La situation du Sénégal vue de France


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La contestation est vive à Dakar contre le président Abdoulaye Wade à l’approche de la présidentielle, qui se tiendra dimanche. Les protestataires exigent le retrait de sa candidature. Le chef d’Etat doit-il s’en aller ou non ? Les Sénégalais de France sont partagés sur la question. Reportage à Paris.

« Wade doit partir ! » Ibrahima Sow, 30 ans, cuisinier, n’est pas seul à penser cela dans l’Hexagone. Il est en permanence en contact avec ses proches restés au Sénégal. En s’apprêtant à prendre le métro, à Château-Rouge, son téléphone sonne. Un énième coup de fil en provenance de Dakar. « La situation actuelle du pays est désastreuse et lamentable ! », déplore-t-il. Pour lui, le chef d’Etat doit quitter le pouvoir car il y a déjà eu trop de morts. « On n’est pas en Syrie mais la situation risque de dégénérer ! » Le jeune homme, qui vit en France depuis 15 ans, dénonce l’augmentation du coût de la vie au Sénégal. « La vie est excessivement chère ! Avant, j’envoyais 150 000 FCFA. Maintenant, j’envoie au moins 250 000 FCFA. Nous, on peut se priver de manger mais eux on ne peut pas leur infliger ça ! »

A quelques stations de métro plus loin, plusieurs de ses compatriotes sont embourbés dans une longue file d’attente devant le consulat du Sénégal, à Paris, pour retirer leur carte électorale (lire l’article : Les Sénégalais de France pourront-ils voter ?). Les discussions sont vives sur la situation politique du pays. Abdoulaye Wade est le principal sujet du débat : « Wade doit partir par la grande porte ! », « Non, il doit partir par la fenêtre ! », « A chacun son tour ! »

« La vie est plus chère au Sénégal qu’en France ! »

Mohamadou Mané, 23 ans, étudiant en informatique, estime que « l’attitude du président sénégalais est inacceptable ! Chacun de nous doit respecter la Constitution donc Abdoulaye Wade doit dégager ! » Jospeh Correa, vit depuis 30 ans en France. Cet ouvrier d’une cinquantaine d’années ne se retrouve plus dans la politique de son pays: « Je ne comprend plus rien. Dans le temps, ceux qui étaient dans l’opposition dirigent aujourd’hui le pays avec Wade. Et certains de ses anciens ministres sont maintenant ses principaux opposants. De toute façon, si l’opposition arrive au pouvoir ce sera la même chose. Rien ne changera. Elle va aussi s’enrichir ! »

Comme tant de ses compatriotes, le quinquagénaire dénonce aussi la détérioration des conditions de vies dans le pays de la Téranga. « La vie est plus chère au Sénégal qu’en France ! J’achète le thiof (le mérou, NDLR) à un prix très abordable en France alors qu’il est très cher au Sénégal », déplore-t-il. De même, sur le plan sanitaire « rien ne va », selon lui. « Mon fils était hospitalisé à l’hôpital Fan de Dakar au service pédiatrique pour une méningite cérébrale, raconte-t-il. Il a dû rester pendant quatre heures de temps assis avec une perfusion sur le bras car il n’y avait plus de lit ni de place ! »

« Qui baissera le prix du sac de riz ? »

« Moi, ce qui me tue, c’est le manque de réalisme sénégalais !, clame pour sa part Omar, 30 ans. Prenez l’exemple de la Coupe d’Afrique des Nations. On n’a même pas été capable de passer le premier tour. » D’ailleurs, pour le jeune homme, toutes ces « discussions sont inutiles » car, actuellement, il ne voit aucun homme politique apte à reprendre les rênes du pays. « Qui baissera le prix du sac de riz ? », s’interroge-t-il. Bokota Gomis, 35 ans, qui porte des lunettes de soleil, a milité au Parti démocratique sénégalais (PDS), parti d’Abdoulaye Wade. Mais, cette fois-ci, le jeune homme ne votera pas pour le chef de l’Etat. Selon lui, si le président s’accroche au pouvoir, c’est avant tout pour frayer un chemin à son fils, Karim Wade. « Le Sénégal n’est pas une dynastie ! Il est vrai que Wade a travaillé mais il a rendu la vie plus chère », dit-il.

Bokota Gomis est loin d’être le seul à reconnaître que le « vieux » a effectué des réalisations. « Moi, je veux son départ mais je dois reconnaître qu’il a mieux fait que ses prédécesseurs », affirme un de ses compatriotes. « C’est vrai qu’il y a eu des changements mais ce n’est pas une raison pour ne pas partir, estime, pour sa part, Aissata, 23 ans, étudiante en droit. Ce qui me choque, c’est le fait que Wade disent qu’il est démocrate. Comment peut-il affirmer cela alors qu’ils voient les gens mourir sans broncher ! »

Placé en arrêt maladie suite à une blessure à la jambe, Papis, 21 ans, s’est déplacé en béquille pour retirer sa carte électorale au consulat du Sénégal, à Paris, en compagnie de son ami, le rappeur Phénomen, 30 ans. « Nous sommes des Y en a marre », disent-ils en référence au mouvement citoyen créé par les rappeurs du groupe Keur-gui de Kaolack. Papis est arrivé en France en 2005 pour fuir la misère du pays. « Je suis venu ici pour aider ma mère car la vie est difficile là-bas. Je travaille dur pour subvenir à ses besoins », explique-t-il.

« L’opposition manipule les Sénégalais ! »

La contestation à l’encontre du président sénégalais ne fait pourtant pas l’unanimité au sein de la diaspora. A l’instar de Ngoné Ndiaye, 29 ans, revenue depuis peu du Sénégal. Selon elle, l’opposition manipule les Sénégalais. « Ils prennent des jeunes qu’ils payent pour semer le trouble dans le pays, c’est la seule vérité ! » Pour la jeune femme, « Abdoulaye Wade a beaucoup fait pour le pays alors que l’opposition en quarante ans de pouvoir n’a rien fait ! Wade ne mérite pas ce qu’il subit actuellement ! » D’après elle, « actuellement, quelqu’un qui repart au Sénégal après plusieurs années d’absences ne reconnaîtra pas Dakar. Tout a changé. Des routes ont été construites partout, mêmes dans les régions ».

Ngoné Ndiaye appelle ses compatriotes « à aller voter plutôt que de continuer à contester Wade » qui, selon elle, « a parfaitement le droit de se représenter ». Doukoure est à la retraite mais elle est du même avis que la jeune femme. « On a qu’à laisser Wade tranquille ! Les gens n’ont qu’à aller voter c’est mieux. Si c’est pour que le Sénégal devienne comme la Côte d’Ivoire, ce n’est pas la peine ! » Pour Rama, mère de famille de 48 ans, qui affiche un grand sourire après avoir retiré sa carte électorale, « la seule chose à faire c’est d’aller voter ».

Lire aussi : Les Sénégalais de France pourront-ils voter ?

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