Le mbalaax cool d’Omar Pene


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Omar Pene
Omar Pene

Omar Pene sort son nouvel album Myamba après avoir fêté en décembre 2004 à Dakar les 30 ans du Super Diamono. Le mabalaax internationalisé par cette légendaire formation, par Youssou N’Dour ou Ismael Lô, s’invite sur Myamba dans un cadre musical dépouillé et aéré. L’artiste sénégalais y instaure un dialogue plus intime avec les percussions, sans se départir de son goût pour la chronique sociale.

« Maître, je te confie l’enfant, l’espoir, l’avenir ». Omar Pene rend hommage dans le morceau « Baïla » à son ancien maître Baïla Diagne, qui, un soir de l’année 1972, a convaincu ce jeune homme croisé dans les faubourg de Derklé à Dakar d’abandonner son rêve de footballeur. Deux jours plus tard il intégrait Kadd Orcchestra. Sa voix haute et pure, son phrasé rythmique et ses messages ont depuis conquis pas mal de fans. Ils étaient 200 000 à l’occasion de ses trente ans de carrière en décembre 2004. Aujourd’hui c’est lui qui incarne l’espoir, l’avenir, en cultivant la proximité avec son public. Dans son nouvel album Myamba, Omar Pene se livre à l’expérience acoustique ; contrebasse, percussions fines et légères, et toujours le sabar, les guitares et les chœurs du Super Diamono. Selon le producteur Olivier Bloch-Lainé, avec qui il a expérimenté ces arrangements, « c’est l’album d’un songwriter, dont la musique est profondément humaine ».

Afrik.com : Diamono renvoie à génération en wolof, à quelle génération aviez-vous le sentiment d’appartenir aux débuts du Super Diamono ?

Omar Pene : Dans les années 70, la musique était dominée par les griots, les louanges, et on voulait se démarquer avec des thèmes plus engagés. On voulait se sentir plus proches des jeunes Sénégalais, et on cherchait à dénoncer certaines pratiques. Comme le fait par exemple de s’enrichir illégalement. Avant que le mbalax n’apparaisse, c’était la mode de la salsa, mais nous on préférait le reggae, le jazz, qui étaient des musiques plus engagées. Du coup, on n’avait pas de contrats, mais ce n’était pas le plus important, car on était ensemble et on jouait la musique qui nous plaisait.

Afrik.com : Comment ces courants musicaux étaient-ils diffusés à Dakar ?

Omar Pene : C’était diffusé dans les milieux estudiantins. Car sur les radios, on entendait surtout de la musique anglo-saxonne, ou de la salsa sauce mbalaax, beaucoup de gens ne comprenaient pas le jazz. Ils s’étonnaient qu’on puisse s’y intéresser, et notre groupe était taxé de marginal. Donc on ne passait pas à la radio, mais ça marchait dans les banlieues et les quartiers pauvres.

Afrik.com : Aujourd’hui votre album est très enrobé de jazz, comment l’avez-vous préparé?

Omar Pene : Ça faisait longtemps qu’il y avait dans l’air cette idée d’album acoustique. Quand j’ai sorti l’album 25 ans avec le Super Diamono, il y avait déjà quelques morceaux dans cet esprit, et j’ai vu que les gens accrochaient. En 2003, j’ai rencontré Olivier Bloch-Lainé, le producteur de Myamba, et on a longuement discuté. On a mis du temps à préparer ce disque, car on cherchait une certaine couleur. Je suis ouvert et j’aime bien découvrir, mais on m’a toujours connu avec le Super Diamono et c’était très important de garder notre cachet. On voulait changer tout en préservant l’authenticité de notre musique. On a fait plusieurs tests, on a travaillé dans une bonne ambiance. Je n’ai pas assisté à toutes les étapes car j’avais des concerts, mais j’étais satisfait du résultat.

Afrik.com : Comment définiriez-vous le style de Myamba ?

Omar Pene : Le plus naturellement possible, c’est du mbalax cool, un album dépouillé qu’on peut écouter tranquillement chez soi, c’est nouveau sur la scène internationale.

Afrik.com : Il y a sur cet album des musiciens issus de la scène world-jazz parisienne, mais aussi des membres du Super Diamono, vous êtes restés très soudés depuis 1974 ?

Omar Pene : Il y a eu pas mal de départ, et beaucoup sont aujourd’hui éparpillés.
Lorsqu’on a fêté nos 30 ans en décembre dernier à Dakar, on a fait une grosse fête avec tous les musiciens du Diamono, ils étaient une quinzaine… sans compter le groupe actuel, qui est beaucoup plus jeune. L’orchestre s’est renouvelé, mais le style est là, car ce sont des musiciens qui ont grandi en écoutant notre musique.

Afrik.com : Vous vous livrez à de nombreuses peintures sociales, qu’il s’agisse de votre choix d’enfant ayant préféré la rue à l’iniquité engendrée par la polygamie à la maison, de cet ouvrier exténué et abattu par le travail, de cette femme qui s’adresse à son mari ayant émigré…vous êtes resté attentif à votre société…

Omar Pene : Oui c’est vrai, mais je remarque que c’est beaucoup plus dur que quand j’étais jeune… Donc on doit dire les choses de façon très crue pour pouvoir progresser. Il faut parler de cette vie de tous les jours, on est écoutés. Je me dois d’essayer d’apporter un réconfort à mon public en lui montrant que je ne suis pas indifférent aux difficultés qu’il rencontre. On est très présents dans les quartiers défavorisés, Pikine, Guédiawaye, mais aussi dans les coins les plus reculés du Sénégal : même s’il n’y a pas l’infrastructure pour nous permettre de nous produire, on s’organise, et on trouve le moyen de jouer malgré tout. C’est important de parler à mon public, et aux jeunes, ils savent que je me soucie d’eux… et ça leur permet de se défouler deux-trois heures…

Afrik.com : En 1989 s’est créée l’Afsud Sénégal, l’amicale des fans de Super Diamono, cette association existe-t-elle toujours ? quels sont ses objectifs ?

Omar Pene : Oui la structure existe, ses membres sont éparpillés dans le Sénégal, certains même sont en Europe. Ils s’inspirent des thèmes que nous développons dans les chansons, ils font des expositions, des GIE (groupement d’intérêt économique), par exemple en ouvrant des centres d’accueil pour de jeunes filles ou garçons non scolarisés, ou en accompagnant les projets, les initiatives. De notre côté on organise des concerts spéciaux et on leur reverse l’argent.

Afrik.com : Que pensez-vous de la pléthore de groupes de rap qui caractérise le Sénégal ?

Omar Pene : C’est très important, il y a un engouement extraordinaire pour le rap. La plupart de ces groupes est issue de la rue. Je suis très sensible à la situation des jeunes : ils ont beaucoup de difficultés à trouver du travail, ça donne des sentiments de frustration, d’agressivité. Il n’y a pas de débouchés, ils s’ouvrent au monde avec Internet car ils ne veulent pas être largués, mais ils n’ont pas les moyens de faire ce qu’ils souhaitent. C’est bien qu’ils aient un créneau pour exprimer ce qu’ils ont sur le cœur, même si c’est parfois un peu cru, ils ne ménagent pas les autorités. Le rap fait maintenant partie du paysage sénégalais, il faut les encourager.

Par Agnes Faivre

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