Jean-Michel Rotin, précurseur malgré lui


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Nation, de Jean-Michel Rotin
Nation, de Jean-Michel Rotin

Jean-Michel Rotin est incontestablement l’artiste antillais qui a donné au Zouk R’n B ses premières lettres de noblesse. Mais lui s’en moque. Car au-delà des étiquettes, ce qui l’intéresse avant tout c’est de créer et d’avancer dans la musique. Et s’il vit aujourd’hui en Angleterre c’est justement parce que la France, où il ne se sent pas représenté, est engoncée dans une mentalité trop étriquée. Tête d’affiche du dernier Fespam au Congo, il s’est confié à Afrik sans langue de bois.

« Stop » est sans doute l’un des plus gros tubes de zouk R’n B de l’histoire, mais c’est aussi le mot qu’aimerait dire Jean-Michel Rotin à tous ceux qui sont restés bloqués sur ses productions d’il y a dix ans. Artiste en perpétuelle création, le Guadeloupéen installé désormais à Londres boude la France, un peu par la force des choses. Parce que l’industrie du disque reste frileuse à la nouveauté. Parce que l’hypocrisie du modèle égalitaire républicain lui pèse et qu’il ne se sent pas à sa place dans l’Hexagone. Contrairement à l’Afrique, où il se sent chez lui. Invité vedette du Festival panafricain de musique (Fespam, Brazzaville, Congo) en juillet dernier, il trouve tout à fait normal et logique de voir le continent bouger sur des vibes antillaises. Liens historiques et culturels obligent.

Afrik.com : Peut-on vous présenter comme le précurseur du zouk R’n B ?

Jean-Michel Rotin : Dans l’histoire c’est vrai. Mais je l’ai fait sans m’en rendre compte. Ça c’est passé comme ça. A un moment, je n’écoutais que du R’n B. Et puis il faut dire que le groupe Energy, avec lequel j’ai commencé, m’a permis de me lâcher un petit peu. On pouvait oser. Ce qui correspondait bien au concept du groupe. C’est-à-dire faire quelque chose de différent mais toujours sur des bases zouk. Mais on ne peut pas dire que c’est moi qui ait inventé le concept, disons que je l’ai révélé. Parce que je bougeais sur scène, parce que c’est peut-être arrivé au bon moment.

Le zouk R’n B arrive seulement maintenant un peu à maturité. N’étiez-vous pas trop en avance à l’époque ?

À l’époque, nous étions tous en avance sur notre temps ! Il y avait des choses vraiment folles au niveau de la composition. Aujourd’hui, la musique est beaucoup plus commerciale. Il y a des choses qui prennent le pas sur la mélodie, sur la création en elle-même. Il y a des groupes qui ont fait des choses incroyables. Je ne veux pas m’autoproclamer avant-gardiste. Ceux qu’on pense être en avance ne le sont pas, ils sont simplement de leur temps. C’est le système qui est en retard. Et c’est ce système qui vous fait passer pour un lunaire ou un précurseur.

Beaucoup de personnes vous connaissent par rapport à ce que vous faisiez il y a 10 ans, notamment à travers des titres comme « Stop ». Cela ne vous fatigue-t-il pas qu’on attende de vous le même type de productions ?

Bien sûr. Ma vie ne s’est pas arrêtée il y a 10 ans.

Que pensez-vous du terme même de Zouk R’n B?

Ce sont les médias qui ont inventé ce terme. Parce que commercialement, il fallait mettre les choses dans un créneau. Ce qui ne me dérange pas outre mesure. A chacun son travail. Personnellement, je ne sais même pas comment s’appelle ma musique. Je me contente de la faire c’est tout. Je ne vends pas un courant musical, mais mon histoire, mes émotions, mon travail.

Le zouk, à de rares exceptions près, a toujours du mal à se faire une vraie place dans la musique en France. Le milieu pâtit-il d’un manque d’organisation ?

Le zouk est une onde qui s’est répandue et se répand toujours, mais la base doit être solidifiée. Il n’y a jamais eu de véritable politique quant à cette industrie culturelle. La production est énorme aux Antilles (200 disques sortent pendant l’été) mais beaucoup ont eu des redressements fiscaux au niveau des impôts, car ils ne connaissaient pas leurs droits.

N’y a-t-il pas également une sorte de boycott de la part des grands médias métropolitains ?

Ce n’est pas nouveau. Et c’est vrai pour tous les Français venus d’ailleurs. Nous ne passons pas en télé, nous ne faisons qu’arriver. Si on commence sur un tel sujet on ne va jamais finir !

La musique caribéenne peut-elle être considérée comme de la variété française ?

Il faut appeler un chat un chat. Il faut arrêter avec le concept d’universalité. Nous devrions accepter nos différences au lieu de faire comme si nous étions pareils. On veut nous faire avaler cette pilule. Nous ne sommes pas en majorité ici. Il y a une histoire qui nous a marqués et ce n’est pas l’histoire de la France, du moins celle qu’on nous a inculquée à l’école. Nous sommes aujourd’hui des personnes qui demandons à être représentées. Nous n’arrivons pas à décrocher les places les plus hautes, à la télévision, dans les magazines… C’est unilatéral. Depuis que je suis tout petit, tous les héros sont blancs. Alors, quand on me dit que je suis Français j’aimerais leur demander quelle est leur conception de la France. On peut pratiquement considérer la France comme un Etat raciste. Dans la théorie non, mais dans la pratique oui. Il y a une sorte d’hypocrisie sournoise, qui se passe même de paroles, ça se lit parfois dans les yeux. Ce racisme latent bloque beaucoup de choses.

Vous habitez désormais en Angleterre. Est-ce à dire que vous avez fait une croix sur le marché français ?

J’ai voulu changer d’environnement. C’est une mentalité et une autre ouverture. Là-bas ça avance vite. Le problème est que je me sens français uniquement de manière administrative. Mais dans mon fonctionnement d’artiste, je ne peux pas travailler sur le marché français. Tout va si lentement en France, il faut passer par tout un processus où il y a un triage qui s’opère. En France, les portes sont fermées pour ceux qui veulent faire des choses différentes.

Comment les Anglais vous considèrent-ils artistiquement ?

Quand les Anglais écoutent, ils ne qualifient pas ce que je fais de zouk. Ils appellent ça « Soul full », parce qu’il y a beaucoup d’influences et de sensibilité dans ma musique. Le fait est que, dans la musique, je travaille sur des projets de différents styles, que ce soit pop, R’n B, funk, soul ou zouk pur. Des amis me proposent des compositions ou on m’appelle pour des arrangements pour que j’amène ma touche.

Vous allez sortir un best of. Certains pensent que les artistes sortent ce type de production quand ils sont en panne d’inspiration.

J’ai horreur des best of mais c’est un travail de mémoire car toutes les productions qui sont sorties avec Energy sont éparpillées. Tout se passe entre maisons de disques pour des intérêts qui ne concernent pas forcément les artistes. Nous n’avons nous-même pas accès convenablement à nos bandes. J’ai voulu faire ce best of de mon propre chef, pour moi, pour le groupe Energy et pour notre public.

Nation est seulement votre troisième album solo en plus de 15 ans de carrière…

Oui, j’ai toujours pris du temps pour sortir mes créations. Je trouve que c’est mieux.

Quelles sont les musiques que vous écoutez pour vous ressourcer ?

Je n’écoute pas du tout de nouveautés. Je reviens à la genèse de ce qui me plaisait, du bon blues, de la bonne soul, du vieux funk, du bon vieux zouk rétro. Je trouve l’ancien plus qualitatif.

Vous jouez souvent en Afrique. Comment vous sentez-vous là-bas ?

L’Afrique me rappelle la maison, en Guadeloupe, quand j’étais petit.

Cela vous étonne-t-il que l’Afrique soit sans doute le premier consommateur de musique antillaise ?

C’est normal que les Antillais puissent être compris avec leur musique. C’est un peu un héritage. Il y a beaucoup de similitudes culturelles entre l’Afrique et les Antilles. Ne serait-ce qu’au niveau des mots, des mimiques et de la façon de faire. C’est le même mouvement.

Quel serait votre rêve artistique ?

Un village de musiciens en création. Un lieu où ça vit et ça bosse.

Par Nyr Raymond

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