La culture, épicentre du développement


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Thierno Sow
Thierno Sow

A l’instar de nombreux acteurs culturels du continent, Thierno Sow déplore l’absence de la culture au nombre des « super priorités » du Nepad. Pour mettre fin à cette carence, il a proposé, en décembre 2003, à la présidence sénégalaise l’amorce d’une politique culturelle. Son combat : que la culture revienne au cœur du développement du continent.

Thierno Sow est le président et directeur artistique du Dakar Gorée Jazz Festival qui se tiendra en avril prochain. Spécialiste des politiques culturelles en Afrique, il vient de proposer au président sénégalais Abdoulaye Wade, promoteur du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), une réflexion pour que cet ambitieux programme jouisse enfin d’un volet culturel. Ce qui n’est pas le cas pour le moment. Une situation fort regrettable et préjudiciable aux objectifs affichés du Nepad pour ce militant de cause culturelle. Thierno Sow nous explique le pourquoi et le comment de sa démarche.

Afrik : Comment expliquez-vous l’absence d’un volet culturel au sein du Nepad ?

Thierno Sow : Je vais reprendre la réponse du Président Wade, le 19 juin dernier, à Dakar lors de la réunion des Ministres de la Culture des pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) sur la Diversité Culturelle, il a dit en substance qu’il ne fallait pas lui demander d’écrire un projet de développement culturel alors que ses compétences relevaient plutôt des domaines économique et juridique. Il est triste que la culture ne soit pas au centre des préoccupations du Nepad. Je ne suis pas convaincu qu’une politique de développement puisse être viable si elle ne prend pas en compte les spécificités culturelles des populations concernées. Le Nepad est un principe de développement économique froid. La culture doit être la sève du Nepad, sinon Il va tout droit à l’échec.

Afrik : Quelles sont les grandes lignes de votre proposition ?

Thierno Sow : Tout d’abord, je tiens à préciser que je ne peux pas rédiger à moi tout seul une politique culturelle pour un pays, a fortiori pour plusieurs Etats. Ma démarche a été prospective. J’ai d’abord réfléchi à la manière la plus adéquate d’insérer un programme culturel au sein du Nepad. Dans ce sens, un programme d’appui aux politiques culturelles s’est avéré être une bonne solution. Un tel programme permet de travailler sur des thèmes comme l’harmonisation des textes juridiques dans le domaine de la culture. Il peut également contribuer à la mise en place d’une politique de lutte contre la piraterie. Le bureau en charge de ce programme mettra son expertise, dans les différents Etats, au service des décideurs locaux dans la conception et la mise en œuvre de leurs politiques culturelles. C’est une formule qui devrait satisfaire tout le monde.

Afrik : Vous ne vous êtes pas contenté d’émettre des idées…

Thierno Sow : Ma proposition est une amorce mais j’ai fait des démarches pour trouver d’éventuelles sources de financement pour un tel programme. Les pays africains pourraient le mettre en œuvre sans dépenser le moindre sou. J’ai eu à discuter avec des responsables de la Francophonie et de l’Union Européenne. La Francophonie dispose d’un fonds destiné à la mise en œuvre des politiques culturelles qui, paradoxalement, n’a jamais été sollicité par les pays africains. Ce fonds permettrait de financer le budget d’études du bureau, à savoir les missions sur le terrain sur la base de propositions concrètes. Les frais de fonctionnement de la structure peuvent être, quant à eux, pris en charge par le Fonds européen de développent (Fed). Le 8è Fed vient de s’achever en 2003 avec 11 milliards de dollars non décaissés. Et, concernant la culture, aucun financement, dans le cadre du 9èFed, n’est encore disponible pour l’Afrique de l’Ouest, faute de programme cadre prédéfini. Pourquoi ? Si l’on prend l’exemple du Sénégal, sept ministres de la culture se sont succédés en l’espace de trois ans, trois d’entre eux ont eu en main le dossier du 9èFed mais aucun n’a eu le temps de le traiter. En somme, les fonds sont disponibles mais aucune proposition n’a été faite à l’Union Européenne pour les utiliser.

Afrik : Dans quel délai espérez-vous voir prise en compte votre proposition ?

Thierno Sow : Le plus tôt possible. Ma proposition est à la disposition du gouvernement sénégalais depuis décembre 2003

Afrik : Pour promouvoir le Nepad, vous avez également imaginé un concept : le « label Nepad » . De quoi s’agit-il ?

Thierno Sow : Les chefs d’Etats africains font le tour de la planète pour présenter le Nepad alors que leurs propres populations ne savent pas ce que c’est. J’ai donc pensé à ce « Label Nepad » qui pourrait le faire connaître et permettre aux populations de s’identifier à lui. Exemple d’initiative : la Can (Coupe d’Afrique des Nations, ndlr). C’est une manifestation vers laquelle tous les regards convergent et dans laquelle tout le continent se reconnaît. L’attribution de ce label à toutes les organisations et manifestations culturelles et sportives sur le continent qui favorisent l’intégration africaine, le développement local par la culture serait une première qui rendra plus visible les actions du Nepad auprès des populations. Le label pourrait s’étendre à d’autres domaines comme l’industrie agroalimentaire, pour encourager le principe d’excellence mis au service de l’Afrique. Ce serait également une façon pour le Nepad de valoriser et de soutenir certains projets.

Afrik : Quels sont vos espoirs pour le développement de la culture en Afrique ?

Thierno Sow : L’artiste sénégalaise Coumba Gawlo est la première chanteuse africaine à avoir obtenu un disque de platine avec Pata Pata. Cela a rapporté 2, 5 milliards de F CFA à sa maison de disques. Cet argent aurait pu être gagné par une entreprise sénégalaise si nous disposions en Afrique d’un environnement culturel adéquat. De même, je déplore que les artistes n’aient aucun statut juridique. Il est choquant de constater que le code du travail ignore totalement l’existence des acteurs culturels dans la société moderne africaine. La profession d’artiste est une fiction juridique au même titre que les gens de maisons (communément appelées « bonnes », ndlr) dont l’existence dans tous les foyers est pourtant connue de tous. Aucun pays africain à ce jour ne dispose d’un répertoire de ses artistes et de ses acteurs culturels. Le seul point sur lequel nos pays ont légiféré dans le domaine culturel est la question des droits d’auteur. A ce propos, j’invite énergiquement les Etats africains à créer des bureaux spécifiques aux droits musicaux. En effet, dans le domaine des droits d’auteurs, la musique est l’activité qui génère le plus de revenus.

Afrik : Vous souhaitez également une plus grande implication des Etats…?

Thierno Sow : Mon espoir est qu’il y ait une réelle volonté politique pour le développement de la culture en Afrique. Pour moi, deux choses restent fondamentales dans cette optique : le renforcement de la formation et la réalisation d’investissements lourds. Il est utopique de croire que cela pourrait fonctionner autrement quand le budget triennal d’un programme d’aide à la culture en Afrique équivaut à celui d’un festival de 13 jours en Europe (environ un 1,5 milliards de F CFA, ndlr). L’industrie culturelle en Afrique ne pourra se développer sans investissement lourd nécessaire à tout type d’industrie et sans une implication franche des Etats pour développer des mécanismes législatifs et réglementaires et d’incitation de l’initiative privée.

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