La Suisse ne veut plus détenir de fonds illégaux


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En matière de recouvrement de biens mal acquis, le Nigeria et les millions de Sani Abacha restent le fait d’arme de la Suisse dans ce domaine sur le continent africain. La 7e place financière du monde se targue d’un savoir-faire inédit qui lui a permis de restituer 1,7 milliards de dollars à des Etats spoliés par leurs dirigeants. Valentin Zellwegger, responsable de la direction du droit international public du département fédéral des Affaires étrangères, évoque sur le dispositif suisse.

La Suisse est l’instigatrice, en partenariat avec la Banque Mondiale, d’un forum, à Paris, sur le recouvrement des avoirs mal acquis qui s’achève ce mercredi.

Afrik.com : La Suisse tente de se doter d’un dispositif légal qui va lui permettre de restituer les avoirs mal acquis qui sont détenus dans ses banques même si les Etats bénéficiaires sont défaillants ou ne coopèrent pas. Comment cela va-t-il fonctionner ?

Valentin Zellwegger :
Les instruments légaux qui sont à notre disposition sont basés sur l’idée que deux Etats coopèrent et s’entraident mutuellement. Si cela n’est pas possible, soit parce que les institutions d’un des Etats sont fragiles, soit ne fonctionnent plus, il faut trouver une autre solution. C’est celle que l’on va mettre en place et pour véritablement simplifier la procédure, nous avons prévu un renversement de la charge de la preuve. Ainsi, c’est la personne qui détient les fonds qui doit prouver qu’ils sont licites.

Afrik.com : L’Etat suisse a-t-il réussi à convaincre facilement
les banquiers de coopérer à la mise en place du dispositif qui lui permet de restituer les produits de la corruption ?

Valentin Zellwegger :
Oui. Nous avons des lois qui sont plus strictes que dans les autres pays et qui prévoient que les banques ont l’obligation de nous informer quand il y a des flux financiers douteux. Le cas Montesinos (les avoirs bloqués en Suisse appartenant à M. Vladimiro Montesinos Torres, l’ancien chef des services secrets péruviens et conseiller du président, ont été rendus en 2002), avait été initié par une banque. Cet exemple prouve également que les deux cas dont on parle souvent, Mobutu (renversé en 1997, RDC) et Duvalier (renversé en 1986, Haïti), ont mis leur argent en Suisse avant que la législation n’évolue. Nous sommes aujourd’hui en train de parfaire le système. Il n’y a aucun autre Etat qui prévoit une telle loi.

Afrik.com : Depuis quand la Suisse travaille-t-elle à la mise en place de ce dispositif de recouvrement des avoirs mal acquis ?

Valentin Zellwegger :
Nous avons une loi très sévère contre le blanchiment d’argent depuis une quinzaine d’années. Nous disposons d’un cadre juridique qui nous permet d’être extrêmement flexibles : nous pouvons quasiment tout faire pour assister un autre Etat qui conduit une procédure contre une personne réputée corrompue. Il y a aussi la volonté politique de mettre en œuvre ces instruments.

Afrik.com : Quel est le message que la Suisse envoie aux dirigeants et aux Etats africains corrompus ? Que la Suisse ne sera plus un paradis pour personne ?

Valentin Zellwegger :
On peut dire cela depuis un moment. La Suisse n’est plus un paradis pour les fonds d’origine illicite, des fonds volés aux populations concernées. L’autre message, qui s’adresse aux Etats africains, c’est que nous devons travailler ensemble. Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons combattre le fléau de la corruption.

Afrik.com : Avez-vous une estimation des fonds en provenance du continent africain qui sont détenus dans les banques suisses ?

Valentin Zellwegger :
Aucune. Il ne faut pas oublier que la plus grande partie de ces fonds sont légaux. Nous ne parlons ici que des fonds illicites qui sont détenus par les banques suisses. Cependant, nous savons combien nous avons remboursé : 1,7 milliard de dollars d’euros. Si vous prenez en compte le fait que la Suisse soit la 7e place financière au monde, mais la première, en termes de restitution, cela vous donne une idée du travail accompli par le gouvernement suisse ces dernières années. La seule certitude que nous pouvons avoir concerne les fonds saisis. L’expérience la plus riche sur cette question est celle de la Suisse parce que nous sommes déterminés, depuis un quinzaine d’années, à les bannir.

Afrik.com : Dans ces 1,7 milliard de dollars, pour ce qui concerne l’Afrique, on retrouve uniquement le Nigeria ?

Valentin Zellwegger :
Des fonds ont également rapatriés vers l’Angola.

Afrik.com : Vous avez clos le dossier de la République Démocratique du Congo, avec les avoirs de Mobutu ?

Valentin Zellwegger :
Nous avons dû malheureusement renoncer parce que le gouvernement congolais n’a pas souhaité récupérer les fonds. Vous ne pouvez pas rendre des fonds à quelqu’un qui n’en veut pas. C’était un grand problème parce que nous avions payé un avocat au gouvernement congolais. Ce dernier avait tenté une procédure en Suisse. Mais le gouvernement congolais ne voulait pas soumettre une demande d’entraide. Conséquence : la procédure a dû être arrêtée.

Afrik.com : Des dossiers qui concernent l’Afrique sont-il en suspens ?

Valentin Zellwegger :
Je pense qu’il y en a d’autres, mais je représente les Affaires étrangères. Les cas sont traités par le ministère de la Justice. Nous en avons connaissance qu’un fois que ces dossiers nécessitent l’intervention de mon ministère.

Afrik.com : La Suisse n’a pas peur des répercussions diplomatiques que pourraient avoir ces affaires dans ses relations bilatérales avec les Etats concernés ?

Valentin Zellwegger :
Nous en avons et nous n’en avons pas peur parce que, pour nous, c’est plus important de ne pas détenir des fonds illégaux en Suisse.

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