Les clandestins morts en mer seront-ils refoulés du paradis ?


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Le mufti d’Egypte est au cœur d’une polémique suite à une fatwa déclarant que les clandestins qui périssent en tentant de rallier l’Europe ne sont pas des martyrs. Son avis religieux, qui intervient après la mort de 26 égyptiens, a été contredit par la plus haute instance de l’islam sunnite.

Quand la religion s’invite dans le débat sur l’immigration clandestine, cela peut faire très mal. La famille des 26 clandestins égyptiens récemment retrouvés morts au large des côtes italiennes en a fait la douloureuse expérience. « Mon cœur va à leur famille et mes prières aux jeunes qui sont morts mais je ne peux pas dire qu’ils sont des martyrs et légitimer la migration illégale de la main-d’œuvre », a souligné le mufti Cheikh Ali Gomaa, en demandant toutefois au « gouvernement de résoudre les problèmes de chômage ». Si depuis le début du mois de novembre cet avis religieux suscite l’émoi des familles, et du pays, c’est entre autres parce qu’il signifie que l’âme des disparus est condamnée à errer en enfer puisque, selon l’islam, le statut de martyrs ouvre les portes du paradis.

Fatwa « odieuse »

S’exprimant devant des journalistes, la deuxième plus haute autorité religieuse d’Egypte a justifié sa déclaration : « Si je dis qu’ils sont des martyrs cela signifie que je leur dis de continuer à se suicider ». D’après le quotidien indépendant Al-Masri al-Yom du 8 novembre, Cheikh Ali Gomaa a également expliqué que « le but de leur voyage n’était pas de servir Dieu (…) L’avidité et la quête de l’argent étaient leurs motifs. Chacun d’eux a versé 25 000 livres égyptiennes (environ 3 100 euros) pour partir, ils n’étaient donc pas pauvres. (…) [Ils] auraient pu investir cette somme dans un commerce au lieu de partir. »

Des accusations que contredisent les familles, qui ont assuré que l’argent qui a servi à financer le départ a été collecté « avec grand peine » et que l’objectif de la mortelle traversée était simplement de trouver un emploi légal en Europe. Al-Azhar, la plus haute instance de l’islam sunnite, a également battu en brèche, mercredi, la consigne du mufti. Elle la juge « odieuse » et estime que c’est quelque chose auquel « même le diable lui-même n’avait pas pensé ». Et le chef du comité des fatwas de l’instance, Abdel Hamid al-Atrache, de conclure : « Ce sont des martyrs car Dieu nous ordonne de sillonner la terre à la recherche de notre gagne-pain et est un martyr toute personne morte pendant cette quête ».

Pas un soldat du pouvoir

Ce n’est pas la première fois que Cheikh Ali Gomaa, qui a réitéré, cause une polémique. Une fatwa qu’on lui attribue, mais qu’il assure être le fait de Dar al-Iftaa – l’institution qu’il dirige et qui dépend du ministère de la Justice – veut qu’un conducteur ne soit pas considéré comme un assassin si des personnes se placent délibérément devant son véhicule pour se suicider. Seulement voilà, cette consigne, apparemment promulguée en juillet, a été rendue publique courant novembre – peu après qu’une femme soit décédée sous les roues d’un véhicule de police alors qu’elle plaidait la remise en liberté de sa belle-sœur, selon l’hebdomadaire égyptien Al-Ahram.

Du coup, certains ont argué que la fatwa était destinée à discréditer le gouvernement du drame qui s’était produit et que Cheikh Ali Gomaa était à la solde du pouvoir. « Ce n’est jamais arrivé que nous soyons soumis à une quelconque pression politique ou gouvernementale au moment de promulguer une fatwa », s’est défendu mardi le leader religieux. Pour prouver sa bonne foi il a même souligné que « nous avons d’autres fatwas contre le fait que le gouvernement torture des prisonniers ».

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