Kenya : pourquoi les maris pauvres sont-ils plus violents ?


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pleur de femme

Au Kenya, ce sont 47% des femmes qui subissent diverses violences de la part de leurs propres maris ou compagnons. C’est énorme. Comment expliquer un tel comportement ?

Dans son article, Michael Goodman, explique comment la pauvreté fait perdre confiance en soi. Cette image de soi-même arrive à générer de la violence. Une étude menée au Kenya montre une nette corrélation entre la pauvreté et la violence au sein d’un couple.

Le taux de violence domestique en Afrique subsaharienne est l’un des plus élevés au monde. Au Kenya, plus de 47% des femmes ont été victimes de violences physiques ou sexuelles. Ce chiffre est supérieur aux estimations globales de 81 pays qui montrent que près de 30% des femmes sont victimes de violence physique ou sexuelle de la part de leur partenaire intime au cours de leur vie.

Faible estime de soi et violence

Subir des violences entraîne un traumatisme physique, mental et émotionnel durable chez les femmes et les enfants qui en sont victimes. Mes collègues et moi voulions mieux comprendre comment prévenir la violence contre les femmes. Une pièce essentielle du puzzle résidait dans l’identification des hommes les plus susceptibles de commettre des actes de violence et les facteurs qui les motivent dans leurs actes. L’objectif de notre étude, était de savoir si le statut social perçu (à quel niveau de l’échelle sociale les hommes se voyaient-ils) affectait le comportement de violence conjugale. Nous avons émis l’hypothèse que les hommes qui percevaient leur statut social comme étant inférieur étaient plus susceptibles de commettre des actes de violence conjugale, en partie à cause de leur faible estime de soi.

À l’examen des résultats, nous avons constaté qu’ils l’étaient. Cela concorde avec les recherches menées dans d’autres parties du monde. Nos recherches montrent que l’opinion des hommes sur leur position dans la société a des implications mentales, physiques et sociales. Cela est dû au fait que la violence est souvent perpétrée dans le but de «sauver la face», c’est-à-dire de recouvrer un sentiment de respect de soi perdu ou menacé par autrui. Des études montrent que les hommes ayant une faible estime de soi sont plus susceptibles de percevoir les actions de leur partenaire comme une menace, même si leur partenaire ne leur veut pas du mal ni leur manque de respect, et que leurs réactions sont donc plus susceptibles d’être violentes. Ceci dit, cela ne veut en aucun cas suggérer que seuls les hommes de statut social inférieur sont violents envers les femmes. La violence peut être constatée dans toutes les classes sociales, mais ce que montre cette étude, c’est que certains facteurs peuvent éroder le sens de la valeur personnelle d’un homme, comme l’insécurité du revenu ou le manque de soutien social pendant l’enfance, le poussant à des réactions violentes.

Pauvreté relative et violence conjugale

Nous avons interrogé plus de 500 hommes (âgés de 18 à 34 ans) dans le comté de Meru, dans le centre du Kenya, dont 263 étaient en couple. On a montré aux hommes une échelle à 10 échelons et on leur a expliqué que le sommet de l’échelle représentait les plus riches de la société, ceux qui avaient le plus d’argent, la meilleure éducation et les meilleurs emplois. Les rangs au bas de l’échelle représentent les moins bien nantis de la société, ceux qui ont le moins d’argent, les moins scolarisés et qui ont le pire ou aucun emploi.

Nous avons demandé aux hommes de placer une croix «X» à l’endroit où ils pensaient être situés sur l’échelle sociale. Les hommes ont ensuite été interrogés sur la fréquence des conflits avec leur partenaire au cours de la dernière année. Le comportement conflictuel comprenait: bousculer un partenaire, donner des coups de poing ou de pieds à son partenaire, le blesser dans la mesure où il avait besoin de demander de l’aide médicale, et utiliser la force pour obliger un partenaire à avoir des relations sexuelles. Nous avons constaté que plus les hommes se classent bas, plus ils rapportent des comportements violents contre leur partenaire intime. Ils étaient également moins susceptibles de dialoguer pour résoudre le conflit.

L’estime de soi montre dans cette étude, comme dans des études précédentes, comment le statut social affecte la résolution des conflits entre les hommes et leurs partenaires intimes. Les hommes jouissant d’une plus grande estime de soi semblent disposer de plus de ressources psychologiques et émotionnelles pour gérer les conflits de manière non violente plutôt que de recourir à la violence. Par exemple, les hommes ayant une haute estime de soi peuvent attribuer l’irritation de leur partenaire à un événement indépendant, alors que les hommes ayant une faible estime de soi sont plus susceptibles d’attribuer l’irritation de leur partenaire à un défaut perçu en eux-mêmes. Ils peuvent donc réagir violemment ou d’une manière qui rabaisse leur partenaire. Il existe une forte évidence empirique en faveur de cette tendance dans les pays à revenu élevé. Étant donné que les hommes au statut social subjectif inférieur ont souvent une faible estime de soi, il s’ensuit qu’ils peuvent perpétrer davantage de violence conjugale en raison d’une moindre estime de soi.

Compassion de soi

L’une des approches permettant de faire face aux conséquences de la faible estime de soi sur la santé mentale et les relations sociales consiste à cultiver la compassion. Apprendre aux hommes à avoir de la compassion pour eux-mêmes et à s’accepter tels qu’ils sont, peut améliorer leur bien-être mental et leur capacité à faire preuve de compassion pour leurs partenaires intimes. Par exemple, la méditation bienveillante est une nouvelle approche populaire pour accroître la compassion dans les recherches en sciences sociales occidentales et qui n’a pas encore été explorée dans les zones rurales du Kenya ou de l’Afrique subsaharienne.

Par Michael Goodman, instructeur et épidémiologiste social à la branche médicale de l’Université du Texas

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