La « Television » de Baaba Maal


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Television n’est pas une œuvre hypnotique comme le medium dont il porte le nom. Pour son dernier album, la partition choisie par Baaba Maal est plutôt celle de l’apaisement. Lui, préfère parler de la « maturité musicale » nécessaire quand on traite de sujets « qui peuvent susciter le débat». Rencontre avec l’indétrônable « roi du Yela ».

images_ok.jpg Le dernier album de l’artiste sénégalais Baaba Maal est une ballade propice à la réflexion. Notamment sur un média, la télévision qui donne son titre à la dernière production du « roi du Yela ». Baaba Baal s’y autorise tous les cocktails musicaux, reflet de l’artiste à la fois nourri de la musique de son terroir et sensible aux rythmes du monde. Illustration avec le titre International, au influences éléctro, rappelle aux Africains qu’ils sont bien des citoyens du monde. A l’instar de Baaba Maal. Ce dernier n’oublie pas non plus les femmes, un thématique prégnante dans le répertoire de ce natif de Podor. A la gent féminine, il dédie Tindo ou encore a Song for a women. Toujours dans le registre des hommages, il fait un clin d’œil à la capitale sénégalaise, Dakar. Télévision se fait compromis entre l’énergie vocale de Baaba Maal et de ceux qui l’accompagnent, et l’intensité d’une approche instrumentale. L’œuvre pourvoie alors l’apaisement qui doit précéder l’introspection.

Afrik.com : Votre dernier album a été baptisé Television. C’est un hommage ou une mise en garde ?

Baaba Maal : Je pointe du doigt un média fascinant, notamment en Afrique. Dans la cour ou dans le salon, la famille est réunie autour d’elle le soir. Elle est en toile de fond des conversations. Les Africains pourront tirer profit de ce média seulement s’ils l’utilisent à bon escient. Un exemple. J’ai été invité à participer à l’émission de téléréalité « Big Brother House » en Afrique du Sud. Elle est largement suivie dans la sous-région. Avec d’autres personnalités, nous nous sommes entretenus avec les jeunes, qui y participaient, des Objectifs du millénaire pour le développement. Tout à coup, l’émission de téléréalité, souvent considérée comme terre à terre, est devenue un lieu où on parlait d’éducation, de protection de l’environnement, de l’égalité hommes-femmes dans le travail, d’éducation… Pendant les 24h où je suis resté à Johannesburg, je n’ai cessé de recevoir des mails, des sms envoyés par des jeunes vivant dans la sous-région ou au Nigeria qui ont été sensibles et sensibilisés par le contenu de nos échanges. On voit bien l’impact de la télévision. On a tendance à penser que tout ce qui s’y dit est parole d’évangile. L’essentiel est de bien l’utiliser, autrement la télévision devient dangereuse.

Afrik.com : A l’écoute, on découvre un album intimiste, apaisé pourrait-on dire…

Baaba Maal : C’est peut-être l’expression d’une maturité musicale. Sur des chansons dont les thèmes peuvent susciter le débat, il faut mettre une musique accessible, qui s’écoute afin de permettre au gens de décortiquer le message derrière chaque chanson. L’écriture de cet album est née de l’envie de susciter la révolution, d’attirer l’attention de ma communauté et plus largement de ceux qui m’écoutent dans le monde.

Afrik.com : Comme toujours, la question du statut des femmes vous interpelle. De quoi parle Tindo où il en est question ?

Baaba Maal : Le titre est un commentaire sur un vieux proverbe. Il dit en gros que la femme doit rester au foyer pour que l’éducation des enfants soit assurée et l’équilibre de la famille maintenu. Si je suis d’accord sur le principe, je dis aussi que nous avons envie de voir les femmes sortir de la maison parce que leurs talents au sein du foyer peuvent être mis au service de la société. Par exemple, cette faculté qu’elles ont de mener les projets à leur terme, de se mobiliser…On a envie de les voir dans des secteurs comme l’économie, la politique, la culture… Cela vaut aussi pour les jeunes. Les femmes et les jeunes sont des groupes auxquels nos leaders politiques doivent accorder plus d’importance. En dépit de la pauvreté, ils se débrouillent pour trouver de quoi s’occuper et survivre, en attendant de trouver mieux. Ils ne se découragent jamais.

Afrik.com : Et les femmes vous portent bonheur, à l’instar de votre tube international African Woman (titre phare de Firin’in Fouta sorti en 1994) qui leur est dédié…

Baaba Maal : J’attribue mon intérêt aux problèmes qui touchent les femmes à la relation particulière que j’ai eue avec ma mère. Au-delà de son rôle de mère, elle a beaucoup apporté à ma carrière. Elle aimait beaucoup la musique, elle a écrit de nombreuses chansons et était très populaire. Ma mère a été aussi ma conseillère quand je composais. Elle m’invitait à changer une phrase, un mot parce qu’il fallait trouve celui qui serait le plus juste.

Afrik.com : On sent chez vous cette envie permanente de vous plonger dans les méandres de la musique africaine. Vous avez fait le Conservatoire de Dakar, un autre à Paris. Avec Mansour Seck, votre ami de toujours, vous avez fait vos armes dans différents groupes pour mieux vous imprégner de cette musique. Comment expliquez-vous cet appétit musical ?

Baaba Maal : C’est en allant vers ses racines que j’ai pris goût à la musique, à en faire. Chez moi, à Podor, au Nord du Sénégal, presque tout le monde est musicien. J’aurai pu continuer ainsi à faire de la musique machinalement. Mais ce sont toutes ces recherches qui m’ont permis de vraiment découvrir la musique africaine, ses sonorités et l’histoire de ses instruments. Elle dispose de toutes les sonorités qui sont importantes pour la musique en général. Je suis curieux. J’ai tout le temps envie d’apprendre. Je m’instruis également en collaborant avec des musiciens qui n’appartiennent pas à ma culture, qui n’ont pas les mêmes univers que moi. J’écoute certaines sonorités et j’ai l’impression qu’il ne faudrait pas grand chose pour qu’elles ressemblent à celles que j’ai entendues en Afrique. C’est l’envie de comprendre tout cela qui me pousse à voyager à la recherche d’autres rythmes et sons.

Afrik.com : Vous êtes un fan de reggae. Qu’est qui vous touche dans cette musique ?

Baaba Maal : Elle est très proche d’un genre musical de chez moi, et du yela (Baaba Maal est surnommé le « roi du yela »), une musique que l’on retrouve chez les griots peuls, gardiens de l’Histoire. Le yela est très proche de la conception rythmique, harmonique et mélodique du reggae. Il y a aussi une proximité dans la place donnée au texte. On m’a appris qu’on pouvait avoir la plus belle voix, les plus belles mélodies, mais que sans texte, notre musique ne valait rien. C’est le texte qui reste.

Afrik.com : Vous vivez à Londres. Au-delà du fait que votre label y a son siège, cette ville est-elle plus épanouissante pour vous que Paris, base arrière de la plupart des musiciens africains ?

Baaba Maal : Londres a un cachet particulier. Le Sénégal est voisin de la Gambie mais on connaît très peu la culture anglophone. Londres est l’occasion de découvrir cet autre visage de l’Afrique. Cette ville est un carrefour où toutes sortes de musiques, en provenance d’Asie, d’Afrique, des Caraïbes, se croisent. Londres me permet d’être en contact avec ces courants, qui de près ou de loin, me ramènent à mes racines musicales. En plus de cela, je suis très sensible au melting pot. A Londres, les gens portent le monde sur eux et en eux. Mais ce qui me fascine le plus, c’est l’attrait des Britanniques pour la tradition.

Afrik.com : Ismaël Lo, Youssou N’Dour et vous appartenez à la même génération d’artistes sénégalais reconnus sur la scène internationale. On a l’impression qu’il n’y a pas de relève. Qu’en pensez-vous ?

Baaba Maal : C’est un peu dangereux pour nous et pour la relève parce qu’on a envie que les efforts qu’on a fait pour arriver à ce niveau leur serve. Il y a aujourd’hui de très bons musiciens au Sénégal qui émergent. Mais il faut dire qu’à notre époque, celle qui nous a vu naître et grandir, celle que je partage avec des artistes comme Angélique Kidjo, Salif Keïta et biens d’autres, a été déterminante. La tradition africaine dans son essence la plus pure était facilement accessible dans les villages, mais aussi les villes. L’information était disponible, à chaque coin de rue, transmise par nos grands-mères ou lors des cérémonies. Les jeunes n’ont plus cette chance parce qu’ils sont citadins et n’ont pas l’occasion de retourner dans leurs villages. Par conséquent, il est de notre devoir en tant qu’artistes et autorités publiques de leur apporter cette précieuse connaissance. Pour ma part, j’ai monté un festival au nord du Sénégal baptisé « The blues of the river ». Cette rencontre représente l’occasion pour les jeunes de côtoyer des artistes plus expérimentés. L’évènement a été intégré dans l’agenda culturel de l’Afrique de l’Ouest par la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, ndlr). Le festival est en à sa quatrième édition qui se tiendra en décembre prochain.

Afrik.com : Vous rendez également hommage à Dakar dans Dakar Moon ?

Baaba Maal : Il y a une grande énergie à Dakar. Mais les gens ne semblent pas regarder ce qui les entoure, trop préoccupés par leur quotidien. Ils finissent par ignorer le ciel, les étoiles, leur magnifique cité qu’est Dakar.

Afrik.com : Il y a un homme qui compte beaucoup dans votre vie d’artiste. C’est Mansour Seck, un ami de 40 ans ?

Baaba Maal : Je dirai même de plus de 100 ans parce que la famille de Mansour, des griots, a cohabité pendant très longtemps avec la mienne. Quand j’ai commencé à chanter, j’avais besoin d’un instrument. Mansour jouait de la guitare grâce à son père. C’est ainsi que notre amitié s’est construite et renforcée. Mansour a été adopté par toute ma famille, surtout ma mère. Avant de mourir, elle m’a dit un jour : « Tu devrais emmener Mansour avec toi partout où tu vas ». Je lui ai demandé : « Pourquoi ? » Elle m’a répondu : « Je ne sais pas pourquoi mais je l’aime bien et j’aime vous voir ensemble ». J’erre musicalement avec Mansour depuis toujours. A chaque fois que je me sens perdu, que je sors du chemin, Mansour me tire le boubou ou la veste pour me rappeler à l’ordre. Il est plus traditionnel que moi. Je suis une chance pour lui comme il a été une chance pour moi. En tant que griot, Mansour était voué au service d’un noble dont il chanterait les hauts faits. Ce dernier l’aurait récompensé d’une maison, d’un cheval ou avec de l’or ou de l’argent. Il n’aurait alors jamais eu l’occasion de découvrir le monde. Et moi, n’étant pas griot de naissance, je n’aurais pas eu accès à tout ce savoir musical. Pour la famille de Mansour, l’ami de leur fils est l’un des leurs.

Commander Baaba Maal, Televison (Because Music) –

Baaba Maal sera le 30 août prochain à Rock en seine

Grande scène, 15h.

Visite du site de Baaba Maal

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