Le Pnud tacle les politiques d’immigration répressives


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Le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) a rendu public lundi un rapport détonnant. Une équipe d’experts y dénonce les préjugés qui guident les politiques migratoires des pays riches. Le document rappelle que les migrations ont lieu majoritairement depuis les pays développés, et défend surtout l’idée que le phénomène migratoire est à la fois à l’avantage des pays de départ et des pays d’accueil.

Le classement des pays africains

L’indice de développement humain (IDH), créé par le Pnud en 1990, sert à mesurer la qualité de vie dans chaque pays, plutôt que de se fier au seul Produit intérieur brut (PIB), reflet de l’activité économique. « L’IDH prend en compte à la fois le PIB, la santé et l’éducation », précise Adam Rogers du Pnud à Genève. Situé sur une échelle de 0 à 1, l’IDH est désormais considéré comme un outil de référence.

Il n’est hélas pas étonnant de constater que, parmi les trente pays les moins bien classés au niveau de la qualité de vie, seuls deux ne se situent pas en terre africaine. Le Niger reste le pays à l’IDH le plus faible, parmi les 182 pays recensés.

Les 5 pays africains à l’IDH le plus faible :

Pays IDH Rang mondial
Burkina Faso 0,369 177
Mali 0,371 178
République centrafricaine 0,369 179
Sierra Leone 0,365 180
Niger 0,340 182

Les Etats africains affichant l’IDH le plus important ne sont pas forcément ceux que l’on croit. La Libye ou la Tunisie sont loin d’être des modèles de démocratie, pourtant il y ferait relativement bon vivre, selon le classement.

Il existe un grand débat sur les liens entre IDH et pratique démocratique. Adam Rogers explique que la seule chose que l’on puisse affirmer est que la démocratie, sur le long terme, favorise par la stabilité qu’elle procure un IDH élevé. « Mais celui-ci dépend principalement des choix politiques des dirigeants », ajoute-t-il.

Un instrument de mesure de la bonne gouvernance est d’ailleurs proposé depuis 2007, pour compléter les données de l’IDH. Présentés lundi au Cap, les résultats 2009 de l’indice Ibrahim (IIAG) de la gouvernance en Afrique permettent de nuancer quelque peu les résultats précédents puisque cet indicateur intègre l’IDH dans ces critères. Les pays arrivant premiers sont alors, dans l’ordre, Maurice, le Cap-Vert, les Seychelles, le Bostwana et l’Afrique du Sud.

Les 5 pays africains à l’IDH le plus élevé :

Pays IDH Rang mondial Rang africain pour l’IIAG
Lybie 0,847 55 23
Maurice 0,804 81 1
Tunisie 0,769 98 8
Gabon 0,755 103 21
Algérie 0,754 104 14

Au niveau mondial, les pays aux IDH les plus élevés sont bien sûr les pays du Nord, avec en tête la Norvège (0,971). Mais la crise économique pourrait fortement influer sur l’évolution future des chiffres, en particulier pour les pays les plus touchés comme l’Islande, troisième du classement, ou l’Irlande, cinquième.

« La migration a souvent mauvaise presse », s’inquiète Helen Clark, administratrice au Programme des Nations unies pour le développement. Aussi le rapport présenté lundi par l’organisation vise-t-il à récuser les « idées fausses » souvent propagées. C’est sans ambiguïté qu’il s’intitule « Lever les barrières : mobilité et développement humain ». Selon l’équipe d’experts dirigée par Jeni Klugman, l’immigration est un phénomène qui profite autant aux pays de départ que d’arrivée, et qu’il faut à ce titre favoriser.

Sincère réquisitoire contre le durcissement des politiques d’immigration qui se développent en Occident, le document est un véritable pavé dans la mare. Sa thèse n’est pas tout à fait nouvelle, « elle a été présentée depuis plusieurs années dans différents rapports », précise Adam Rogers, du bureau de liaison du Pnud à Genève. Mais ses prises de position aux antipodes du discours médiatique et politique courant, dont les premières victimes sont les migrants africains, interpelle.

Une migration africaine qui reste faible

Le rapport du Pnud est une analyse conjointe des migrations et du développement humain. Celle-ci permet de faire ressortir un élément à première vue étonnant. Contrairement à l’opinion commune, les pays d’émigration sont d’abord et avant tout ceux dont l’IDH est élevé (entre 0,8 et 0,9 sur une échelle de 1), avec presque 9% de population migrante. Les pays africains, à l’IDH quasi exclusivement faible ou moyen (respectivement inférieur à 0,5 et compris entre 0,5 et 0,8) « ont un taux d’émigration qui correspond en moyenne à 3% de la population », précise Adam Rogers.

« La migration intérieure au continent est par ailleurs plus importante que la migration à destination de l’Occident », ajoute-t-il. Quelque 13,18 millions de migrants africains sont en effet partis pour un autre pays africain selon les chiffres de 2007, contre 11,59 millions à destination des pays développés. Le rapport entend également relativiser quelque peu la place des déplacements de population fuyant les conflits armés, qui représentent 13% du total pour le continent. Le reste, insiste Rogers, relève majoritairement du désir de partir dans un pays où les conditions de vie sont meilleures. Et malgré les difficultés rencontrées, les immigrés sont, selon le Pnud, généralement « heureux dans leur région de destination ».

Un transfert gagnant-gagnant

Dénonçant les préjugés à l’encontre des immigrants dans les pays d’accueil, le Pnud met en avant les avantages pour leur économie. L’arrivée des travailleurs étrangers peu qualifiés n’a, sauf rares exceptions, pas d’impact négatif sur le marché de l’emploi pour les travailleurs locaux. Le document va même plus loin, en affirmant que « les migrants stimulent l’économie, et ce à un coût réduit, voire nul ». Par exemple, le fait que des femmes nouvellement arrivées soient employées pour la garde d’enfants libère souvent les femmes du pays d’accueil pour reprendre une activité professionnelle et ainsi créer de la richesse. La population, vieillissante dans les pays du Nord, est enfin rajeunie par cet apport étranger.

Le pays d’origine n’est pas pour autant perdant, à en croire l’équipe d’experts, puisque les migrants conservent en général des liens avec leur pays et leur famille. Cet état de fait se traduit par des retombées économiques, dont les plus directes sont des transferts d’argent à la famille. La région de Kayes, au Mali, doit le développement de la majorité de ses infrastructures à ses ressortissants vivant en France par le biais de ces transferts. « Les idées démocratiques circulent également, par exemple concernant la place des femmes dans la société », poursuit Adam Rogers. Quant à la fuite des cerveaux, le Pnud considère que les craintes qu’elle inspire ne justifient pas de limiter les migrations, car elle n’est que la manifestation d’un problème structurel à laquelle la libre circulation peut apporter des solutions. Quant aux travailleurs peu qualifiés, l’organisme préconise ouvertement de faciliter une immigration saisonnière légale. Rogers en explique la raison : « Un travailleur qui parvient à obtenir une autorisation pour six mois mais qui ne sait pas s’il pourra revenir ensuite, vous pensez qu’il va vouloir repartir dans son pays ? ».

C’est donc à une « levée des obstacles à la circulation et [à] une amélioration du traitement des migrants » qu’appelle le rapport, à rebours du climat antimigratoire qui règne dans les pays développés.

Lire aussi :

 Politique d’immigration européenne : des violations des droits humains dénoncées

Sur le site du PNUD

 Le résumé du rapport en PDF

 Le rapport en PDF

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