Les barrières sociales à une meilleure santé maternelle en Afrique


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Retarder la première naissance, impliquer les hommes et prendre en compte l’effet des pratiques culturelles locales qui mettent les femmes enceintes en danger de mort ou d’invalidité pourrait réduire la mortalité maternelle des africaines. Mary Kimani présente quelques-unes des barrières sociales qui entravent le bien-être maternel sur le continent.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’au Nigéria, 800 000 femmes ont une fistule obstétricale, lésion invalidante souvent causée par des problèmes à l’accouchement ; leur nombre augmente de 20 000 par an. En Tanzanie, 9000 femmes meurent chaque année de complications liées à l’accouchement. Cette situation tragique est en partie causée par le coût élevé des services, le manque de personnel qualifié et de fournitures, des transports déficients et l’information insuffisante des patients. Ces facteurs se traduisent pour les mères d’Afrique subsaharienne par l’absence de tout professionnel de la santé dans 60 % des accouchements. Ceci aggrave les risques de complications et contribue à des taux de mortalité maternelle et infantile plus élevés ainsi qu’à des handicaps résultant d’accouchements difficiles.

Même quand des établissements de santé maternelle existent, les futures mères africaines n’obtiennent pas toujours les soins nécessaires en temps voulu. Une étude du bureau régional de l’OMS rapporte que parfois les femmes enceintes ou les personnes qui les assistent “ne reconnaissent pas les signes de danger et ne sont pas préparées à y faire face.”

Rose Mlay, la représentante tanzanienne de l’Alliance Ruban Blanc, coalition internationale pour la santé maternelle, explique que les établissements médicaux ou hospitaliers étant trop éloignés, la moitié des mères du pays n’ont pas les moyens de s’y rendre. Elle ajoute : “même quand du personnel de santé est présent, il n’a pas toujours la formation, les qualifications nécessaires ou l’équipement et les locaux adaptés.”

Améliorer la qualification des professionnels de l’accouchement

Le Dr. Yves Bergevin, conseiller principal pour la santé en matière de reproduction au Fonds des Nations Unies (UNFPA) pour la population, pense qu’une des solutions serait d’améliorer la qualification des personnes chargées d’aider à l’accouchement ainsi que les connaissances et les moyens dont disposent les femmes, leurs familles et leurs communautés. Impliquer les hommes est important, affirme Lucy Idoko, la représentante adjointe de l’UNFPA au Nigéria. La plupart des hommes ne connaissent pas les risques liés à l’accouchement, dit-elle. “La santé maternelle n’est pas seulement une question féminine, c’est une question importante pour toute la société.”

Malgré la pénurie de ressources, certains pays ont trouvé des moyens d’élargir l’accès aux services de santé maternelle. Au Sénégal, le Ministère de la santé et l’UNFPA financent conjointement le travail d’agents de santé locaux qui rendent visite aux femmes dans leurs villages. Ils sont formés pour surveiller l’état de santé des femmes enceintes, envoient les femmes dans les dispensaires locaux pour les examens prénataux et veillent à ce qu’elles aillent dans un établissement où elles accoucheront avec l’aide d’un personnel formé.

“Ces bénévoles viennent de la population qu’ils servent, explique le Dr. Suzanne Maiga-Konate représentante de l’UNFPA. Les questions sensibles que les gens ne poseraient jamais à des étrangers, ils les posent. Et si nous pouvons entrer en contact avec les gens, nous pouvons améliorer la situation sanitaire dans ce pays.” L’UNFPA donne également aux villages environ 50 dollars de capital d’amorçage pour mettre sur pied un fonds communautaire de santé. Les villageois s’arrangent entre eux sur la façon de réapprovisionner ce fonds, en général à l’aide de modestes contributions mensuelles. Le fonds est utilisé dans les cas d’urgence, par exemple pour transporter une femme à un hôpital de district quand des complications surgissent.

Faire évoluer les traditions

Certaines pratiques culturelles peuvent aussi entraîner des risques pour la santé des femmes. L’OMS cite les mutilations génitales, les mariages précoces et les grossesses à répétition. Les femmes qui ont subi une infibulation, forme de mutilation génitale où une suture est pratiquée sur les parties extérieures des organes génitaux, risquent davantage d’avoir un accouchement difficile. Les données de l’UNFPA démontrent que les filles qui ont un enfant entre 15 et 20 ans risquent deux fois plus de mourir en couches que celles qui ont une vingtaine d’années, les filles de moins de 15 ans courant, elles, un risque 5 fois plus élevé.

Le Dr. Grace Kodindo, ancienne responsable du service de maternité à l’hôpital général de Ndjamena au Tchad explique : “Les adolescentes risquent le plus un accouchement prématuré et difficile car leur corps n’est pas encore complètement développé. C’est pourquoi nous encourageons les jeunes femmes à retarder leur première grossesse.”

Elle estime que la jeunesse et le statut social inférieur des femmes dans la société leur laisse souvent peu de pouvoir pour décider si elles veulent devenir enceinte, à quel moment et avec qui. Elles ont également peu de choix quant au nombre et à l’intervalle entre les naissances de leurs enfants. “Les femmes devraient pouvoir décider de l’espacement des naissances de leurs enfants, déclare-t-elle à Afrique Renouveau. Mais en Afrique, la femme ne peut pas prendre cette décision librement. Son statut dans la société est souvent déterminé par le nombre d’enfants qu’elle a et les femmes continuent souvent à avoir des enfants même quand elles n’en veulent plus. Beaucoup d’hommes ne veulent pas de planning familial parce qu’ils veulent avoir le statut social que donne une famille nombreuse.”

En 2004, l’OMS rapportait qu’environ 4 millions d’avortements étaient pratiqués chaque année en Afrique. L’avortement étant illégal dans la plupart des pays africains, ils ont lieu le plus souvent dans des conditions dangereuses qui provoquent près de 30 000 décès, environ 13 % de tous les décès maternels.

Selon l’OMS, 90 % des décès et des blessures liés à l’avortement pourraient être évités si les femmes qui le désirent pouvaient utiliser une forme de contraception. Mais globalement, moins de 25 % des africaines peuvent obtenir des contraceptifs. En Afrique de l’Ouest, le chiffre est de moins de 10 %. “Si le planning familial pouvait être offert, nous réduirions la mortalité maternelle” dit le Dr. Kodindo.

Mais elle est optimiste : “Nous relevons des indications positives. Le fardeau économique représenté par de nombreux enfants rend les hommes plus coopératifs.” L’évolution est particulièrement notable en République démocratique du Congo, observe-t-elle. “Mon seul regret est que ce soit seulement dans les zones urbaines. Il y a beaucoup de travail à faire dans les zones rurales.”

Par Mary Kimani, Afrique Renouveau, Organisation des Nations Unies

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