La réinvention permanente du racisme en France


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Sous la plume d’un journaliste du quotidien Le Monde, les Camerounais ont pris connaissance de l’enterrement digne d’un « soldat inconnu » qu’une mairesse française a voulu réserver à un adolescent, mort et enterré sous x (X masculin N° 13/0824), des suites d’une tentative désespérée de rompre avec son origine. Dans les réseaux sociaux, l’on s’est vivement ému, on a partagé par centaines puis par milliers les photos du magnifique cercueil qu’avaient postées des blogueurs. Au même temps, les autorités camerounaises, leurs représentants, n’ont jamais envisagé le rapatriement du jeune homme et ont persisté dans leur refus de retrouver le nom (l’identité) de ce gamin, qui doit bien figurer quelque part à Yaoundé.

Pris individuellement, dans leur écrasante majorité, ils ne peuvent qu’être aimés, respectés et admirés, ces sacrés Français. Pourtant, la France a encore peur de cet autre qui se reflète dans son miroir. Le nationalisme, pas plus que l’ignorance, ne sont plus, aujourd’hui, les principaux terreaux du racisme. Le temps a été suffisamment long, l’histoire féconde, les savoirs documentés, les réalités augmentées pour que nous nous en tenions à des définitions du racisme héritées du passé : clarifier donc, en les unifiant, le racisme et les aberrations qui lui sont assimilées comme l’antisémitisme ou le tribalisme.

On ne peut plus expliquer la pertinence de certains combats qu’en modifiant notre conception du rejet et de la haine de l’autre. Tout, aujourd’hui, est mondialisé, multiculturalisé, dématérialisé et interconnecté, alors l’étranger c’est qui au fait ? Le visiteur venu de l’espace ou bien le petit bonhomme vert tombé de la planète rouge ? L’origine, la « souche », les papiers, ou l’identité, sont malheureusement des marqueurs au fer à vie, dans un pays où des en de toutes origines élèvent et bâtissent, créent et investissent.

Sémantique et ressenti

Le langage est créateur de valeurs. Les mots véhiculent un ensemble de symboles ou de contenus que l’on associe pour traduire (ou créer) une réalité palpable (ou un sentiment). En supprimant le mot race du vocabulaire, on ne portera pas un coup fatal au racisme ni à quelque chose qui a été créée puis scientifiquement structurée avant d’être discréditée. Les formes scientifiques ou idéologiques n’existent plus, mais le sentiment du racisme renaît de ses cendres à la faveur des populismes et de manière générale de la politique. Le racisme n’est plus le fait forcément du ressentiment, mais parfois simplement du ressenti, souvent des deux.

Par ailleurs, quand même les Noirs sont racistes, on le leur pardonne plus aisément, parce qu’ils sont toujours perçus comme des victimes. En évoquant cette réalité dangereuse que constituent les préjugés dus à la teinte de l’épiderme ou les exclusions de certains milieux du fait de la mauvaise ethnie, on ne dit encore rien d’intéressant parce qu’on dilue le seul racisme qui intéresse les organisations, celui qui a causé des victimes à grandes échelles, dans des racismes peu vendeurs. D’ailleurs ces racismes-là sont compartimentés. Le fait que la LICRA lutte contre le racisme et l’antisémitisme, que le CRAN, lui s’occupe des Noirs, que le MAF vise une clientèle plus intégrée, plus assimilée, sont révélateurs de ce que dans le marché de l’antiracisme, on n’est pas pareillement outillé ni motivé.

La tragédie, en 1994, du génocide rwandais rend pourtant inéluctable la redéfinition du racisme. Le tribalisme ne s’explique que parce que le racisme existe, il est l’expression de la haine de l’autre dans des aires culturelles où les frontières et les appartenances identitaires et fondamentales ne sont pas celles de l’État mais de l’ethnie, autre création scientifique, qui tarde à être discréditée, voire supprimée.

Les nouvelles formes du racisme

Est-il possible de juger de l’évolution d’une civilisation en fonction du nombre de « sans-papiers » qu’elle abrite ? Peut-on par exemple créer un indicateur du taux d’exposition et de reconnaissance, dans la société française, des travailleurs sans visage et l’inclure dans la détermination de l’IDH (Indice de Développement Humain) ? La France n’accueille pas des « sans-papiers », elle les génère, elle dénie à une catégorie d’hommes, de femmes, et d’enfants issus de l’immigration le droit à l’intégration.

La France fonde des discriminations officielles sur la langue et l’origine au nom de concepts anxiogènes comme l’identité nationale : pour devenir français, il faut parler français, pour s’intégrer disait encore Patricia Bakalack (activiste camerounaise des droits de l’enfant), il faut se désintégrer (se renier, trouver le bon accent, etc.). Ces milliers de migrants qui ont décidé de rompre provisoirement ou définitivement, symboliquement ou réellement avec leur origine n’ont-ils pas droit à une identité dans la France des droits de l’homme ?

Un sans papier, en France, est généralement bronzé, c’est un Noir, ou un Arabe, un Turc à la rigueur, cela fait mauvais genre dans une société qui entend lutter contre le racisme de bloquer la régularisation des sans papiers. L’intériorisation de leur infériorité a créé dans les pays les plus pauvres, et plus spécifiquement en Afrique, des formes brutales de racisme, les Touarègues au Mali contre leurs « frères » moins clairs, les Soudanais du Nord contre ceux du Sud, le tribalisme c’est du racisme dur, la non régularisation des sans-papiers c’est du pur racisme, le racisme pur et dur a encore de belles heures devant lui.

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