La Kabylie heureuse de Mouloud Feraoun


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Jours de Kabylie

Les éditions du Seuil viennent de publier en poche un livre simple et délicat de Mouloud Feraoun, Jours de Kabylie, construit comme un dialogue entre ses descriptions de la vie quotidienne d’un village berbère et les croquis de son ami dessinateur, Charles Brouty.

Il y a le mythe Mouloud Feraoun, et il y a l’écrivain. Le mythe, c’est celui qu’a construit l’OAS en croyant l’abattre, avec cinq de ses collègues des centres sociaux créés par Germaine Tillion, ce sombre 15 mars 1962. L’écrivain, c’est ce parfait artisan de la plume qui a donné à son pays, avec une tendresse et une attention étonnantes, quelques-unes de ses plus belles pages de littérature francophone.

 » Dieu le fracas que fait un poète qu’on tue  » : ce vers d’Aragon vaut pour Mouloud Feraoun. Quelques mois plus tard, dans une Algérie définitivement indépendante, Ferhat Abbas baptisera  » Mouloud Feraoun  » le centre socio-culturel de Sétif…

Lorsque Mouloud Feraoun et Charles Brouty écrivent  » Jours de Kabylie « , ce ne sont pas à des images de sang qu’ils nous convient. Ce sont des images de paix, la marche lente d’une population rurale et pauvre, le recommencement des jours et des générations, les jeunes, les vieux, les femmes, les hommes, la place publique autour de laquelle s’organise la vie locale (la Djemaâ), la fontaine où les jeunes filles vont puiser l’eau, le rôle et la place du Cheikh, que les Kabyles respectent tout en le tenant un peu à l’écart, avec un fond libre-penseur et un goût permanent pour la liberté qui les conduit à se défier de tout ordre qu’on voudrait leur imposer.

Remarquables, les descriptions du marché, au bourg situé à quelques kilomètres du village, les marchandages, les stratégies. Formidable le chapitre sur les vieilles femmes qui rapportent, voûtées, le bois du foyer, et rafraîchissant celui sur les bergères, décrites par leurs chèvres… En fait, par un kaléïdoscope savant, c’est tout un monde qui ressurgit, un monde lumineux d’humanité et de soleil, encadré par ses traditions et emporté dans une mutation historique sans précédent. Emouvant à ce titre l’ultime chapitre, où Mouloud Feraoun revient sur son rôle d’instituteur en Kabylie, revenu enseigner, apporter le savoir, dans ce village dont il est issu…

Que penserait, qu’écrirait Mouloud Feraoun des déchirements contemporains de l’Algérie ? Inutile d’y songer, son parcours s’est arrêté, dans la tragédie, à quelques jours des accords d’Evian. Mais nul doute que sa parole de juste nous reste précieuse aujourd’hui.

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