Le BIT contre l’exploitation des enfants dans l’agriculture


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La 6e Journée internationale contre le travail des enfants, célébrée ce mardi, est consacrée cette année à la lutte contre leur exploitation en milieu agricole. En Afrique, ce secteur emploie, souvent dans des conditions dangereuses, près de 70% des enfants qui travaillent. Précisions de Tite Habiyakare, chargé de programme principal dans le Programme international pour l’abolition du travail des enfants du Bureau international du travail.

De notre envoyée spéciale à Genève

Les enfants doivent quitter les champs et aller à l’école. C’est un peu l’appel que lance le Bureau international du travail (BIT), à l’occasion de la Journée internationale contre le travail des enfants. Une Journée inaugurée en 2002 et qui a pour objectif, cette année, de se pencher sur le sort des enfants qui s’échinent dans les champs et autres plantations. Une activité éprouvante qui souvent les prive de scolarité et les expose à divers dangers. Tite Habiyakare, rwandais, est chargé de programme principal dans le Programme international pour l’abolition du travail des enfants. Rencontré à Genève (Suisse) l’occasion de la 96e session de la Conférence internationale du travail, il nous précise le quotidien de ces jeunes travailleurs.

Afrik.com : Pourquoi avoir choisi d’axer cette journée sur le travail des enfants dans l’agriculture ?

Tite Habiyakare :
Dans notre deuxième rapport global sur le travail des enfants, publié en 2006, nous avons constaté qu’un pourcentage important d’enfants travaillaient dans l’agriculture, ce qui est très mauvais. Dans le monde, 69% des enfants travailleurs âgés de 5 à 14 travaillent dans l’agriculture, soit 132 millions de jeunes travailleurs. En Afrique, on compte 49,3 millions des 5-17 ans qui travaillent, dont 30 à 35 millions dans l’agriculture.

Afrik.com : Il arrive que les enfants travaillent au champ pour aider leur famille. A partir de quand estimez-vous que la ligne rouge est franchie ?

Tite Habiyakare :
A partir du moment où ils ne peuvent plus aller à l’école. Toute exploitation, même non dangereuse, reste une exploitation. Si un enfant va à l’école et doit, en rentrant, travailler autant d’heure que ce qu’il a fait à l’école et qu’il ne peut pas étudier, c’est une exploitation.

Afrik.com : A quels risques sont exposés ces enfants travaillant dans l’agriculture ?

Tite Habiyakare :
C’est une catégorie que l’on classe parmi les pires formes de travail car elle est très dangereuse. Il y a l’usage de pesticides dont la plupart sont prohibés. Or, bien souvent il n’y a pas de protection pour les adultes, a fortiori pour les parents. Les enfants souffrent de problèmes respiratoires et oculaires, de maladies de peau… Les enfants sont par ailleurs souvent blessés du fait de leur fragilité : ils manipulent des machettes, tombent facilement des arbres pendant la récolte du cacao, ils sont victimes de morsures d’insectes et de serpents parce que les enfants, pour beaucoup sans chaussures, ne savent pas reconnaître le danger et s’en protéger. Ces risques sont augmentés par la fatigue car ils travaillent de longues heures : cela peut aller de 12h à 18h par jour. Et ils ne peuvent pas dire qu’ils sont fatigués, surtout quand ils travaillent au sein de leur famille.

Afrik.com : Avez-vous constaté des décès chez ces enfants ?

Tite Habiyakare :
Ce qui est grave est que la plupart décède. Ils sont partis bosser car leur famille est pauvre, mais ceux qui les exploitent ne les amènent pas à l’hôpital. Le plus souvent, ce qui est facile c’est de laisser l’enfant comme ça. Quant aux parents, ils n’ont pas les moyens d’amener leur enfant à l’hôpital ou ne font pas le lien entre l’usage de pesticides, pour la plupart périmés, et la maladie. Parfois aussi, même si on identifie le mal, il n’y a pas le remède.

Afrik.com : Existe-t-il encore beaucoup d’enfants forcés de travailler dans les plantations ?

Tite Habiyakare : Il en reste beaucoup, mais il y a eu une grande mobilisation des acteurs nationaux et internationaux contre le travail des enfants dans les plantations de cacao, et même de café. Les Etats-Unis ont notamment menacé de boycotter les produits à base de cacao si les producteurs ne peuvent pas prouver que des enfants n’ont pas été utilisés. Aujourd’hui, il y a donc moins de risques de trouver des enfants dans les grandes plantations. Le problème est que certains pays n’ont pas de plantations mais des fermes familiales privées, comme le Ghana. Or, la plupart du code du travail s’axe sur le secteur formel public. Tout est ouvert et nous n’avons pas les moyens de contrôler ce qui s’y passe. Nous avons un système d’observation et de suivi basé sur la communauté locale, mais nous n’avons pas assez de financements. Nous avons contacté les acteurs de la filière cacao pour nous financer, mais nous avons rencontré des résistances…

Afrik.com : Un récent rapport de l’organisation Global Witness démontre comment le cacao a servi à financer la guerre en Côte d’Ivoire. Avez-vous constaté une hausse des enfants exploités dans les plantations pendant le conflit ?

Tite Habiyakare :
Nous n’avons pas vraiment noté une hausse. Au contraire, parce que la Côte d’Ivoire avait besoin de montrer un bon visage et elle a essayé de faire des efforts pour cela.

Afrik.com : Les enfants sont-ils payés pour leur travail ?

Tite Habiyakare :
Dans beaucoup de cas, ils ne sont pas payés du tout. Ils sont parfois payés, mais généralement c’est quelqu’un d’autre qui a l’argent : si ce ne sont pas les parents, qui souhaitent satisfaire leurs besoins de base, ce sera « le propriétaire » qui exploite l’enfant, dans le cadre de la traite des enfants, très développée en Afrique de l’Ouest et surtout en Côte d’Ivoire.

Afrik.com : Des gouvernements prennent-ils des mesures contre cette exploitation ?

Tite Habiyakare :
De plus en plus de gouvernements africains élaborent des mesures pour réduire le travail des enfants, y compris dans l’agriculture. Certains ont une politique nationale en ce sens : la Tanzanie, le Kenya, le Malawi, le Sénégal, le Mali et dans une certaine mesure le Niger et la Côte d’Ivoire. Le Ghana a en plus un programme pour combattre les pires formes de travail des enfants en général, mais aussi un programme de lutte contre l’exploitation des enfants dans les fermes.

Afrik.com : Des syndicats ou associations militent-ils contre le travail des enfants dans l’agriculture ?

Tite Habiyakare :
De plus en plus de syndicats s’impliquent. Au Bénin et au Togo, des associations de travailleurs ont créé un observatoire de lutte contre le travail des enfants dans le cadre de la traite. Au Cameroun, des ONG se sont regroupées pour combattre cette question. Au Kenya, un certain nombre d’associations se sont jointes aux travailleurs pour combattre le travail des enfants.

Afrik.com : Que se passe-t-il pour les enfants qui parviennent à s’échapper sans être rattrapés ?

Tite Habiyakare :
Lorsqu’il est rattrapé par la communauté, les instances judiciaires identifient l’enfant pour voir d’où il vient. Dans la plupart des pays, il y a des centres d’accueil pour ces enfants au niveau national, régional ou provincial. S’ils sont attrapés par la brigade, ils sont placés dans des « centres de passage » qui voient vers quelles institutions peuvent les prendre en charge et apporter une réponse à court ou long terme. S’iln’a pas de problèmes de santé, il peut bénéficier de cours d’alphabétisation, d’une scolarisation ou d’une formation, selon son âge. Très souvent, il n’est pas bon de les remettre dans leur famille car quelquefois, ils en sont arrivés là en la fuyant.

Afrik.com : Le VIH/sida a-t-il un impact sur le travail des enfants dans l’agriculture ?

Tite Habiyakare :
Il y a un lien dans la mesure où l’enfant est vulnérable soit parce que ses parents sont malades et qu’il est obligé de travailler, soit parce que ses parents sont morts et qu’il se retrouve chef de famille. Le sida est donc bien une cause de l’exploitation des enfants. En Zambie et en Ouganda, un projet pilote consiste à lutter contre le travail des enfants dû au sida.

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