Le paradoxe marocain : quand 77 milliards de dette cohabitent avec une fortune royale de 9 milliards


Lecture 4 min.
Dette publique et richesse royale au Maroc

Quatrième économie la plus endettée d’Afrique selon Afreximbank, le Maroc présente un contraste saisissant : 77 milliards de dollars de dette extérieure face à une monarchie détenant une fortune personnelle estimée entre 6 et 9 milliards de dollars. Une dualité qui interroge la gouvernance économique et alimente les débats sur l’équité fiscale dans le royaume.

Le Maroc dans le peloton de tête des débiteurs africains

Le nouveau rapport d’Afreximbank classe le Maroc au quatrième rang des pays africains les plus endettés, avec 5,9% de l’encours continental de dette extérieure, soit environ 77 milliards de dollars. Six pays seulement – l’Afrique du Sud (13,1%), l’Égypte (12%), le Nigeria (8,4%), le Maroc (5,9%), le Mozambique (5,3%) et le Soudan (5,2%) – détiennent 50% de la dette extérieure africaine totale, estimée à 1 300 milliards de dollars en 2025.

Sur le plan de la solvabilité, le royaume figure parmi les deux tiers d’États africains dont la dette publique reste au-dessus du seuil de viabilité de 50% du PIB défini par le Fonds monétaire international. Selon la Cour des comptes marocaine, la dette totale du pays représentait 71,5% du PIB en 2023, en hausse par rapport aux 69,5% de 2022.

Néanmoins, côté liquidité, le Maroc reste en deçà de la barre critique de 20% des recettes publiques absorbées par le service de la dette, seuil qui met aujourd’hui sous pression 25 pays africains. Ces indicateurs traduisent une situation encore soutenable, mais vulnérable à un choc exogène.

Une monarchie à la tête d’un empire économique tentaculaire

Le roi Mohammed VI dispose d’une fortune personnelle estimée entre 6 milliards de dollars en 2024 selon Business Empire Africa et 9 milliards de dollars pour Networthmama. Ces chiffres en font de loin le monarque le plus riche d’Afrique et l’un des monarques les plus fortunés du monde. Cette richesse provient principalement du holding Al Mada (anciennement SNI), conglomérat présent dans la banque (Attijariwafa Bank), l’énergie (Nareva), la grande distribution (Marjane), les mines (Managem), le ciment (LafargeHolcim Maroc) ou les télécommunications (Inwi).

Avec 65,5 milliards de dirhams (6 milliards d’euros) de capitaux propres consolidés et 33,9 milliards de dirhams de chiffre d’affaires en 2018, Al Mada opère dans 24 pays africains à travers plus de 80 filiales et participations. Le holding détient notamment 46,5% d’Attijariwafa Bank, premier groupe bancaire marocain présent dans 26 pays africains.

Un contraste chiffré révélateur

La Fortune du roi Mohammed VI représente donc environ 10% de la dette nationale.  Autre chiffre qui choque, selon l’économiste et activiste marocain Fouad Abdelmoumni, le roi et sa famille dépensent chaque année un budget plus élevé que celui de six ministères.

Le contraste nourrit un sentiment d’injustice lorsque de nouvelles taxes ou coupes budgétaires sont annoncées pour maîtriser la dette, alors que 90% des 27,5 millions de Marocains en âge de travailler ne touchent pas le salaire minimum légal.

Conflits d’intérêts potentiels ?

En outre, la holding Al Mada exerce une mainmise sur l’économie marocaine dans des secteurs régulés par l’État, créant des conflits d’intérêts manifestes. Même si aucune pression n’est exercée, il est n’est pas illogique que l’administration cherche a ne pas créer de contraintes au développement des activités royales.

La concentration de capitaux privés au sein d’Al Mada pourrait théoriquement permettre de financer des projets structurants sans recourir à l’emprunt public, et donc à moindre coût pour le peuple marocain.

Le Maroc reste pour l’instant en zone de dette gérable, mais son exposition aux marchés internationaux et aux dynamiques budgétaires mondiales requiert une vigilance accrue. Chaque dirham supplémentaire d’endettement public coexiste avec les milliards privés concentrés entre les mains de la monarchie. Une situation qui pourrait se tendre rapidement en cas de crise économique mondiale.

Avatar photo
Ali Attar est un spécialiste reconnu de l'actualité du Maghreb. Ses analyses politiques, sa connaissance des réseaux, en font une référence de l'actualité de la région.
Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News