Tiken Jah Fakoly, le combattant des maux


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Tiken Jah Fakoly
Tiken Jah Fakoly

C’est un Tiken Jah plus militant que jamais qu’Afrik a rencontré à Paris à l’occasion de la fin de l’enregistrement de son prochain album. Le reggaeman ivoirien, de retour de Jamaïque, reste animé par la même flamme. Il estime qu’il tient le flambeau d’un combat qu’il doit transmettre aux nouvelles générations. Il ne doute pas que la lutte finisse, un jour, par aboutir. Interview.

Tiken Jah Fakoly a gardé toute son âme reggae. Une musique engagée et militante qui lui ressemble. Afrik a croisé, mercredi à Paris, l’artiste ivoirien de retour de Jamaïque, où il a été enregistré son prochain album prévu pour l’automne prochain. Il nous livre la couleur de son nouvel opus, évoque la Jamaïque et surtout nous parle de son combat, d’hier, d’aujourd’hui, de toujours. Il commente bien évidemment pour nous la situation en Côte d’Ivoire.

Afrik : Comment s’appellera votre prochain album ?

Tiken Jah : On a presque fini le travail, l’album sort normalement fin septembre. Il s’appellera Coup de gueule. Coup de gueule parce que je suis un peu énervé par ce qui se passe dans le monde en ce moment et j’ai envie de m’exprimer là-dessus.

Est-il toujours autant tourné vers le continent africain ?

Celui-là est plus universel. Je crois que c’est ce qui fait la différence entre cet album et les précédents. C’est un album plus ouvert sur le monde. Je ne parle pas seulement de l’Afrique, je parle également de la Tchéchénie ou encore de l’Irak.

Y parlez-vous de la Côte d’Ivoire ?

Bien sûr, c’est un passage obligé (dans un sourire). Je crois qu’avant de dire aux autres qu’il faut qu’ils ballaient chez eux, on doit d’abord balayer chez soi. C’est pourquoi ma carrière a commencé par les sujets concernant la Côte d’Ivoire. Puis j’ai ouvert mes textes sur l’Afrique et aujourd’hui sur le reste du monde.

Quel regard portez-vous sur la situation dans le pays ?

La situation est inquiétante. On n’en revient pas d’entendre certaines choses. Comme le fait d’interdire les marches. Alors que c’est le gouvernement qui, grâce à ces marches, a réussi à arracher le multipartisme à Houphouët-Boigny. On constate qu’il y a des gens qui profitent de cette guerre là et qui n’ont pas envie que ça finisse.

Êtes-vous partisan d’une paix à n’importe quel prix ?

Je ne demande pas la paix sans justice et égalité. Il faut soigner les plaies. Il est choquant, par exemple, de parler « d’ivoirisation » des emplois dans un pays où les étrangers ont tout donné pour contribuer à sa prospérité.

En tant qu’artiste ivoirien engagé, avez-vous déjà reçu des menaces destinées à vous faire taire ?

Aujourd’hui, je suis très prudent. C’est pour ça que je suis encore là. Au temps de Gueï, j’avais reçu directement des menaces, mais pas là. J’ai des échos d’Abidjan qui me confirment que je suis menacé là-bas. Je pense que s’ils n’avaient pas tué H (le comédien Camara H, assassiné en février 2003, ndlr), c’est moi qu’ils auraient choisi. Parce que je représente les gens du Nord qu’ils assimilent tous à des rebelles. Ils ont assassiné H pour blesser le Nord de la Côte d’Ivoire.

Donc vous n’êtes pas prêt à jouer en Côte d’Ivoire pour le moment ?

Ce ne serait pas une bonne idée d’aller jouer en Côte d’Ivoire en ce moment pour des raisons de sécurité. Par rapport au pouvoir, mais aussi par rapport aux patriotes qui jouissent d’une sorte d’impunité. Ils sont, par exemple, les seuls à avoir le droit de faire des marches.

Pour en revenir à votre album, vous êtes encore allé l’enregistrer en Jamaïque. La Jamaïque est-elle vraiment, comme on le dit souvent, La Mecque du reggae ?

La racine du reggae se trouve là-bas. Les meilleurs musiciens, les meilleurs ingénieurs du son se trouvent en Jamaïque. Il y a 300 singles (45 tours, ndlr) qui sortent par semaine. On trouve des jeunes qui viennent de la campagne pour chercher un producteur en ville. Quand ils commencent à chanter devant toi, tu n’en reviens pas et tu te demandes qu’est ce qu’ils font là toujours en brousse. Le reggae en Jamaïque c’est comme le football au Brésil.

Derrière l’artiste, il y a un groupe. Or tu te déplaces entre la Jamaïque, l’Afrique et la France. Ton groupe te suit-il à chaque fois ?

J’ai un groupe qui est basé en Côte d’Ivoire qui me suit lors de mes concerts en Afrique, de l’Ouest généralement. Et j’ai un groupe ici, en France, avec lequel je joue dans le reste du monde. Mais il arrive que je fasse un mélange entre les deux formations, comme c’est le cas pour ma prochaine tournée en Afrique centrale.

Pourquoi avoir deux groupes ?

Parce que c’est pratique. C’est aussi pour des raisons de visa. L’ambassade nous fait plein de tracasseries avec les titres de séjour. En même temps, ils ont raison parce que certains artistes ont donné le mauvais exemple. Quand tu signes un contrat avec des salles en France et que tu apprends à la dernière minute que tes musiciens n’ont pas pu voyager, ça te décrédibilise. Je dois fonctionner avec deux groupes, sauf si j’arrive à avoir des cartes de séjour pour tout le monde ou des visas longue durée.

Vous avez maintenant une notoriété internationale. Mais avez-vous l’impression que les gens comprennent vraiment vos combats ?

Ils comprennent mon combat. Si j’en juge par les encouragements et les félicitations que je reçois. Quant à être près à s’engager dans les même combats que moi, il reste du travail à faire. Ils ne sont pas encore capables de se mobiliser pour dénoncer la Françafrique et le complot de l’Occident contre l’Afrique.

N’en avez-vous jamais assez de lutter ?

J’ai l’opportunité de m’exprimer. Il serait dommage que je n’en profite pas. Il y en a qui sont morts pour ça, comme, Thomas Sankara (Burkina Fasso) ou Kwamé Nkrumah (Ghana), Patrice Lumumba (RDC). Mon but n’est pas de voir les résultats de mon combat, mais de le transmettre aux prochaines générations. Je reste foncièrement optimiste. Il est faux de dire qu’il n’y a pas eu de changements en Afrique depuis les indépendances. Ceux qui luttent pour que ça change ne doivent pas baisser les bras. Il y a quelques années il n’était pas pensable de parler de multupartisme en Afrique. Le vrai malheur de l’Afrique sont ses dirigeants. Ceux qui prennent position pour s’écarter de la route que l’Occident leur a tracé sont assassinés.

Au-delà de la Côte d’Ivoire, qu’est-ce qui vous choque le plus aujourd’hui dans l’actualité internationale ?

Israël et la Palestine. Sans pour autant dire qui a tort et qui a raison, je me demande pourquoi les Casques bleus ne s’interposent pas dans le pays pour éviter les massacres. Tout le monde condamne mais reste à l’extérieur. Ce qui se passe en Tchéchénie me choque également énormément. Tout est cassé là-bas. Il n’y a plus rien. Et ça n’émeut personne.

Le reggae doit-il rester une musique de protestation ?

Le reggae est une musique de revendication et c’est mieux qu’elle reste dans ce registre-là.

Comment réagis-tu si l’on te qualifie de griot moderne ?

Le mot griot a été démystifié en Afrique. On a cassé le mythe. Le griot était le confident du roi. Il était le seul à pouvoir le regarder dans les yeux pour lui dire : « là ce que tu fais n’est pas bien ». Mais quelque soit ma notion du griotisme je ne peux pas chanter pour quelqu’un dont je ne connais pas la famille et les ancêtres. Si je prends ton argent pour ça, je t’aurais blagué. Ceux qui font ça ne sont que des griots alimentaires. De toute façon, à la base, dans la société malinké, les familles de griots s’appellent Diabaté ou Kouyaté. Les Fakoly, comme moi, sont des guerriers et des forgerons. Ceci explique sans doute pourquoi je suis un homme de combat.

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