Les cercueils ghanéens se taillent sur mesure


Lecture 5 min.
poisson.jpg

Les Ga du Ghana construisent, depuis près d’un demi-siècle, des cercueils en forme de poisson, bateau, chaussure, fruit ou encore voiture. Des choix, faits par la famille du défunt, qui symbolisent généralement ce qui a marqué sa vie. De nombreux artisans travaillent dans cette industrie traditionnelle dont les œuvres ont trouvé leur place dans des musées hors du continent.

Etre mis en terre dans un cercueil à notre image. La minorité des Ga du Ghana fabriquent depuis, plus de 50 ans, des cercueils qui reflètent généralement un trait important de la vie d’un défunt. Une tradition dont jouissait au départ une poignée de privilégiés et qui, au vu de l’engouement de la population, s’est étendue à d’autres groupes ethniques. Cet art est même reconnu sur le plan international et exposé dans certains musées. Dans les rues d’Accra, on voit défiler des porteurs avec ces « cercueils fantaisie », accompagnés par la musique et des chants. La forme du cercueil est un indice de poids. Il peut donner, à un badaud, le sentiment d’avoir connu celui qui vient de quitter ce monde ou de reconnaître quelqu’un qui avait la même passion que lui, le même rêve…Ou encore permettre à une corporation professionnelle de saluer un confrère décédé.

Un cercueil symbolisant la vie du défunt

L’histoire des cercueils traditionnels personnalisés aurait commencé avec Samuel Kane Kwei. Dans les années 50, ce jeune homme décide qu’il ne sera pas fermier ou pêcheur, principale activité des Ga. Il veut être menuisier. Il apprend le métier avec l’un de ses oncles dans un atelier. Ses capacités artistiques se révèlent. Il les met à l’œuvre lorsqu’un de ses oncles, pêcheur réputé, lui demande de confectionner un cercueil particulier pour l’accompagner dans l’au-delà. Samuel Kane Kwei s’exécute et créé un cercueil en forme de baleine.

Ce qui devait être une exception est devenue tradition. Le créateur voit d’autres clients arriver. Il met son art au service des familles pêcheurs, poissonniers, commerçants, chauffeurs et tous les acteurs du secteur informel. Plus tard, les Akans (44% de la population) se sont ajoutés à sa liste et à celle des autres designers de la minorité ga (8%). La personne qui demande un cercueil peut émettre une préférence, mais, par peur d’attirer la mort plus tôt que prévu, elle laisse les proches décider de la forme. Une forme qui symbolise notamment la personnalité du défunt.

… Ou ses rêves et sa religion

Ainsi, un pêcheur fera son ultime voyage dans cercueil baleine, pirogue, poisson ou encore crustacé. Un agriculteur reposera dans un cercueil ananas, épis de maïs, tomate, oignon, cacacoyer… Certains chrétiens sont, eux, enterrés dans un cercueil en forme d’église ou de bible. Il existe aussi des cercueils chaussure, animal ou encore bouteille. Tous les cercueils ne se rattachent pas nécessairement à la profession du défunt. Ils peuvent représenter un rêve non exaucé, comme la possession d’un véhicule de grand luxe ou le travail. Certains rappellent, par ailleurs, les moyens de transport (avion, voiture, camion, bateau), sont sensés conduire plus vite l’âme au ciel.

Avec les années, le volume du cercueil symbolise de plus en plus l’amour dont jouissait le défunt, de même que sa richesse et sa réussite. Concept qui va pourtant à l’encontre des valeurs ga, qui n’accordent que peu d’importance aux biens matériels.Certains cercueils sont construits dans un bois de mauvaise qualité, appelé wawa, qui est aussi le moins cher. Ce matériau est peu résistant aux termites et à l’épreuve du temps. Mais il présente plusieurs avantages. Il est moins lourd et facilite donc le transport du corps, en musique et accompagnés de danse, sur la tête ou les épaules. Il est surtout très tendre très tendre, ce qui permet aux créateurs de donner corps à leur inventivité.

Cercueil à prix d’or

D’autres designers privilégient des bois plus solides et des peintures d’une qualité supérieure. La différence est saisissante. Les cercueils ressemblent à de véritables œuvres d’art. Les musées internationaux ne s’y sont pas trompés. Très vite, des « pièces » sont exposées en Europe et aux Etats-Unis notamment.Cet art est aujourd’hui principalement confiné aux abords d’Accra, la capitale ghanéenne, à Teshie, Labadi, Nungua et Dawhenya. Le métier s’est transmis de génération en génération, les professionnels prenant en charge la formation des plus jeunes.

Samuel Kane Kwei, décédé le 22 juillet 1992, et Paa Joe, ancien disciple du créateur, ont marqué le millénaire, qui vient de s’écouler. Mais d’autres designers se font aussi un nom. Prouvant que l’héritage Kwei laissé est bien vivant. Bien vivant, mais modernisé. Les formes plus affinées, plus proches de la réalité et de l’évolution du quotidien. On trouve ainsi des cercueils en forme de téléphone portable, de souris d’ordinateur ou encore de lance-roquettes. Des objets de valeur.Certains cercueils seraient vendus jusqu’à plusieurs fois le prix d’un modèle « classique », qui dans certaines boutiques cotées avoisine 790 euros. Quelques-uns culminent entre autres à près de 990 euros. Mais le prix n’est pas un obstacle. Comme dans d’autres pays d’Afrique, le dernier voyage doit être grandiose.

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News