Il y a 50 ans, le canal de Suez était nationalisé


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Le canal de Suez
Le canal de Suez

26 juillet 1956, moment historique pour l’Egypte. Défiant la France et la Grande-Bretagne, le Président Nasser annonce la nationalisation du canal de Suez, point de passage stratégique entre la Méditerranée et la mer Rouge, ouvrant ainsi la voie au nationalisme arabe. 50 ans plus tard, alors que la région est secouée par l’attaque israélienne au Liban, l’Egypte célèbre la nationalisation du canal dans la discrétion.

Une effigie sur un timbre, quelques cérémonies limitées, sans fanfare ni feux d’artifice… Mercredi, l’Egypte a célébré dans la discrétion le cinquantenaire de la nationalisation du canal de Suez, au moment où la région traverse une grave crise avec Israël, qui a lancé le 12 juillet une offensive contre le Hezbollah au Liban. « Pour le jubilé d’or de la nationalisation… rien de particulier », regrette un journaliste dans les colonnes d’Al-Ahram. « Un sentiment de détachement, peut-être. On se demande même si les Egyptiens ne sont pas dépassés par les événements un peu plus loin de leurs frontières, au Liban. »

Inauguré en 1869, cet axe maritime de 190 km reliant Port-Saïd, sur la Méditerranée, à Suez, sur la mer Rouge, permet aux bateaux d’aller d’Europe en Asie sans contourner l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance. Les autorités du canal ont profité de cet anniversaire pour annoncer un nouveau record de ses revenus annuels. Pour l’année qui s’est achevée fin juin dernier, le canal a enregistré des recettes de 3,564 milliards de dollars, soit une hausse de 274 millions de dollars par rapport à l’année précédente. Les recettes annuelles avaient également battu des records en 2004 et 2005 et l’une des rares chutes est survenue en 2001, suite aux attentats du 11 septembre, avec une baisse de 1,6% par rapport à l’année précédente.

Poumon économique

Les revenus du canal constituent la troisième source de devises étrangères de l’Egypte après le tourisme et les transferts d’argent des émigrés. Ils représentent 10 millions de dollars par jour dans les caisses de l’Etat, selon les chiffres de la Compagnie du canal. 7% du commerce mondial transite par cette artère privilégiée, dont l’utilité a été renforcée par l’augmentation du trafic militaire et l’expansion du commerce international, notamment avec la Chine et l’Inde. Les échanges avec l’Asie du sud-est représentent aujourd’hui près de 40% du trafic dans le canal. Point de passage stratégique, le canal de Suez est pourtant jusqu’ici resté à l’abri des conflits régionaux et il connaît en ce moment des travaux d’élargissement en largeur et profondeur. D’un coût de 10 milliards de dollars, il devrait, d’ici 2012, permettre le passage de navires géants comme les pétroliers de 350 000 tonnes.

Au-delà de l’aspect économique, le canal de Suez porte encore aujourd’hui une forte charge symbolique. Sa nationalisation reste l’un des moments les plus glorieux de l’histoire égyptienne. En 1956, le canal est administré par la France sous supervision militaire britannique. Gamal Abdel Nasser, au pouvoir depuis 4 ans, annonce sa nationalisation le 26 juillet lors de son fameux discours de deux heures à Alexandrie, sa ville natale. Il affirme alors que « la pauvreté n’est pas une honte, mais c’est l’exploitation des peuples qui l’est ». « Nous reprendrons tous nos droits, car tous ces fonds sont les nôtres et ce canal est la propriété de l’Egypte. Le canal a été creusé par 120 000 Egyptiens, qui ont trouvé la mort durant l’exécution des travaux. La société du canal de Suez à Paris ne cache qu’une pure exploitation. »

La crise de Suez

Il cite 14 fois le nom de Ferdinand de Lesseps, le diplomate français à l’origine de la construction du canal. C’est en fait un mot de passe en direction d’une trentaine de ses collaborateurs chargés d’investir les bureaux de la Compagnie du canal à Suez, Ismaïlïa et Port-Saïd pendant son discours. Les hommes ne sont pas armés et réussissent l’opération sans effusion de sang. L’Egypte vient de récupérer l’un des principaux points de passage du pétrole entre les pays arabes et l’Europe, ce qui soulève un tollé en Occident et déclenche une véritable crise. Pour le Premier ministre britannique de l’époque, Anthony Eden, la nationalisation est un acte « fasciste » et il va jusqu’à comparer Nasser à Mussolini et Hitler…

Quatre mois plus tard, la France, la Grande-Bretagne et Israël attaquent l’Egypte pour récupérer le canal. C’est l’opération « Mousquetaire ». Les menaces du soviétique Kroutchev et la condamnation américaine imposent un cessez-le-feu le 7 novembre 1956. Les anciennes puissances coloniales doivent battre en retraite et les Casques bleus onusiens se déploient pour la première fois dans la région. Pour Nasser, c’est une défaite militaire mais une victoire politique. Il sort de cette crise grandi aux yeux des peuples arabes pour avoir défié les empires européens. Son geste est considéré comme le coup d’envoi du nationalisme arabe, dont il devient l’un des héros. La nationalisation du canal signe la fin du colonialisme européen au Proche-Orient et modifie les rapports de force dans la région.

Symbole de puissance

« La nationalisation a marqué une phase au cours de laquelle les Arabes ont pu retrouver leur puissance. L’Egypte et tous les Etats arabes ont pu récupérer le contrôle sur leurs ressources les plus importantes. A cette époque, nous avons alors pris en mains toutes les clés qui ont permis à l’Egypte de se reconstruire. Aujourd’hui, nous passons à une étape opposée. Nous sommes en train de vendre et très facilement tous nos actifs les uns après les autres aux étrangers et à un prix minime », explique Hossam Issa, professeur de droit international, interviewé par Al Ahram. Qui insiste : « J’ose dire que le canal de Suez reste présent dans la mémoire de tout Egyptien. (…) Quand l’Egypte retrouvera sa gloire, le canal retrouvera la sienne. »

Aujourd’hui, plus personne ne dispute la souveraineté égyptienne du canal, qui emploie 25 000 Egyptiens et qui est devenu le poumon économique du pays. Et pas de privatisation à l’horizon. Car comme le résume Galal Al-Dib, conseiller de l’Organisme du canal de Suez : « Son eau et son sel coulent dans nos veines ».

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