
Le 7 mai 2025, un tribunal kényan a condamné quatre individus pour tentative d’exportation illégale de 5 000 fourmis vivantes. Une affaire inédite qui lève le voile sur un commerce discret mais lucratif, celui des insectes exotiques.
C’est une scène inhabituelle qui s’est déroulée à Nairobi : devant le tribunal de l’aéroport international Jomo Kenyatta, deux ressortissants belges, un Vietnamien et un Kényan ont été condamnés à un an de prison ou à une amende d’un million de shillings (environ 7 740 dollars) pour avoir tenté de faire passer clandestinement des fourmis vivantes hors du territoire. L’affaire a commencé en avril à Nakuru, dans le centre du pays, lorsque ces hommes ont été interpellés en possession de tubes à essai contenant environ 5 000 spécimens de Messor cephalotes.
Cette espèce de fourmis, caractérisée par sa grande taille (2,4 cm) et ses couleurs vives rouge et noir, suscite l’intérêt des collectionneurs européens et asiatiques. À la revente, le « butin » saisi était estimé à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Bien que les accusés aient reconnu la possession des insectes, ils ont nié toute intention de trafic. Le tribunal, lui, a retenu la gravité de l’infraction, les animaux sauvages étant strictement protégés au Kenya, où tout commerce nécessite un permis.
Des insectes prisés pour des raisons insolites
Contrairement au trafic d’ivoire ou aux écailles de pangolin, qui alimentent un marché du luxe ou de pseudo-médecines, le trafic d’insectes, lui, repose souvent sur des motivations plus inattendues : le loisir. « Les acheteurs ne cherchent pas un trophée, mais un animal de compagnie, une fourmilière vivante à observer », explique l’entomologiste Dino Martins. Les fourmis, de par leur comportement fascinant et leur organisation sociale complexe, séduisent un nombre croissant d’amateurs à travers le monde, notamment en Europe occidentale et en Asie du Sud-Est.
Si la Messor cephalotes n’est pas, à ce jour, menacée d’extinction, son rôle écologique est fondamental. « Ces fourmis sont des ingénieures de l’écosystème », rappelle Dino Martins. Elles déplacent des nutriments, aèrent les sols et constituent une ressource alimentaire pour de nombreuses autres espèces. Leur disparition ou même un prélèvement massif pourrait fragiliser des équilibres subtils, avec des conséquences en cascade : « Sans elles, il n’y aurait pas d’éléphants, pas d’humains », avertit l’expert, soulignant l’interconnexion des espèces.
L’Agence nationale de conservation du Kenya soupçonne par ailleurs que cette affaire dépasse le simple trafic amateur : il pourrait s’agir d’un acte de biopiraterie, visant à exploiter les ressources génétiques des insectes sans autorisation, pour des usages scientifiques ou commerciaux.
Un trafic discret mais en plein essor
Cette affaire illustre un phénomène souvent ignoré : le trafic des insectes. Selon plusieurs ONG spécialisées, ce commerce reste peu documenté, mais connaît une croissance inquiétante. Des coléoptères rares aux papillons tropicaux en passant par les mantes religieuses, les insectes sont convoités pour des raisons variées : collection, décoration, alimentation (notamment dans le secteur des protéines alternatives) ou encore biotechnologies.
Le manque de données précises et la faible visibilité médiatique de ces trafics rendent leur régulation difficile. De nombreux pays n’ont pas encore mis en place de politiques spécifiques pour protéger les insectes, malgré leur importance cruciale pour la santé des écosystèmes.
Vers une prise de conscience mondiale ?
Face à ces nouveaux défis, plusieurs spécialistes plaident pour un renforcement des législations internationales et une meilleure coopération entre États. Le Kenya, souvent en première ligne dans la lutte contre le braconnage, montre ici sa détermination à ne pas relâcher ses efforts, même pour des espèces moins emblématiques.
L’affaire de Nakuru pourrait bien marquer un tournant symbolique : celui où la communauté internationale commence à prendre conscience que la protection de la biodiversité ne peut se limiter aux « grandes » espèces charismatiques. Les petits acteurs de la nature, invisibles ou méprisés, méritent tout autant notre vigilance.