La lutte africaine à l’honneur des Vè Jeux de la francophonie


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Malam Barka Akoda

Les Vè Jeux de la Francophonie ont déballé le tapis rouge pour la lutte traditionnelle africaine, du 7 au 17 décembre dernier, à Niamey. Les athlètes occidentaux ont été invités à laisser leurs salopettes moulante cuissard-marcel au vestiaire pour se mesurer aux stars ouest-africaines de la spécialité selon leurs règles : torse nu sur le sable. Un spectacle que le public nigérien a savouré et dont le pays organisateur est sorti vainqueur devant l’éternel ennemi sénégalais.

Pour une fois, ce sont les sportifs occidentaux qui ont été invités à affronter les Africains sur leur terrain, celui de la lutte traditionnelle. Les athlètes français et bulgares se sont opposés aux lutteurs du continent et notamment à ses champions nigériens et sénégalais, du 7 au 17 décembre dernier, durant les Vè Jeux de la francophonie, au Niger, au cours d’une compétition qui a rempli les arènes de Niamey. Près de 210 pays dans le monde pratiqueraient aujourd’hui une forme de lutte, selon la Fédération internationale de la spécialité (Fila, Fédération internationale des luttes associées). Malam Barka Akoda, directeur technique national et assistant à l’organisation du tournoi de lutte aux Jeux de la Francophonie, revient avec Afrik sur l’expérience de la Francophonie et sur la pratique de cette discipline qui est plus qu’un sport au Niger.

Afrik : Combien de formes de luttes ont été présentées durant les Jeux ?

Malam Barka Akoda : Une compétition et une série de démonstrations ont été organisées durant le tournoi. Seize pays ont présenté leurs pratiques nationales de la lutte et le Niger a lui seul en a présenté trois : le cocoa haoussa, l’agagal touareg, pratiqué uniquement par la tribu boncoucou et l’in’gawa des goudouma, une tribu située 1 500 km à l’Est du pays.

Afrik : Quelles sont les différences principales entre ces formes de luttes nigériennes ?

Malam Barka Akoda : Elles tiennent aux instruments de musique utilisés par les griots, à la manière de danser et d’entrer en scène, à l’accoutrement des lutteurs, leurs manières de présenter le rituel, en récitant une sourate ou en chantant… Les instruments que l’on retrouve le plus souvent sont le goundoua, un grand tam-tam, le ganga, un tam-tam de taille moyenne, et le kavagui. Pour l’accoutrement, la culotte des lutteurs est faîte à l’arrière d’un morceau de peau de chèvre ou de bouc appellé le walki, et à l’avant d’un tissu fait de fil de laine, le bantché. Aujourd’hui, les lutteurs peuvent très bien mettre une culotte plus moderne en dessous. Autour des hanches, les athlètes portent des cordons magiques confectionnés par leurs familles pour leur porter chance.

Afrik : Quelles sont les différences de techniques de combat ?

Malam Barka Akoda : En lutte cocoa, pour gagner, il suffit de mettre un seul genou ou un seul coude de son adversaire au sol. Par contre, chez les Agagal, il faut ramener complètement la personne sur le dos, ventre en l’air. La pratique de la lutte chez les Goudouma s’apparente à celle des Haoussa, à la différence que si le lutteur se retrouve assis sur les fesses, le combat n’est pas forcément fini. Ce sont les femmes qui décident si le combat est terminé en invitant le vainqueur à s’emparer des instruments de musique. Sans elles, le combat ne peut avoir lieu. Elles accompagnent toujours leur mari, chantent leurs louanges…

Afrik : Que représente la lutte au Niger ?

Malam Barka Akoda : C’est le sport le plus populaire et il occupe une place très importante dans la vie de tous les Nigériens. La lutte se pratiquait traditionnellement après les bonnes récoltes. Pour montrer qu’ils avaient bien mangé, les gens entreprenaient des voyages en groupes pour se mesurer aux villages voisins. Le Maï Masari, qui n’est pas le chef de village mais est une personne écoutée par sa jeunesse, choisissait les lutteurs et les griots pour rendre visite à ces villages. Le Maï Masari des villages qui recevaient organisaient alors leur séjour, faisaient tuer un mouton, un coq et servaient du mil, le tout offert par les villageois.

Afrik : Quel est le rôle du griot?

Malam Barka Akoda : Il est le responsable spirituel des lutteurs et communique avec eux par l’intermédiaire des instruments de musique. Il connaît les secrets spirituels et l’histoire de la famille des athlètes.

Afrik : Les tournois étaient-ils impossibles les saisons de mauvaise récolte ?

Malam Barka Akoda : Autrefois oui. Les jeunes allaient au Nigeria ou à Niamey pour y trouver du travail. Mais depuis 1975, c’est l’Etat qui s’occupe d’organiser un championnat national et il n’est pas impossible qu’il ait lieu en cas de récolte moyenne. Il a été annulé deux ou trois fois au début des années 1980, lors de la famine qui a frappé tout le Sahel, car les gens avaient trop faim, ainsi que l’année dernière, lors de la crise nutritionnelle. En ce qui concerne l’organisation, des sélections ont lieu au niveau des arrondissements, des départements et des régions. Quinze à 20 lutteurs sont choisis pour un stage d’un mois dans un centre d’entraînement, à l’issue duquel dix lutteurs sont retenus pour représenter leur région au championnat national, qui dure une semaine.

Afrik : Quelle règle est adoptée durant le championnat ?

Malam Barka Akoda : Il s’agit du code nigérien de la lutte traditionnelle. Les pays de la sous-région se sont réunis pour discuter des modalités de pratique de la lutte en Afrique et ont adopté le code africain, à la base du code nigérien.

Afrik : Quelles sont les différences ? Ne posent-elles pas de problèmes lors des tournois continentaux ?

Malam Barka Akoda : Non, chacun pratique sa forme de lutte et nous nous mettons d’accord lorsque nous nous rencontrons. Il est même organisé un tournoi de lutte africaine au niveau national au Niger. En ce qui concerne les différences, il n’y a par exemple aucune catégorie au Niger. Un lutteur de 65kg peut se retrouver face à un autre de plus de 100kg. De la même façon, il suffit ici de mettre un coude ou un genou à terre pour être déclaré battu, alors qu’il faut trois appuis au niveau africain. Le temps de combat est également différent. Et en cas d’égalité à la fin du chrono, l’arbitre peut déclarer deux vaincus au Niger. Alors qu’il faut forcément un vainqueur au niveau africain, déclaré selon le nombre d’avertissements reçus durant le combat.

Afrik : L’équipe du Niger a remporté le tournoi de la Francophonie par équipe, face au Sénégal, grâce à une autre règle…

Malam Barka Akoda : Les deux équipes se sont retrouvées à égalité, deux victoires partout, avec un match nul dans la cinquième rencontre sans avertissement distribué. Nous nous sommes appuyés sur une « jurisprudence » des championnats d’Afrique de Ouagadougou, selon laquelle il faut considérer le temps que chaque vainqueur a mis pour faire tomber son adversaire. Les Nigériens ont été les plus rapides en cumulant tous les combats.

Afrik : Quelles sélections non africaines ont participé à la compétition ?

Malam Barka Akoda : La France s’est présentée en individuel et par équipe. Elle avait envoyé des lutteurs il y a trois mois pour un stage. La Bulgarie s’est présentée en individuel et un de ses lutteurs a même arraché la médaille de bronze en plus de 100kg. Pour les démonstrations, la Suisse et le Canada se sont joints à la France et à la Bulgarie.

Afrik : Cela a-t-il amusé les gens, de voir ces lutteurs blancs pratiquer un sport africain dans lequel ils avaient tout à apprendre ?

Malam Barka Akoda : En tout cas, le public les a beaucoup supportés. Dès qu’ils participaient à un match, l’arène était pleine et les soutenaient à 100%. Même quand les lutteurs français ou bulgares rencontraient des Nigériens, le public leur était totalement acquis, car il savait qu’ils étaient novices…

Afrik : En revanche, il a dû se remettre à supporter les Nigériens contre le Sénégal…

Malam Barka Akoda : En lutte africaine, le Niger et le Sénégal se lancent sans arrêt des défis. Le Niger a finalement remporté la médaille d’or par équipe ainsi que deux titres en individuel, en 65 et 75 kg. Il a empoché le bronze en 85kg, catégorie remportée par le Burkina, et l’argent en 100kg, remportée par le Sénégal.

Afrik : Les lutteurs africains réussissent peu dans les tournois de lutte libre internationaux…

Malam Barka Akoda : Quelque athlètes nigériens s’initient au Nigeria car nous n’avons pas les infrastructures ici. J’essaie de l’enseigner dans le cadre de ma fonction de formateur à l’institut de jeunesse et des sports, mais c’est difficile. Nous disposons d’un fort potentiel et nous avons signé un contrat avec la Fila (Fédération internationale des luttes associées, ndlr) afin de préparer au moins trois Nigériens aux Jeux olympiques 2008.

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