Le «bon» immigré et les autres


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Les Européens veulent faire supporter les problèmes de l’émigration clandestine aux pays de l’Afrique du Nord en les amenant à accepter l’ouverture de centres de transit sur leurs territoires. Les gouvernements du Maghreb sont prêts au dialogue, mais à certaines conditions.

La Libye est le premier pays à être pointé du doigt par les Européens pour être un passage vers Malte à des milliers de migrants clandestins. La Jamahiriya s’en défend. Son ambassadeur à Malte le dit avec arguments en main. « Nous avons des frontières très longues et un désert immense, nous ne pouvons contrôler tous les mouvements de ceux qui les empruntent », a-t-il soutenu à Sleïma, une jolie petite ville de l’archipel de Malte. Dr A.E. El Shelmani dit plus et mieux. « La lutte contre l’émigration clandestine, si elle est importante, elle n’est pas, par contre, notre priorité, nous n’avons pas à mettre de l’argent pour régler cette question, nous le faisons et nous déployons de grands efforts pour la mise en oeuvre de programmes économiques et sociaux en faveur du peuple libyen et des jeunes pour les inciter à rester dans leur pays », précisera-t-il. Il rappelle que « la Libye aide en plus certains pays africains à surmonter leurs problèmes politiques économiques à l’exemple du Darfour et du Tchad ».

L’ambassadeur libyen a été acculé par les journalistes venus des pays de l’Est dont les questions comportaient une accusation directe de la Libye de la prolifération de migrants clandestins en Europe. Malte se sent très concernée par cette question et voit en la Libye (et à moindre degré en l’Algérie) un transit tout indiqué pour les migrants en provenance des pays du Sahel.

De l’Algérie, on en parlera rarement durant la rencontre sur l’émigration clandestine organisée à Malte. « Nous n’avons même pas d’ambassades respectives », nous dit un responsable au ministère maltais des Affaires étrangères. « L’ouverture d’une ambassade nécessite beaucoup d’argent, nous ne pouvons le faire », nous dit-il. Et si La Valette a désigné l’année dernière une femme pour être sa représentante diplomatique en Algérie, Alger n’a pas donné de suite à cette nomination. Et en langage diplomatique « cela veut dire un refus ! »
La Jamahiriya estime par la voix de son ambassadeur que l’émigration clandestine est « un phénomène complexe certes, mais international qui nécessite par conséquent des solutions internationales ». Il n’est pas question pour l’Europe d’imputer son existence aux seuls pays du Sud parce que, dit Dr El Shelmani, « la colonisation y est pour beaucoup ». Il citera d’autres causes essentielles à ce phénomène comme les guerres, les conflits fratricides et les régimes totalitaires ou dictateurs. Il remettra en question, par ailleurs, la création de l’espace Schengen « qui encourage les migrants à se déplacer d’un pays à un autre sans difficulté ». La Libye se dit prête au dialogue et à la concertation sur ce sujet.

La lybie prête au dialogue mais à certaines conditions

Elle est cependant contre la réadmission « systématique » et refuse l’ouverture de centres de transit sur ses territoires. «C’est inhumain !», dit son ambassadeur, et «choisir le faciès et la qualification des migrants pour permettre aux pays européens d’avoir une migration sélective n’est pas une bonne chose pour nous, ce n’est pas à nous de le faire », estime-t-il. L’Europe est appelée par la Libye à consacrer un budget spécial pour que les pays du Sud contribuent à la lutte contre l’émigration clandestine. «Pour cela, nous avons besoin d’aides financières et techniques comme la fourniture à nos polices de moyens de surveillance», réclame son ambassadeur.

Le représentant du ministère maltais des Affaires étrangères, Yves de Borro, nous indique que la procédure d’interrogatoire des migrants clandestins à Malte pourrait prendre de 5 semaines à 5 mois. Malte a seulement une personne accompagnée de deux assistants pour mener des interrogatoires à près de 1.400 migrants détenus dans les centres. La gauche maltaise demande à ce que la procédure soit accélérée. «Comment ?», s’interroge un responsable du MAE, «nous ne pouvons recruter d’autres agents pour faire ce travail». Une fois recueillis par les garde-frontières, les migrants clandestins venus en général des pays du Sahel sont enfermés dans des centres et leurs enfants sont placés dans des orphelinats. Les organisations des droits de l’Homme ainsi que les partis maltais de gauche déplorent les conditions «inhumaines» dans lesquelles sont détenues ces familles.

Il existe à Malte cinq centres de détention dont trois sont des baraquements militaires dans un piteux état que le public ne peut en aucun cas visiter. Des journalistes maltais témoignent des mauvaises conditions de détention et « des mauvais traitements que les militaires ou les policiers affligent aux étrangers». «C’est déjà terrible de traverser le désert libyen sans qu’on soit tué ou qu’on soit sommé de verser 1.000 dollars par personne, alors quand on arrive à Malte, on est déjà exténué, malade», raconte un Erythréen. Les responsables maltais estiment «que nous savons d’où viennent exactement les clandestins ». « Ce sont les mêmes types de bateaux qui les ramènent », nous dit Yves de Borro en précisant que « on sait que ce sont des réseaux bien organisés ». Il est même possible, selon les Maltais, que « les bateaux soient achetés en Tunisie et le passage maritime est à partir de la Libye ». Et pour rire «même le fils de Kadhafi a décidé d’émigrer en Italie». L’ambassadeur adjoint de l’Autorité palestinienne à Malte parle de l’émigration clandestine autrement. A. Massalha fait part «des pressions qui sont exercées par les Maltais sur son ambassade parce que des milliers de migrants clandestins disent, une fois arrêtés, qu’ils sont palestiniens». L’astuce est facile: « ils le disent pour bénéficier de l’application des lois internationales sur les réfugiés qui ont fui des pays en guerre». L’impossible reconduite aux frontières est cet autre élément qui pousse les migrants à se présenter comme tels.

«Les Israéliens refusent toute reconduite aux frontières même s’il est prouvé que le clandestin est véritablement palestinien », dit le représentant de l’Autorité palestinienne. Et comme les Palestiniens n’ont en général pas de passeports, le reste est facile à deviner. « Je suis à Malte depuis trois ans, j’ai reçu des milliers de clandestins mais aucun n’est palestinien pour la simple raison que mes compatriotes ne peuvent sortir des territoires que sur autorisation de l’administration israélienne et celle-ci refuse en général de la leur délivrer », explique-t-il.
Massalha est persuadé que «sur le moyen et long terme, l’importance des flux migratoires poussera les Européens à mettre en place des gouvernements extrémistes et xénophobes».

Les actions de l’Europe pour 2007

Les responsables européens estiment qu’il est impératif d’initier une seule et unique politique d’immigration comme affirmé par le président de la commission européenne, José Manuel Barroso. (Voir Le Quotidien d’Oran du lundi 18 décembre 2006). Pour l’heure, cette politique a consisté concrètement en la création d’un réseau de gardes-côtes pour empêcher les migrants clandestins africains d’atteindre les côtes européennes du sud.

Les 25 projettent en outre, d’instituer une force d’intervention rapide aux frontières pour aider en particulier l’Italie, l’Espagne et Malte à y faire face. La commissaire de l’Europe, Benita Ferrero-Waldner a annoncé, en novembre dernier, l’organisation, en 2007, d’une conférence ministérielle sur l’immigration, axée sur l’immigration légale et clandestine et sur les migrations et le développement. Dans le chapitre de la lutte contre l’émigration clandestine et dans le cadre du partenariat euroméditerranéen, la Commission européenne prévoit de lancer des actions communes contre le terrorisme «notamment la mise en place du code de conduite approuvé l’année dernière, qui mettra particulièrement l’accent sur le rôle des médias dans la prévention des actes séditieux et sur les moyens à déployer pour faire respecter les droits de l’Homme dans la lutte contre le terrorisme».

Y figurent aussi dans le programme 2007 «la libéralisation du commerce et des services et le droit d’établissement, les négociations sur l’approfondissement de la libéralisation dans le domaine agricole, la convergence des réglementations et l’intensification des investissements afin de renforcer encore l’intégration économique». L’organisation d’une conférence ministérielle sur l’énergie «dont l’objet sera d’arrêter des priorités en matière de coopération en vue de garantir la sécurité des approvisionnements entre les partenaires méditerranéens et de promouvoir le rendement énergétique et les économies d’énergie».

Enfin, l’année prochaine connaîtra aussi le lancement par la commission d’un système de bourses au profit des étudiants de la région, la tenue d’une conférence sur l’enseignement supérieur et par ailleurs, le début de la mise en oeuvre du plan d’action arrêté lors de la première conférence ministérielle, tenue les mois derniers à Istanbul sur «le renforcement du rôle des femmes dans la société».

Par Ghania Oukazi, envoyée Spéciale du Quotidien d’Oran
, à Sleïma (Malte).

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