Le mal ivoirien


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En lisant la chronique de mon confrère Vincent Tohbi Irie, à la rubrique « « La Matinale », du mercredi 17 décembre 2014, j’ai été véritablement bouleversé et peiné de réaliser à quel point notre pays est encore otage de la haine et de la manipulation politique.

Merci à Vincent de nous rappeler que les cœurs de certains de nos frères et sœurs sont encore remplis d’hostilité, traduisant ainsi l’enferment de leur psychisme dans des idéologies dangereuses pour la cohésion sociale.

Trahir mon parti politique

Mon collègue rapportait dans son excellente chronique, une conversation surprise par hasard dans un espace public, d’un groupe de femmes quinquagénaires et semble-t-il « responsables ». L’une d’elles répondant à son amie à propos du pont HKB dit, « moi, je ne monterai jamais sur ce pont pendant toute mon existence. Si je le fais, c’est que j’aurai trahi mon parti politique ». Voilà de quoi glacer le sang de n’importe quel individu sensé, partout ailleurs dans le monde. Dans notre pays, cela ne semble plus choquer, tellement les esprits sont désormais habitués à de tels propos hallucinants. Qui serait insensible à de tels propos dans une société dite démocratique ou en voie de l’être, qui forme chaque année des milliers d’universitaires et de centaines d’intellectuels ? Qui ne serait pas agressé par de telles ignominies, lorsqu’il est pourvu d’un sens de raisonnement et d’un esprit critique et de logique ?

Comme le dit Vincent dans son papier, « nous finirons un jour par avoir en Côte d’Ivoire un pont RDR, un pont FPI et un pont PDCI ». En effet, si chacun d’entre nous devait raisonner comme cette dame, il faudrait autant de ponts que de partis politiques dans notre pays, afin de permettre à chaque militant de pouvoir circuler sur le pont de son parti politique. Toujours dans cette logique des choses, chacun d’entre nous devrait aussi circuler sur les routes construites par sa formation politique et aller se faire soigner dans les hôpitaux construits par les mêmes. Ce raisonnement peut s’étendre ainsi indéfiniment jusqu’aux situations les plus absurdes.

On pourrait également imaginer un parent habitant à deux pas du pont HKB, qui doit conduire de toute urgence son enfant à l’hôpital, refuser de passer sur ce pont, au seul motif de « ne pas trahir son parti politique ». Pour cela, il faudrait prendre un chemin beaucoup plus long, braver les embouteillages, même si cela doit mettre en péril la vie de son enfant. Mieux encore, il faudrait s’assurer que cette route ait été construite ou réhabilitée par son parti politique. Là encore, il faudrait créer un GPS qui répertorie toutes les routes, autoroutes, voies, rues et chemins construits ou réparés par sa formation politique afin de ne pas avoir le sentiment de l’avoir trahi.

Prisonnier de l’idéologie politique

En réalité, derrière l’aspect burlesque de ce type de raisonnement se cache une véritable absence de culture politique démocratique. Lorsque l’idéologie politique nous empêche désormais d’avoir une pensée rationnelle, un esprit critique et un recul par rapport à ce que nous font croire nos leaders politiques, c’est que nous sommes prisonniers de celle-ci. Et c’est très grave, parce que cela peut nous conduire à l’extrémisme sans nous en rendre compte. On peut combattre politiquement les idées ou le programme politique d’un homme ou d’un parti, tout en faisant la part des choses, entre ceux-ci et l’utilisation de biens ou d’infrastructures publics. D’autant plus qu’ils ont été réalisés en totalité ou en partie par des financements publics, c’est-à-dire, les impôts de chacun d’entre nous, quelle que soit notre formation politique. Lorsqu’un pouvoir équipe une commune, un village ou un quartier, en eau potable ou en électricité, ce sont des biens collectifs qui ne sont pas dédiés aux militants et sympathisants du pouvoir qui les réalise. Ce serait une hérésie, voire même incongru, pour ne pas dire complètement ridicule.

Quel homme politique ivoirien du FPI, du RDR, du PDCI, de l’UDPCI ou autre, réaliserait de tels ouvrages sur des fonds publics, dans une collectivité, uniquement pour l’utilisation de ses militants et sympathisants ? On peut le dire dans les meetings pour faire plaisir à des naïfs, mais aucune femme ou homme politique sérieux ne pourrait le mettre en pratique, même dans les plus fous de ses rêves.

Macaire Dagry
Chroniqueur politique à Fraternité Matin

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