Les dix leçons du remaniement ministériel de Paul Biya


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Après sa victoire à la dernière présidentielle, le président Biya, à travers les cadres de son parti, s’est comporté comme s’il voulait ouvrir son gouvernement à l’opposition camerounaise (caverne d’hommes et de femmes masqués), qui n’a aucune expérience de la gestion des affaires publiques. L’opposition de son côté, certes au milieu de voix discordantes, a fait comme si l’idée la répugnait.

Le président national du RDPC a donc choisi de ne pas s’ouvrir sur le néant. Couronner son brillant succès d’une mésalliance avec une opposition fantoche aurait été comme se planter volontairement une épine dans le pied.

La patience des pauvres Camerounais est-elle infinie ? Avec la prostitution ces derniers mois du mot « révolution », on s’était pris à rêver d’une révolution par remaniement ministériel, un chambardement, un véritable big-bang ! Le gouvernement du 09 décembre dernier s’inscrit comme de bien entendu dans la continuité et ne tend à rien moins qu’à préserver les acquis de paix (absence de guerre) et d’hypnotisation d’un peuple qui subit plus qu’il n’adhère : nous boirons jusqu’à la lie la coupe de nos souffrances et le régime ne se renouvèlera pas ni se rajeunira.

Le nouveau ministre de la justice dont il n’est pas permis pour ma sécurité de dire qu’il est malade si je n’en ai pas les preuves semble en tout cas très fatigué et a fait l’objet il y a un an d’une rumeur persistante de décès. C’est dire s’il n’est pas tout jeune et manque peut-être de toute l’énergie qu’il faut pour incarner, face à la corruption, l’immense indignation du président Biya, promoteur inspiré de la « république exemplaire ».

Une si terrible colère

Si le Cameroun n’est pas une antichambre de l’enfer, l’espoir en tout cas est en train d’y devenir une maladie ; c’est à dégoûter de la vie et de la mort toute une jeunesse qui a perdu des années précieuses à attendre et à espérer, une jeunesse dont le salut semble reposer dans les mains de vieillards vénérables, mais vieux et très usés quand même. On croyait le président fâché à mort contre les prévaricateurs de la fortune publique ! Sa colère est manifestement quelque chose avec laquelle, ses collaborateurs ont appris à composer.

Il s’irrite d’une façon bien douce. Si l’on fait une interprétation sommaire de certaines dispositions de la loi (article 18) portant création du Tribunal spécial, qui a inauguré son nouveau mandat, l’on se rend compte de la possibilité de transiger, des possibilités d’arbitraire et de la probabilité de l’élargissement prochain de certains détenus qui accepteront de payer ce qu’il faudra, parce qu’ils en ont les moyens.
Pour le septennat qui a commencé, annoncé comme celui « des grandes réalisations », le président Biya s’est donc résolu à mettre du vin nouveau dans de vieilles outres. Cela promet. Le but est-il de durer le plus longtemps ou d’agir le plus efficacement? Si les outres ne rompent pas d’elles-mêmes, il se pourrait bien que des forces sociales aveugles les y aident.

Que retenir de cette « réorganisation » gouvernementale ?

1 – Le président Biya a choisi d’opérer une réorganisation à double fond, un remaniement en deux temps. Plutôt que de faire tout, tout de suite, il a visiblement remis à l’après-législatives 2012 le grand ménage attendu, le clou du spectacle. C’est ce qui expliquerait par exemple le subtil « avertissement conduite » adressé à Eyébé Ayissi, qui quitte le prestigieux Ministère des Relations Extérieures pour revêtir désormais les oripeaux de ministre délégué. Mais attendre une fois de plus les législatives pour voir monsieur Biya donner un coup de pied dans la fourmilière ne serait-ce pas comme attendre le deuxième versant de la même (dés)illusion ?

2 – Le Vice-premier ministre, Amadou Ali dont Wikileaks a révélé la langue pendue s’en tire avec un humiliant ministère sans portefeuille ! A strictement parler, il est dans la tombe qu’il a lui-même creusée avec ses étonnantes affirmations haineuses ; à la prochaine incartade, c’est l’ensevelissement qu’il encourra.

3 – Marafa Hamidou Yaya, ministre sans discontinuer depuis plus de 19 ans, est, comme nous l’avions prédit, viré et placé « sous surveillance négative » de la justice camerounaise.

4 – Après le Ministère de la recherche Scientifique et de l’innovation où Madeleine Tchuenté est installée depuis le 08 décembre 2004, après le Ministère de la culture qu’Ama Tutu Muna a investi depuis septembre 2007, Biya continue sa politique de féminisation des ministères « sérieux » et nomme une femme (Jacqueline Koung A Bessike) au Ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières. Aussi imperceptible que cela soit, il y a bel et bien une politique de valorisation du genre dans son système de pensée.

5 – Les plus grands serviteurs du RDPC ont été enfin officiellement récompensés : René Emmanuel Sadi hérite ainsi du Ministère de l’Administration Territoriale, quand Grégoire Owona occupe le Ministère du travail et de la sécurité sociale. Moukoko Mbonjo rejoint le ministère des relations extérieures. Les anciens ministres du sport, Mbarga Mboa et Bidoung Kpwatt ont été rappelés.

6 – Il y a eu le souci traditionnel de représenter les principales composantes ethniques, avec les nominations inédites d’un Bamiléké comme Secrétaire Général du RDPC (Jean Nkuété), un Nordiste au ministère des finances, un Beti à la tête du ministère de l’agriculture, etc. Il n’en demeure pas moins vrai que les ressortissants du « Grand Nord » et ceux du « centre-sud » s’en tirent avec la part du lion. Les trajectoires des promus sont également diverses : ainsi un élu (maire d’Ayos) a-t-il été promu, un banquier (le jeune et excellent Alamine Ousmane Mey), un chargé de mission à la présidence (Dooh Jerôme Penbaga), un chef traditionnel (l’universitaire Jean Pierre Fogui), un ingénieur de Génie civil, des magistrats, des administrateurs civils (Ngole Philip Ngwese), des directeurs généraux (Atangana Kouna Basile), etc.

7 – Bernard Messengue Avom tombe de bien haut. Une information judiciaire a du reste été ouverte contre l’ancien ministre des travaux publics qui a eu une communication chaotique à la suite de sa mise en cause par la CONAC.

8 – Benoît Ndong Souhmet dont nous avions précédemment indiqué les appétences de pouvoir se contentera pour commencer d’un poste de secrétaire d’Etat, moins prestigieux que sa fonction de Directeur Général qu’il lui tardait de quitter. Cela dit, le Cameroun semble connaître une telle pénurie de compétences, une jeunesse si dévoyée qu’il n’est pas exclu de le voir cumuler impunément pendant un moment encore.

9 – Le premier ministre dont deux collaborateurs ont été promus à des ministères importants (Jules Doret Ndongo et Emmanuel Nganou Djoumessi) a vu asseoir son autorité.

10 – Le président Biya n’est pas partisan des parachutages politiques. Ce sont des personnalités aux trajectoires bien connues qui sont régulièrement nommées dans ses gouvernements successifs.

« Même pipe, même tabac » : path depedency à la camerounaise

Si en une nuit, mettons à la prochaine saint sylvestre, un fléau affreux frappait à mort tous les leaders de parti politique, leurs états-majors, tous les ministres et secrétaires d’état (Et dieu sait qu’ils sont nombreux !), le peuple camerounais serait catastrophé et le monde nous consolerait, mais il ne s’ensuivrait pas un chaos. Comme toujours les épisodes les plus spectaculaires ne sont pas les plus déterminants !
Les Camerounais veulent voir le dessous des choses, comprendre ce qui se trame, ne pas être dupes. Les lignes de force d’une succession réussie (hors le cas d’une cooptation de Franck Biya) se discernent encore mal. Ce qui est regrettable au final c’est que ce remaniement ministériel nous fait porter notre attention sur des personnes (de personis non curandum) davantage que sur des questions de fond et brouille notre intelligence des vrais enjeux de l’heure.

Le président Biya est « victime » de la « path dependance » (concept d’économie industrielle et de science politique) qui peut se traduire comme une dépendance à la voie qu’il a lui-même tracée dès 1982. Que ce soit dans sa lutte contre la corruption ou dans le renouvellement des hommes, l’effort, même s’il est continu, ne peut être que modéré. Il ne peut pas se permettre de multiplier des mécontents autour de lui au moment où il a perdu toute capacité à mobiliser de nouveaux convertis, dévoués et sincères.

Il faut être plus optimistes, plus offensifs, plus décidés à changer ce pays. Et pour comprendre monsieur Biya, il faut revisiter la fable des abeilles de Bernard Mandeville, qui nous fera quitter l’idée que la grandeur du Cameroun est irrémédiablement compromise en raison de la moralité de sa classe dirigeante (corruption). On pourrait comparer ce premier gouvernement des « grandes réalisations à un essaim d’abeilles de la ruche décrite dans la fable précitée.

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