Kele, une bête de scène à l’écriture rayonnante


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Kele The Boxer
Kele The Boxer

Kele Okereke, leader du groupe de rock Bloc Party, termine sa première tournée européenne solo, après la sortie de son excellent album The Boxer en juin dernier. Le chanteur et guitariste britannique âgé de 29 ans (il est né à Liverpool de parents originaires du Nigeria), nous montre ainsi qu’il n’est pas seulement un compositeur majeur, mais aussi un excellent artiste de scène.

Kele, c’est une écriture audacieuse et poétique, une voix émouvante souvent au bord de la rupture, une énergie brute qui vous fait bondir sans savoir si c’est pour danser ou boxer. Bien qu’ayant commencé sa carrière artistique dans le pur style punk-rock avec Bloc Party, Kele n’a jamais cessé de remettre en question son écriture musicale. Certains puristes du rock seront peut-être déçus par The Boxer qui flirte parfois avec la musique dance. Mais pour les autres, le nouvel album de Kele est la confirmation de son talent à proposer des textes personnels de qualité, et sa capacité à questionner son travail sans perdre de vue ses racines rocks. Un artiste rare qui défie les clichés. A l’occasion de cette tournée, Kele a accordé une entrevue à Afrik.com, juste avant de monter sur scène.

Afrik.com : Comment en êtes-vous venu à la musique, et plus particulièrement au rock ?

Kele : Ma sœur avait une guitare acoustique dans sa chambre quand j’avais 14 ou 15 ans. Chaque fois qu’elle quittait la maison, j’allais dans sa chambre et je jouais avec. Et puis je me suis mis à écrire des chansons. Quand j’étais adolescent, la « Brit pop » était un mouvement énorme. Donc, je ne pouvais pas y échapper. Peut-être que c’est là qu’a commencé mon goût pour la guitare et les chansons avec de la guitare.

Afrik.com : Il y a une progression musicale intéressante de l’album Silent Alarm (très punk rock), à Intimacy (plus electro-rock). Et maintenant The Boxer, votre premier album solo, oscille entre la dance et le rock indé. Le considérez-vous comme une continuation ?

Kele : Oui, d’une certaine manière. La façon dont nous avons enregistré la moitié de l’album Intimacy – des chansons comme « Ares », « Signs », « Biko » et « Mercury » qui étaient les morceaux les plus électroniques de l’album – c’était une nouvelle façon d’enregistrer pour nous. Nous faisions beaucoup d’édition et de programmation, en mettant tout dans un ordinateur, au lieu de jouer live. Je pense que cette approche et cet album m’ont beaucoup inspiré pour la réalisation de The Boxer, c’est sûr. Ils sont comme les prémisses de mon album actuel.

Afrik.com : Et il y a cette photo de vous avec une machine Akai MPC1000…

Kele : Oui, je suis de plus en plus à l’aise avec tout ça. Pour faire cet album, j’ai dû apprendre les bases de l’enregistrement et de la programmation. Heureusement, j’avais beaucoup de gens pour m’aider, des ingénieurs et autres. Mais je suis plus à l’aise avec tout ça, c’est clair.

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Afrik.com : Vos parents sont tous deux Nigérians, Igbo. Vous avez grandi en Angleterre. Pouvez-vous nous parler de votre relation avec la culture nigériane et, plus largement, avec la culture africaine?

Kele : Mes parents n’étaient pas de grands fans de musique pop occidentale. Ils avaient quelques vinyles des Beatles et des trucs de Motown, mais ils n’étaient pas vraiment dans la musique britannique. Ils avaient beaucoup de musique africaine. J’ai grandi avec beaucoup de trucs comme King Sunny Adé, du High Life, Fela Kuti un peu, pas beaucoup. Mais c’est bizarre en fait. Parce que c’était la musique de mes parents, quand j’étais adolescent, et j’ai vraiment essayé de m’en tenir à l’écart. Je ne parle ni Igbo, ni aucune langue africaine. Et je le regrette un peu, car je pense que parler une langue vous donne accès à sa culture. La manière de construire des phrases est un des moyens de comprendre un mode de pensée. Quand nous étions jeunes, mes parents ne nous parlaient pas Igbo, ni à moi ni à ma sœur. Ils ne voulaient pas que nous ayons d’accent. Ils pensaient qu’il serait difficile pour nous de grandir au Royaume-Uni avec un accent nigérian, à cause des problèmes qu’eux avaient eu au Royaume-Uni. Et je comprends leur inquiétude. Mais je pense que c’est vraiment dommage. Je pense que ç’aurait été intéressant, que ça m’aurait donner une perspective différente sur les choses.

Afrik.com : Avez-vous l’impression qu’il est toujours difficile de vivre en Grande-Bretagne pour un Noir aujourd’hui ? Avez-vous un rôle de modèle pour la communauté ?

Kele : Je suis un homme noir et britannique. C’est quelque chose que je n’oublie jamais, en particulier au Royaume-Uni. Et c’est quelque chose dont j’ai toujours été fier, parce que nous sommes une communauté. Je suis fier de ce que cela m’a donné à vivre. Par contre, quand les gens me demandent si je suis conscient de mon « rôle de modèle » ça me rend toujours un peu nerveux. Tout ce que je fais, c’est de vivre ma vie de la manière que j’estime la plus juste, en essayant de ne faire de mal à personne. Si cela donne un rôle de modèle, alors je suppose que vous êtes un. Mais je n’aime pas penser de cette manière, parce que je suis avant tout un être humain.

Afrik.com : Quelles que soient les étiquettes que les gens tentent de mettre sur vous, vous échappez aux clichés. Vous êtes issu d’une famille africaine, vous jouez la musique rock et vous êtes ouvertement gay.

Kele : Je suppose que vous avez raison, même si je ne vois pas vraiment ça de cette manière. Je fais juste ce que j’ai envie. Je ne fais de mal à personne. Et j’ai la chance que les gens respectent cela. Davantage de gens devraient faire ce qu’ils veulent, plutôt que de se mettre des barrières, plutôt que de chercher à répondre à des clichés, à adopter des comportements stéréotypés qui ne sont pas leur véritable expression. Il y a tellement de façons de vivre la vie. Nous n’avons pas besoin d’être mis dans des boîtes.

Afrik.com : Vous avez dit que vous aimeriez produire Solange Knowles. Nous vous avons récemment vu avec un T-shirt de Beyoncé sur la BBC. Maintenant que vous avez surpris une partie de vos fans avec des titres très dance-floor, faut-il s’attendre à vous voir partir dans de nouvelles directions musicales, quelque chose de plus R&B dans votre prochain opus peut-être ?

Kele : Non, pas particulièrement. Je pense que Beyoncé est une artiste incroyable, et ceci indépendamment du fait que je suis un artiste rock. Elle est sans doute la meilleure performer que j’ai vu dans ma vie. Je sais que ce n’est pas nécessairement le type de musique que les gens associent avec ce que je fais. Mais c’est un peu comme ça que je suis. Il y a beaucoup de choses qui peuvent vous intéresser…

Afrik.com : Sans pour autant les utiliser dans votre propre musique ?

Kele : Ce que vous entendez lorsque vous écoutez ma musique n’est pas forcément ce que j’écoutais en la composant. Je suis un fan de musique pop et je l’ai toujours été. Je ne pense pas qu’il faille faire de distinction entre une musique sérieuse et une musique pour s’amuser. Si une musique vous touche, alors elle a de la valeur. Je porte mon T-shirt de Beyoncé avec fierté.

Afrik.com : Mais il n’y a pas si longtemps, quand on était dans le rock indé, on n’était pas censé écouter de la musique pop et vice-versa. Vous franchissez donc les frontières une fois de plus.

Kele : A notre époque, tout le monde a un iPod. Tout le monde a accès à toute sa musique dans un seul lecteur. Vous pouvez être branché Metallica, vous pouvez être branché Run-DMC, et être branché Madonna.

Afrik.com : Mais vous, en particulier, vous êtes capable de citer autant RuPaul que James Baldwin, Grace Jones, Morrissey ou encore Aiden Shaw dans la même interview. Et tout en portant un t-shirt de The Cure comme de Beyoncé. Ce n’est pas si habituel.

Kele : Eh bien, je ne sais pas, je ne pense pas à tout ça. Je pense seulement en termes de ce que j’aime, de ce qui m’émeut, de ce qui me touche.

Par Jules Delmy

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