Le Tchad objet d’un double enjeu


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Depuis son accession à l’indépendance nominale en 1960, le Tchad n’a pas connu de paix. Dès 1965, des jacqueries paysannes au centre du pays ont donné naissance à des mouvements armés structurés ; la guerre aura duré plusieurs décennies avec des hauts et des bas, et en particulier avec les interventions militaires française et libyenne, l’enjeu principal étant le pouvoir dans la mesure où toutes les passations se sont faites par les armes. Depuis décembre 1990, date de prise du pouvoir par Idriss Deby, la démocratie a été proclamée. Le Tchad est donc censé enterrer définitivement les alternances politiques violentes. Or, plus que jamais, c’est le retour à la guerre.

Par M. Ibni Oumar Mahamat Saleh

Mathématicien et homme politique tchadien

Enclavé au cœur de l’Afrique, le Tchad compte environ 9 300 000 habitants pour une superficie de 1 284 000 km2. Pays de contrastes, on y distingue trois régions naturelles : la zone saharienne au nord, la zone sahélienne au centre et la région des fleuves au sud. La zone saharienne est constituée de la région du Borkou-Ennedi-Tibesti (BET). Elle couvre près de la moitié du territoire mais est largement sous-peuplée. Les trois derniers présidents sont issus de cette région : Goukouni Weddeye (1979-1982), Hissein Habré (1982-1990) et Idriss Deby (depuis décembre 1990). La zone sahélienne a été le lieu où se sont constitués les royaumes du Sahel (Kanem-Bornou, Baguirmi, Ouaddaï). Cette partie relativement très peuplée représente un peu plus de la moitié de la population totale. L’élevage constitue la ressource principale.

Enfin, la zone soudanienne située au sud du fleuve Chari d’où sont issus les premiers présidents :Tombal-baye Ngarta (1960-1975) et le général Félix Malloum (1975-1979). C’est dans cette zone, appelée autrefois « Tchad utile », que se cultive le coton et où de gisements importants de pétrole sont actuellement en exploitation (région de Doba).

Il est utile de rappeler que, contrairement à ce qui a été souvent dit, les frontières actuelles sont approximativement celles datant de la période précoloniale. D’où une interpénétration entre les différents peuples qui constituent le Tchad d’aujourd’hui.

On peut enfin noter que les frontières étaient sensiblement les mêmes que celles d’aujourd’hui. Celle du nord était entérinée en 1577 (lettre du sultan Mourad III à Idriss Alaoma). Les limites entre le Niger et le Tchad étaient définies par le traité de Shige (1578) signé entre les sultans du Bornou et du Kanem, même si elles ont été aménagées au XXe siècle pour laisser le Kawar au Niger. La frontière est, séparant le Ouaddaï du Darfour (Soudan), figurait déjà sur une carte de 1851, divisant certaines ethnies (les Massalit, par exemple). La frontière sud avec la République centrafricaine ne fait l’objet d’aucun litige.

Avant le XIe siècle, des relations existaient déjà entre le Tchad et la Libye à travers le Fezzan, et entre le Darfour (Soudan) et l’est du Tchad. À partir du VIIIe siècle, fuyant les persécutions des Mameouks d’Égypte, d’importantes migrations arabes se sont développées en traversant le Soudan vers le Tchad. D’autres migrations ont atteint la région du Kanem dès le Xe siècle. Cette période a connu la constitution de royaumes islamisés du Sahel. Lors de la pénétration française à la fin du XIXe siècle, les royaumes du Sahel étaient des ensembles politiquement structurés, porteurs de civilisation et de culture communes et exerçaient une influence sur les actuelles régions du sud du pays. La résistance de ces royaumes au colonisateur (en particulier le refus de l’école française) a amené celui-ci à s’appuyer sur les premiers lettrés originaires du Sud pour son administration. Toutes ces données démentent le fait que le Tchad soit un État artificiel.

Les enjeux

Rattaché à l’arc camerounais, le Tchad, au cœur du continent africain, offre un double enjeu : un enjeu traditionnel, géostratégique, qui a recouvert des aspects différents tout au long des étapes qui ont marqué le XXe siècle, et un enjeu économique qui prend une importance particulière plus que jamais avec l’exploitation du pétrole.

L’enjeu géostratégique Le Tchad joue un rôle charnière dans la dimension tant Nord-Sud qu’ Est-Ouest. Traversé par la bande sahélienne où la culture arabo-musulmane est présente, le Tchad est une terre de transition marquée par l’islam où se mêlent des influences culturelles occidentales et orientales. Dès 1965 s’est déclenchée une guerre civile qui va déchirer le pays pendant plus de trente ans et qui se réactive aujourd’hui de façon vive. Le monolithisme politique, si opposé à la diversité inhérente à l’histoire du pays, imposé par Tombalbaye en 1962, a suscité des conflits internes violents, exacerbés par des interventions extérieures, directes ou voilées, de la France, des États-Unis, de pays africains frontaliers, en particulier la Libye (qui avait occupé la bande d’Aozou), mais aussi le Soudan, le Nigeria et même l’ex-Zaïre non frontalier.

Fragilisé pendant les années 70-80 par l’expansionnisme libyen et par les interventions du Soudan, le Tchad a été toujours perçu historiquement par la France comme un territoire militaire, une sorte de verrou qu’il faut absolument contrôler, quel que soit le prix des déchirements internes. Cette conception se traduit par un engagement quasi constant de l’armée française au Tchad où elle a même administré jusqu’en 1964 (soit quatre ans après l’indépendance) la région du Borkou-Ennedi-Tibesti.

Depuis les années 60, les clivages Nord/Sud n’ont cessé de s’accentuer et se sont même amplifiés depuis que le pouvoir central est entre les mains d’originaires de la région du BET, peu soucieux d’établir des structures étatiques viables.

L’effondrement de l’empire soviétique et la fin du conflit Est/Ouest ont réduit l’importance de la donne libyenne. Principale cible des États-Unis en Afrique, la Libye, par son action déstabilisatrice sur le continent, faisait le jeu du camp soviétique. Plusieurs experts du camp de l’Est avaient été faits prisonniers lors de la guerre au nord du Tchad. Aujourd’hui, en raison de la nouvelle donne internationale, le Tchad n’est plus conçu comme un simple rempart contre les menées de la Libye en Afrique subsaharienne. La donnée soudanaise a pris de l’ampleur depuis l’avènement du régime islamiste en 1989.

L’enjeu économique Si, depuis toujours, le Tchad, compte tenu de ses ressources géologiques, est supposé receler de l’uranium et autres minerais stratégiques, c’est le pétrole qui constitue l’enjeu économique principal de l’heure.

Avec la mise en exploitation du pétrole et les perspectives prometteuses à venir (découvertes de gisements plus importants que ceux de Doba dans la région du Mandoul), les demandes de plus en plus fortes à l’échelle mondiale sur le plan énergétique (Chine, pays émergents…), on peut croire que l’importance géostratégique prendra un sens plus important.

Les facteurs de la guerre

La crise de l’État, dès le début des années 60, résulte de son incapacité à créer un sentiment d’unité, à instaurer la justice, à garantir la paix et la sécurité intérieure. En effet, l’héritage colonial d’un État fortement centralisé d’où certains citoyens se voient exclus, laissant transparaître une monopolisation du pouvoir par certains groupes, a accéléré la crise. Les tentatives de création d’un parti unique, justifiées par la nécessité de réaliser l’unité nationale, ont produit l’effet contraire. Tombalbaye, artisan de cette démarche, a été très vite confronté à de crises graves dont les événements du 16 septembre 1963 à N’Djamena et ceux de Mangalmé en 1965, qui ont finalement conduit à la naissance du Front de Libération nationale du Tchad (FROLINAT) en juin 1966 à Nyala, au Soudan.

Finalement, le Tchad de 1960 à 1990 a vécu un système de parti unique, malgré le changement des régimes politiques. Cette forme de gestion de l’État a montré ses limites dans la mesure où, dès le lendemain des indépendances, des jacqueries paysannes ont donné naissance à des mouvements de contestation armés, qui ont vite fait basculer le pays dans la guerre civile. Cette dernière aura duré plus de trois décennies avec, comme conséquence principale, l’absence de développement du pays.

L’impasse politique dans laquelle Hissein Habré avait engagé le Tchad, doublée en matière économique de sa duplicité au détriment des intérêts français et ce malgré l’engagement militaire de Paris en sa faveur, ne pouvait être contrebalancé par le seul intérêt géostratégique qu’offrait le régime de Habré perçu comme le rempart à l’expansionnisme libyen, d’autant plus que la page du conflit Est/Ouest avec l’implosion de l’empire soviétique était définitivement tournée.

En décembre 1990, Idriss Deby prend le pouvoir avec l’appui du Soudan, de la Libye et de la France. Le point essentiel de ce changement a été l’annonce de sa volonté de démocratiser la vie politique du Tchad.

À l’épreuve de la démocratie : échec de la transition démocratique

La prise de pouvoir par Deby en décembre 1990 augure une ouverture politique qui a permis la création de plusieurs dizaines de partis politiques et d’associations de la société civile.

La Conférence nationale souveraine (CNS) a dégagé les grandes lignes de la future Constitution de la République. L’élément majeur, dans le cas du Tchad, est la limitation du mandat présidentiel à cinq ans, renouvelable une fois, permettant ainsi de rompre avec le pouvoir personnel et les cycles de violence.

Après l’adoption de la Constitution par référendum le 31 mars 1996, le peuple a été sollicité pour des élections présidentielle et législatives. À ce niveau, il faut déjà souligner les fraudes et les manipulations qui ont permis à Deby d’être proclamé vainqueur à la suite d’un second tour.

Le rôle de la France dans ces fraudes et manipulations a été souligné et condamné par la majeure partie de la classe politique et de la société civile. En effet, un expert français, Jérôme Grand d’Esnon, proche de Jacques Chirac, a été dépêché pour encadrer le processus électoral . Des doutes planaient déjà sur la volonté de Deby d’instaurer une vraie démocratie au Tchad. Deby a bénéficié d’une occasion historique et d’un cadre favorable à la stabilisation du pays, mais hélas ! la dérive a commencé très vite : le système de prédation a été préservé, et aucune démarche de véritable réconciliation n’a été menée au niveau des couches de la population. Bien au contraire, ce sont la cooptation et la répression qui ont prévalu.

On assiste alors à un isolement progressif de Deby du fait des tentatives d’écraser toute opposition politique, entraînant un monolithisme de fait, des errements sur le plan sous-régional (Congo, RDC, RCA…), enfin le mépris proclamé de plus en plus face aux Tchadiens. En se mettant au service des aventures militaires de la Françafrique, la manne pétrolière en sus, Deby croyait dompter ceux des Tchadiens qui oseraient suggérer un infléchissement de son pouvoir vers plus de rationalité et de transparence.

La réédition à plus grande échelle des pratiques frauduleuses en 2001 et 2002 a totalement décrédibilisé le processus électoral, accentué les contradictions et conduit beaucoup de Tchadiens à ne plus croire en une alternance pacifique. Dans un pays comme le Tchad, où la tradition de conquête de pouvoir par les armes est établie, on a assisté à un renforcement des mouvements politico-militaires.

La volonté de Deby de se pérenniser au pouvoir par la modification de la Constitution pour lui permettre de se représenter à l’élection présidentielle en 2006 a sonné le glas de son système, qui a commencé à se craqueler dans le cœur même. C’est ainsi que, depuis 2004, des tentatives de coups d’État, suivies de défections massives au sein de sa garde présidentielle, l’ont isolé.

Responsabilité de la France dans le processus de retour à l’autoritarisme

À la lecture de toutes ces pratiques produisant un déficit démocratique transparaît déjà le rôle majeur de la France. Sa politique africaine a été toujours très sinueuse : fondée en théorie sur la légitimité du pouvoir et sur le respect de la souveraineté nationale. En théorie, car la pratique vécue au Tchad est loin des principes proclamés.

Citons Roland Marchal du CERI : « La France n’a pas eu une véritable politique d’aide, elle n’a pas travaillé à rompre ce cercle vicieux par lequel la transition politique n’existe que par la violence et de tout faire pour que le départ d’Idriss Deby du pouvoir se fasse dans les règles prévues par une Constitution légitime, au terme d’une consultation populaire respectant les normes internationales. Depuis 2003, du côté français, telle n’a pas été l’ambition, ni la pratique comme l’illustrent les déclarations de Xavier Darcos félicitant le président tchadien d’une réforme de la Constitution qui lui permettait de postuler une troisième fois, au poste de chef de l’État, et plus encore l’appui si clairement formulé à la récente élection présidentielle de mai 2006, caricature s’il en fallait encore, de ce qu’un vote truqué peut être. »

Il apparaît aujourd’hui au grand jour que l’on a affaire à un régime clanique qui a colonisé l’État dans ses moindres recoins (armée, douanes, impôts, régie de recettes…). Le soutien de la France à Deby, malgré cette situation, a été sans faille. Appui financier, appui politique et dissuasion militaire, tout a été mis en œuvre pour le soutenir et le maintenir au pouvoir. La cassure survenue au sein du clan depuis la fin de 2003 (décision du parti de Deby de modifier la Constitution en novembre 2003) a surpris la France, qui espérait pérenniser celui-ci avec l’appui de l’armée clanique.

Au-delà du Tchad, le régime Deby, par son rôle déstabilisateur, sert d’une certaine façon les intérêts français : les interventions militaires au Togo, en République démocratique du Congo ou en République centrafricaine où Bozizé a été porté au pouvoir en sont des illustrations.

Le mécontentement vis-à-vis d’Idriss Deby a commencé très tôt dans les années 90 et s’est radicalisé pour atteindre un point de non-retour lors du congrès de son parti, le Mouvement patriotique de salut (MPS), en novembre 2003.Avant même qu’il ne manifeste en 2003 sa volonté de se représenter pour un troisième mandat et de changer la Constitution, trahissant ainsi une promesse maintes fois répétée, de nombreux Zaghawa ont critiqué de façon acerbe Deby pour son incapacité à « partager », sa gestion dilettante de l’appareil d’État et son aveuglement politique parce qu’incapable de faire des compromis avec ses opposants. Deby mettrait ainsi en danger la pérennité des acquis zaghawa. En mai 2004, une tentative de coup d’État menée par la garde rapprochée du président est déjouée.La crise interne s’amplifiant, commencent des désertions tant dans les cercles dirigeants que dans la garde prétorienne du chef de l’État à partir d’octobre 2005 pour aboutir à la mise en place d’un mouvement rebelle dénommé le Socle pour le changement, l’unité et la démocratie (SCUD), qui deviendra le Rassemblement des forces démocratiques (RaFD).

Lorsqu’une colonne de rebelles tchadiens arrive aux portes de la capitale le 13 avril 2006, le président Deby dénonce une expédition menée par des mercenaires soudanais. C’est cette explication qu’il essaie depuis lors de faire prévaloir sur la scène internationale. Un observateur averti de la scène politique tchadienne a écrit : « Quelle population serait heureuse de conserver un dirigeant malade et usé par quinze ans de règne sans partage qui a réussi à cultiver l’impunité pour les siens, à laisser le Tchad au premier rang des pays les plus corrompus et les plus pauvres au monde ? Avec un tel bilan, on comprend pourquoi, faute d’oser prendre la mesure de l’opposition intérieure, Deby doit blâmer les mercenaires étrangers. La méthode, pour être simple, a plusieurs fois fonctionné en Afrique. »

L’irruption en février 2003 du conflit du Darfour sur l’actualité internationale a considérablement compliqué une lecture saine des événements du Tchad. À cause des relations transfrontalières, le fait que le régime soit dominé par les Zaghawa au Tchad a mis le pays de plain-pied dans le conflit !

Il faut souligner que le Tchad a tissé de multiples liens officieux et officiels avec la rébellion du Darfour. Officieux car, au départ, ce sont des proches du régime au niveau politique et militaire, tous issus du clan zaghawa (grand frère de Deby), qui ont mis à la disposition des rebelles hommes et matériels, surtout les fractions zaghawa de la rébellion.Ainsi, le premier commandant en chef des forces du MLS est un ancien de la garde de Deby. Le président tchadien, conscient du danger que cela représentait pour son pouvoir, a voulu jouer le jeu de Khartoum et ce jusqu’à mi-2004. Il a dû par la suite changer d’attitude. Le Soudan, jusque-là allié inconditionnel de Deby, a commencé à accuser ce dernier de jouer un double jeu. Les camps des opposants tchadiens sont ouverts au Darfour dès l’été 2004, et les moyens qui leur sont octroyés augmentent très nettement l’année suivante. Les défections zaghawa au sein de la garde républicaine éclairent la profondeur de la crise de régime au Tchad.Après cette date encore plus qu’avant, il s’agit pour le Soudan de briser ce qui constitue la seule carte militaire des insurgés au Darfour : la possible sanctuarisation du Tchad et la mobilisation guerrière transnationale efficace des Zaghawa.

Les fractions armées tchadiennes

De la déliquescence du Frolinat, au début des années 70, sous les coups de boutoir de l’armée française et de multiples divisions internes, naît un système de factions armées qui prolifèrent grâce aux interventions étrangères. Aussi, la lutte armée n’a jamais cessé même si elle est parfois de faible intensité.

L’opposition à Idriss Deby est ancienne. Elle s’est construite sur des critiques contradictoires de son comportement public et privé. Son reniement de la promesse faite en 2001, aux termes d’élections proprement calamiteuses, de ne pas se représenter a été un facteur majeur dans une sorte de prise de conscience que Deby ne partira du pouvoir que comme il est arrivé, c’est-à-dire par les armes. Les barons du régime qui espéraient alors le voir partir ont aussi adopté une position d’opposition ouverte.

Le 16 mai 2004, une tentative de coup d’État fomentée au sein de sa Garde républicaine a été déjouée de justesse. À partir d’octobre 2005, les défections des Zaghawa se multiplient et donnent naissance à plusieurs groupes armés réfugiés au Darfour, notamment le SCUD dirigé par Yaya Dillo, et le RDPJ d’Abakar Tollimi. Ce groupe issu du premier cercle Zaghawa a fondé le RaFD (refus en arabe) dirigé par un ancien directeur du cabinet civil du président Deby,Timan Erdimi.

Les mouvements armés d’opposition tchadiens sont nombreux et s’appuient généralement sur de groupes ethniques ou régionaux. Il en est ainsi du Mouvement pour la Démocratie et la Justice au Tchad (MDJT) des Toubous au Nord, du RaFD des Zaghawa à l’Est, la Concorde Nationale Tchadienne (CNT) des arabes à l’Est et surtout le Rassemblement pour la Démocratie et les libertés (RDL) des Tamas, qui après avoir fédéré certains mouvements avec le soutien de Khartoum, sous le nom de Front uni pour le changement démocratique (FUCD), s’est retrouvé aux portes de N’Djamena le 13 avril 2006. Deby a sauvé son siège présidentiel grâce à l’intervention militaire française dont la légalité est très contestable.

Depuis, une recomposition importante des politico-militaires s’est faite avec l’entrée en scène des vétérans de la lutte armée au Tchad : le Général Mahamat Nouri et Acheikh Ibn Oumar, tous deux anciens ministres. La constitution de l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD) en octobre 2006 et son entrée en action avec la prise le 25 novembre d’Abéché, la plus grande métropole de l’est du Tchad semble constituer un tournant. Une alliance sur le terrain a aussi vu le jour avec le RaFD-CNT et le Front populaire pour la renaissance nationale (FPRN) du colonel Adoum Yakoub Kougou au dernier trimestre 2006.

Idriss Deby a alors cherché à convaincre l’opinion internationale que toute cette crise était en fait un complot des Arabes et des islamistes qui, après avoir pris le contrôle du Tchad et tout en y maltraitant les Africains, se précipiteraient vers le Niger et le Nigeria pour y remettre en cause les équilibres sociaux. Mais son incapacité à faire de compromis politiques, même avec l’opposition démocratique (la Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution – CPDC), sa logique de violence ont déjà permis à beaucoup d’observateurs (hormis les Français) de voir en Deby la source principale de la crise au Tchad et même de la sous-région.

Cette vision pose en elle-même plusieurs questions : les Arabes tchadiens qui représentent plus de 15 % de la population n’ont-ils aucun droit de contestation au Tchad sans être vus comme des mercenaires à la solde de la Libye un moment et maintenant du Soudan et de l’Arabie saoudite ?

Sans minimiser l’implication de Khartoum dans ce qui se passe au Tchad, une réponse au soutien de Deby aux rebelles du Darfour, le chef de l’État tchadien a aussi utilisé dans le passé une autre rhétorique : « Moi ou le chaos », formule à laquelle beaucoup de Tcha-diens, qui ne sont pas tous versés dans la politique, font écho par un « Moi et le chaos »…

CONCLUSION Aujourd’hui, la crise a atteint un seuil inégalé depuis plusieurs années. Avec la situation au Darfour, les deux crises s’alimentant mutuellement. Si, au Darfour, il y a l’accord d’Abuja, qui constitue un début de résolution de la crise, au Tchad, il n’en est rien. Au contraire, c’est la rhétorique de mercenaires à la solde du Soudan qui a cours. Le soutien aveugle de la France aidant, aucun processus de sortie de crise durable n’est en vue. La France instrumentalise la communauté internationale pour sauver Deby à travers une force onusienne au Tchad. Les tentatives françaises, toujours sous couvert de la communauté internationale, d’amener l’opposition civile, la CPDC en particulier, a composé avec Deby pour des prébendes semblent vouées à l’échec, car la population ne pardonnera pas ceux qui se prêteraient à ce jeu. Aussi, la perspective prévisible est l’extension de la guerre de l’est au nord et au sud-est du pays, une guerre d’usure, ce qui ne sera pas à l’avantage de Deby, vu les multiples difficultés auxquelles il doit faire face. À moins que, par un sursaut sans pareil, la communauté internationale n’impose à Deby un dialogue national inclusif réclamé par l’opposition démocratique, en l’occurrence la CPDC, la société civile et même les politico-militaires afin de mettre en place un consensus national, une transition et des élections réellement libres et démocratiques.

Ce texte provient des publications de la Fondation Gabriel Peri

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