Le Maroc, Serge Dassault et ses « loustics » de Corbeil-Essonnes


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A trois mois des échéances électorales françaises, la quatrième fortune de France, le sénateur UMP de l’Essonne Serge Dassault, est accusé d’être l’instigateur d’une tentative d’assassinat et d’avoir transféré des millions d’euros par le biais de circuits opaques.

Le 14 février 2013, Serge Dassault déjeune au « Rond-point », le siège du groupe Dassault, avec son successeur à la mairie de Corbeil-Essonnes, Jean-Pierre Bechter, et Riad Ramzi, le numéro 2 de l’ambassade du Maroc à Paris. Officiellement, il est question de F16 et de Rafales. Officieusement, on aurait élaboré un plan pour faire arrêter un homme qui s’est dit témoin d’un système d’achat de voix orchestré par Serge Dassault Himself.

Cet homme, c’est Fatah Hou, un boxeur trentenaire de Corbeil-Essonnes qui a échappé à la mort par balles l’année dernière. Il a déposé plainte contre trois personnes pour « association de malfaiteurs » et « collecte de données à caractère personnel », à savoir : l’ancien maire Serge Dassault (1995 à 2009), son successeur Jean-Pierre Bechter et un diplomate marocain.

Fatah Hou accuse les trois hommes d’avoir comploté pour le faire arrêter au Maroc avec deux autres personnes. Il s’appuie pour cela sur des écoutes téléphoniques dans lesquelles Bechter parle de trois « emmerdeurs de Corbeil ». « Je sens que quand ils vont arriver au Maroc, ils vont être surpris de l’accueil », aurait-il déclaré. Fatah Hou est franco-marocain et voyage régulièrement au Maroc. Son avocate, Me Dosé, dénonce le projet qui visait à « faire interpeller [son client] par la police marocaine (…) et le faire incarcérer arbitrairement au Maroc » lors de l’un de ses nombreux voyages sur place.

En 2012, Fatah Hou avait tourné une vidéo clandestine dont Médiapart a publié des extraits, dans laquelle Serge Dassault reconnaît avoir acheté la victoire de son successeur à la mairie de Corbeil. On parle d’une somme de 1,7 million d’euros en jeu.

Le « complot » est en marche

Cinq jours après ce fameux déjeuner, Fatah Hou se fait tirer dessus par Younes Bounouara, l’homme de main de Serge Dassault, en plein centre-ville de Corbeil. Une nouvelle qui aurait fait rire le riche homme politique. « Il fit mine d’avoir envie d’envoyer des fleurs à la victime avant d’éclater de rire. » « J’ai ri, c’est comme cela », a expliqué Serge Dassault aux policiers. Mais « à l’heure d’aujourd’hui, il ne nous fait plus chier », ajoute l’industriel, selon l’avocat Marie Dosé.

Jean-Pierre Bechter aurait appelé, la veille du déjeuner, Machira Gassama, le directeur du service de la jeunesse et des sports de Corbeil afin qu’il lui envoie rapidement « les noms et les adresses précises des deux loustics et les téléphones (…). On a monté le déjeuner pour ça, hein », insiste-t-il. Les « loustics » de Dassault seraient donc les pièces maîtresses à éliminer avant que le puzzle ne s’écroule ?

Le soir-même, Bechter fait un compte rendu de cette rencontre. Le conseiller de l’ambassadeur se serait montré compréhensif. « Le mec, il se pourléchait les babines (…) : “Oui, oui, oui, on va s’en occuper, Monsieur Dassault, ne vous inquiétez pas, (…) ces gens-là vous font chanter.” » Le « nouvel ambassadeur, vous serez content de l’entendre, c’est l’ancien ministre de l’intérieur », poursuit M. Bechter dans un rire. « Je sens que quand ils vont arriver au Maroc, ils vont être surpris de l’accueil à la descente de l’avion. » « Ça, c’est une bonne nouvelle (…), ça nous enlèvera une épine, hein », s’enchante Gassama. « Oh putain, ça, c’est vrai, répond le maire. C’est les trois derniers emmerdeurs hein quand même », rapporte le journal Le Monde.

Des explications aussi confuses les unes que les autres. Mais de qui parlait-il ? Quel accueil devait être réservé à ces « loustics » ? Il aurait était question « qu’ils aillent au Maroc dans leur famille et qu’on n’en entende plus parler à Corbeil. C’est ce que je comprends dans ce que vous me dites », essaie l’industriel. « Si Fatah Hou avait été au Maroc, ça lui aurait évité de se faire tirer dessus. »

Juste des « emmerdeurs »

Selon Gassama, il était question d’une tentative de « médiation » avec les parents des « loustics » car ces derniers « déconnaient », rien d’autre. Les « noms et les adresses des deux loustics et les téléphones » ? Juste « une histoire de visa », affirme Jean-Pierre Bechter. Plutôt une histoire digne d’une saga Scarface.

Les avocats de Dassault dénoncent une « instrumentalisation judiciaire » et ont actualisé la plainte déposée début novembre 2013 par Serge Dassault pour « chantage, menace » et « tentative d’extorsion de fonds ». Dassault et Bechter auraient reçu une vingtaine de SMS de « maîtres chanteurs » pendant les fêtes. « Pour vous souhaiter un bon Noël, sachez qu’une plainte sera déposée (…) pour tentative d’enlèvement (…). Il n’y a que vous qui puissiez arrêter l’engrenage de cette histoire qui sera votre fin. » Jean-Pierre Bechter fut prié « de rendre la raison à SD [Serge Dassault] », sinon « plus de mairie et certainement dans un avenir proche case prison ». « A chaque fois que M. Dassault est gêné judiciairement, il dépose plainte pour menaces », ironise Marie Dosé.

Demande de levée d’immunité rejetée

L’affaire se corse ce mercredi avec le refus du bureau du Sénat de lever l’immunité parlementaire de Serge Dassault. Les sénateurs ont ainsi rejeté, par 13 voix contre 12, la demande des juges d’instruction parisiens Serge Tournaire et Guillaume Daïeff, en charge de l’enquête sur les achats présumés de votes à Corbeil-Essonnes. En préservant son immunité, les sénateurs interdisent aux magistrats de placer Dassault en garde à vue. Mais les juges restent libres de l’auditionner.

L’avionneur continue de nier les achats de voix et que les individus qui le mettent en cause ne sont que des « maîtres chanteurs » et une bande de « voyous » qui en avaient après son argent. Il se défend d’avoir organisé un quelconque meurtre. Quant à la somme de 2 millions d’euros qu’il a versée en 2011 à Younès Bounouara, par l’intermédiaire de chèques issus d’un compte bancaire libanais, il s’agissait, selon lui, d’un don qui « a servi pour des investissements en Algérie ».

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