne pas entrer en conflit avec les autorités. Ce n’est pas facile du tout. Je demande aux commerciaux de se cantonner aux procédures. S’ils sont dépassés par les événements, la décision d’accepter ou non une manifestation relève alors de la responsabilité du directeur. Sachant qu’il peut parfois y avoir des conséquences politiques. Au pire on donnera 24 heures au directeur de l’hôtel, qui est souvent un expatrié, pour faire ses valises. Et c’est déjà arrivé.

Afrik.com : Les capitales africaines ont souvent de nombreux hôtels de luxe. D’où vient cette stratégie ?

Olga Ahouansou :
Les hôtels de luxe sont des signes extérieurs de réussite pour les autorités. Ils témoignent d’un certain standing du pays et de la capitale. S’il y avait, par exemple, quatre ou cinq hôtels cinq étoiles à Lomé, c’est parque que les autorités togolaises souhaitaient que la capitale accueille le siège de l’Organisation de l’Union Africaine. Or le marché n’était pas en mesure d’absorber une telle offre. Alors ce sont des établissements qui fonctionnaient à perte.

Afrik.com : A côté des hôtels de luxe, sur quel type d’établissements mise, pour sa part, le groupe Accor ?

Olga Ahouansou :
Le produit avec lequel nous voulons désormais nous développer en Afrique est l’hôtel Ibis. Les Ibis sont des établissements deux étoiles dont la nuitée est aux alentours de 35 ou 40 000 F CFA. Nous comptons en implanter dans tous les pays où nous sommes installés pour élargir notre gamme. L’offre correspond à des chefs de petites et moyennes entreprises ou petites et moyennes industries, qui n’ont pas 100 000 F CFA à mettre dans une nuit d’hôtel.

Afrik.com : Ce sont des hôtels pour une clientèle plus africaine ?

Olga Ahouansou :
Le pourcentage des Africains dans nos hôtels est passé à 40%. Ce qui n’était pas le cas il y a dix ans où nous étions à 20 ou 25%. Les voyages interafricains sont en train de se développer. Et il faut que l’on suive le mouvement et donc que nous proposions à cette clientèle africaine des produits adaptés.

Afrik.com : A côté de cette nouvelle donne socio-économique, les hôtels du groupe Accor s’adaptent-ils à l’environnement culturel dans lequel ils se trouvent ?

Olga Ahouansou :
Au début, le groupe Accor a reproduit le même cadre que les voyageurs internationaux, et en particulier français, connaissaient chez eux. Pour les rassurer quant à nos prestations. C’est ainsi qu’ont été initialement pensés les Novotel et les Sofitel. Le produit est tellement normé que la position du téléphone était standardisée. Avec notre projet d’entreprise, nous voulons désormais faire en sorte qu’à travers ces hôtels nous puissions mettre en relation les clients avec l’environnement et la culture du pays où ils se trouvent. Il y a des basiques qui sont incontournables, mais chaque directeur d’hôtel dispose d’une certaine latitude pour adapter le cadre de l’établissement à son environnement. C’est aussi une manière d’impliquer les équipes africaines pour qu’elles se réapproprient leur univers de travail.

Afrik.com : Comment cela se traduit-il concrètement ?

Olga Ahouansou :
Nous avons fait le parcours du client. Il commence par la réception. Au lieu d’acheter des uniformes standard de Novotel ou Sofitel, nous faisons travailler les stylistes africains. Au lieu de décorer les murs avec nos classiques lithographies nous achetons des œuvres africaines. Il en va de même pour la musique ou la lecture. Nous sommes, à ce titre, en train de développer des partenariats, notamment avec Présence africaine, L’Harmattan, Serpent à Plumes et Gallimard… Et nous travaillons avec les Centres culturels français et les Alliances Françaises (dans les pays anglophones, ndlr) pour sélectionner les différents artistes. Nous organisons également des expositions pour promouvoir la culture africaine à travers notre réseau d’hôtels.

Afrik.com : Pour ce qui est de la question du luxe en Afrique, quand on regarde les prix affichés sur vos cartes de menu, on peut voir des petits déjeuners à 7 000 F CFA. N’est-ce pas un peu immoral dans des pays africains souvent parmi les plus pauvres de la planète ?

Olga Ahouansou :
Nous avons des standards en terme de prestation. Nous sommes obligés de proposer au petit déjeuner : des céréales, un buffet de laitages, un peu de charcuterie… Après il y a des coûts, car beaucoup de produits sont importés. Ensuite nous nous devons d’être rentables. Ce qui donne un petit déjeuner à 7 000 F CFA. Soit à peu près le prix pratiqué en Europe.

Afrik.com : Peut-on trouver sur vos cartes du ndolé au Cameroun ou du maffé au Mali ?

Olga Ahouansou :
A côté des standards, il existe une marge de manœuvre pour proposer des plats locaux. C’est même une des normes des hôtels Mercure que d’être ancré dans leur région.

Afrik.com : Le groupe Accor met-il en place des actions de développement ou de mécénat au sein de son réseau d’hôtels ?

Olga Ahouansou :
Nous avons des projets en commun, comme la lutte contre le sida. Le groupe Accor fait partie du Conseil français des investisseurs en Afrique (le Cian est l’initiateur de l’association SIDA-Entreprises pour lutter contre la maladie sur le Continent, ndlr). Tout le monde est incité à organiser des réunions de sensibilisation, à former des pairs éducateurs, à proposer des dépistages gratuits et à faire de la prise en charge de trithérapie. Il existe par ailleurs un volet mécénat social dans notre projet d’entreprise. La gestion est laissée aux directeurs d’établissements. Nous avons un trophée, le trophée O’nomo, qui récompense le plus beau projet dans l’une des trois catégories : People– relatif au managment et aux ressources humaines -, Planète – l’environnement et la culture – et Profit. En 2003, ce sont les équipes de Côte d’Ivoire qui ont gagné pour la façon dont elles ont géré les crises de 1999 à 2003. Les employés ont accepté, pour préserver les emplois, qu’on réduise les salaires de 20%. Ils se sont aussi organisés pour mettre en place un système de navette afin d’aller chercher ceux qui étaient dans les quartiers les plus difficiles…

Afrik.com : Comment gérez-vous, justement, la situation actuelle en Côte d’Ivoire ?

Olga Ahouansou :
La situation est très difficile. Nous avons quatre hôtels dans le pays. Un Sofitel, un Novotel et deux Ibis. L’hôtellerie et un secteur très sensible à l’environnement socio-politique. Les hôtels tournent à des taux d’occupation autour de 10%.

Afrik.com : Donc vous perdez de l’argent ?

Olga Ahouansou :
Enormément. Nous en perdons de toutes les façons depuis 1999. D’autant que tous les établissements en Côte d’Ivoire sont des filiales à 100% du groupe.

Afrik.com : A l’inverse, quels sont les pays les plus dynamiques ?

Olga Ahouansou :
L’Afrique du Sud. Les résultats y sont impressionnants.

Afrik.com : L’Afrique du Sud est le seul pays africain où vous avez des Formule Un, soit des entrées de gamme très peu chers. Pourquoi ?

Olga Ahouansou :
L’Afrique du Sud est le seul pays, en dehors de la France, où l’on trouve des Formule Un. Nous en avons 27 et ça marche très bien. Pourquoi nous n’en avons pas ailleurs sur le continent ? Parce que c’est un produit très particulier. La nuit, il n’y a pas de réception. Tout se fait par carte de crédit. Et l’emploi de la carte de crédit n’est malheureusement pas développé dans le reste de l’Afrique.

Afrik.com : Les hôtels sont un des hauts lieux de la prostitution en Afrique. Comment faites-vous face au phénomène ?

Olga Ahouansou :
Nous avons reçu des recommandations très strictes par rapport au tourisme sexuel. Nous sommes chargés de les appliquer, mais cela reste compliqué. Quand nous avons ouvert le Sarakawa, nos clients nous demandaient qu’on les débarrasse des prostituées qui les harcelaient sans cesse. Il faut dire qu’il y en avait une derrière chaque cocotier du parc de l’hôtel… et il y en a 578 ! Première mesure : nous avons demandé aux gardiens d’interdire l’accès aux femmes qui ressemblent à des prostituées. Ce qui est extrêmement délicat. Nous avons eu droit à des incidents où nous avons récupéré des femmes en larmes qui avaient été assimilées à des filles de joie. Nous avons été obligés d’assouplir notre consigne en autorisant l’entrée, mais en interdisant le racolage. Les prostituées sont ainsi tolérées. D’autres établissements ont décidé de ne pas en faire entrer plus de cinq à la fois dans l’hôtel.

Afrik.com : Mais n’y a-il pas une demande de la part des clients?

Olga Ahouansou :
Le plus simple est que je livre, à titre d’exemple, ma propre expérience. Il m’est arrivé, quand je faisais mes stages, de travailler la nuit à la réception. J’avais fait l’arrivée d’un client africain. Une fois dans sa chambre, il a appelé la réception pour que je monte dans sa chambre ! Il ne voulait personne d’autre que moi… J’étais scandalisée. Mais il faut reconnaître que cette attitude est plus généralement symptomatique d’une véritable demande.

Afrik.com : Comment gérez-vous cette demande?

Olga Ahouansou :
Au départ j’étais totalement contre la prostitution. Mais je me suis rendue compte que les clients réclament et sont même exigeants. Nous sommes là au service du client. Même si cela ne fait pas vraiment partie de notre travail, il ne faut pas non plus jouer les hypocrites. Si un client veut louer les services d’une prostituée, le personnel lui en trouve une. De là à organiser un réseau de proxénétisme il y a une marge… Nous avons notre propre déontologie. Nous ne fournissons pas de chambres « garnies » et nous essayons de ne pas laisser se développer des réseaux.

Afrik.com : Essayez-vous de contenir la demande ?

Olga Ahouansou :
Notre marge de manœuvre est très limitée. Si un client arrive avec une prostituée, nous ne pouvons pas lui dire de ne pas monter dans sa chambre avec elle. Alors nous essayons simplement de prendre la carte d’identité de la femme qui l’accompagne. Mais ce n’est pas toujours évident parce que certains clients s’offusquent rapidement. Récupérer les cartes nous permet également de limiter l’accès des mineures.

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