Le Sénégal dans les starting-blocks pour la guerre des ports ouest-africains


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Port de Dakar
Port de Dakar

Les pays côtiers ouest-africains sont lancés dans une véritable course aux infrastructures pour faire émerger un hub portuaire qui pourra, dans les années à venir, faire de leur pays l’une des économies émergentes les plus solides de la sous-région. Avec le lancement de travaux sur le port autonome de Dakar et les projets portuaires de Ndayane et Sendou, le Sénégal ne souhaite pas rester en dehors d’une course aujourd’hui dominée par Abidjan, Lagos et surtout, Lomé, premier port à transbordement ouest-africain. Pour le Sénégal, l’enjeu est aussi de désengorger le port de Dakar.

Si les chiffres de l’année 2018, fournis par le journal FinancialAfrik, ont permis au port autonome de Dakar de faire bonne figure, en annonçant un bénéfice de 6 milliards de Francs CFA, ils sont bien loin de l’âge d’or des performances exceptionnelles de l’année 2010, quand le PAD avait atteint le bénéfice de 23 milliards de FCFA. Vieillissantes, les infrastructures actuelles ne permettent plus à Dakar d’être suffisamment compétitif avec les autres grands ports de la sous-région.

Partenariats et réhabilitation : la nouvelle santé du Port autonome de Dakar

Lancés le 4 juillet 2019, les travaux de réhabilitation du môle 3 du Port autonome de Dakar (PAD), second port d’Afrique de l’Ouest en termes de capacité d’accueil, devraient lui permettre d’accueillir des navires d’une capacité de 35 000 tonnes et 190 mètres de long. Une modernisation vitale pour le Sénégal, dont 90% des échanges se font par voie maritime. Construit en 1839 par l’ancienne puissance coloniale, la refonte du PAD sera réalisée grâce à une «subvention non remboursable» de 32 millions d’euros financée par l’Agence japonaise de coopération internationale. Le 21 juin 2021, une subvention complémentaire du Japon de 2 570 milliards de FCFA a été annoncée entre les gouvernements sénégalais et japonais pour finaliser les travaux. Parmi les ajustements d’ores et déjà prévus dans le cahier des charges, la construction d’un quai de 350 mètres, la réhabilitation des terre-pleins et voies de circulation, ainsi que la rénovation d’un hangar des Entrepôts Maliens au Sénégal.

Le Port autonome de Dakar tente aussi de nouer des liens étroits avec d’autres hubs portuaires continentaux. Le 28 janvier 2021, un accord-cadre de coopération a été signé avec l’Autorité des ports et zones franches de Djibouti (APZFD). Fondé notamment sur une assistance technique commune en génie portuaire, cet accord a vocation à nouer des liens partenariaux très forts entre les deux ports. Mais la signature inquiète aussi certains observateurs. Après avoir unanimement rompu son contrat avec le groupe koweïtien DP World, son ancien partenaire, au profit d’un groupe chinois, la China Merchants Port Holdings Co Limited, le port de Djibouti est plongé en plein fiasco judiciaire. Le 14 janvier dernier, le gouvernement djiboutien a en effet essuyé un nouveau revers contre DP World face à une cour internationale d’arbitrage londonienne. Plus largement, le port de Djibouti est aujourd’hui considéré comme une véritable enclave chinoise. «L’influence de la Chine dans les ports djiboutiens ne souffre d’aucune contradiction. Elle est maintenant réelle et très visible. Le mode d’action mis en lumière dans cet article montre la volonté affirmée de la Chine de marquer son territoire et de s’affirmer comme une puissance», estime en ce sens Kossa Camara, spécialiste en intelligence stratégique.

Le Sénégal veut améliorer ses axes de transport intérieurs

Pour le Sénégal, la refonte du port autonome de Dakar est un impératif stratégique pour sacraliser sa relation avec le géant malien, dépendant du Sénégal pour ses importations et exportations maritimes. Aujourd’hui, 65% du trafic à destination du Mali est assuré par le Port autonome du Dakar. Une manne financière sur laquelle lorgne notamment la Côte d’Ivoire et son fer-de-lance, le Port d’Abidjan, l’un des plus performants de la sous-région. Face à cette tentation prédatrice, l’un des principaux enjeux du Sénégal est l’amélioration de ses réseaux de transports intérieurs, aujourd’hui largement sous-dimensionnés par rapport aux besoins du Mali.

En ce sens, le projet de relance de la ligne ferroviaire Dakar-Tambacounda apparaît comme un besoin impérieux mais aussi un vecteur de développement économique pour l’ensemble du pays. «Il y a (…) un enjeu de cohésion nationale, car c’est un facteur de désenclavement, d’aménagement du territoire et d’opportunités économiques avec la sous-région» précise Kibily Touré, directeur général de la société nationale des Chemins de fer du Sénégal, au journal français Le Monde. L’absence de ligne de chemin de fer est, selon certains observateurs, la principale cause de la congestion du trafic routier à Dakar, où transite chaque année entre 3 et 4 millions de tonnes de marchandises, en provenance du port et à destination du Mali. «Ce trafic occasionne la dégradation rapide des routes et de nombreux accidents», déplore, au Monde, un syndicaliste sénégalais. À terme, l’objectif ambitieux est de faire venir les conteneurs en train jusqu’à Tambacounda, puis de les faire continuer par la route jusqu’à Bamako. En attendant l’hypothétique construction d’une ligne de fret qui pourrait aller jusqu’à Bamako et ainsi désengorger définitivement les routes sénégalaises.

Ndayane et Sendou en ligne de mire

Le port de Dakar, malgré ses travaux de modernisation, reste insuffisant pour renforcer l’attractivité du pays. La future plateforme de Ndayane, annoncée en 2017, a l’ambition de devenir l’une des plus performantes de la sous-région et, surtout, de décongestionner le port de Dakar, qui capte toujours 95% des échanges commerciaux du Sénégal et 80% des hydrocarbures. Le projet promet l’aménagement d’un terminal à conteneurs sur 300 hectares, un chenal maritime de 5 kilomètres et la construction de deux quais de 840 mètres et 410 mètres. À terme, selon la présidence du Sénégal, «ce port sera le plus grand de l’Afrique de l’Ouest et pourra accueillir les plus gros navires de l’espace maritime». Le tout adossé à une zone économique spéciale nouvellement créée pour encourager les investissements étrangers.

Toujours insuffisant pour désengorger le Sénégal, selon les autorités, qui prévoient aussi de réceptionner le port minéralier et vraquier de Bargny-Sendou, à 35 kilomètres de Dakar, en mars prochain. Avec 3 terminaux, le port pourra traiter des cargaisons liquides, faciliter les exportations des exploitations minières du pays et recevoir des marchandises. «Ça va être un élément qui va booster tout ce qui est céréales, phosphates, hydrocarbures et tout ce qui concernera le gaz», annonce avec optimisme le ministre des Pêches et de l’Économie maritime, Alioune Ndoye.

Les ports sénégalais, notamment le port autonome de Dakar, sont les pierres angulaires du Plan Sénégal Émergent (PSE), qui doit permettre le développement de l’économie sénégalaise d’ici 2030. Encore nombreux, les défis structurels à relever se heurtent à une concurrence sous-régionale effrénée.

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