Homosexualité au Cameroun : les dangers de « sortir du Nkuta »


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Est-il possible d’assumer son homosexualité au Cameroun ? A ses risques et périls. Une ordonnance de 1972 fait des relations entre personnes de même sexe un délit passible de cinq ans de prison. Le documentaire Cameroun : sortir du Nkuta, diffusé dimanche et lundi sur France Ô, revient sur les répercussions de ce texte sur la communauté gay et lesbienne.

Février 2006. La caméra de Céline Metzger s’arrête sur l’entrée de la prison centrale de Yaoundé, où sont retenus depuis plusieurs mois neuf homosexuels. Lambert, l’un d’eux, raconte lors d’une interview accordée à la journaliste française qu’il n’y a pas eu flagrant délit : ils ont été arrêtés en mai 2005 suite à une dénonciation.

Toujours début 2006, la réalisatrice de Cameroun : sortir du Nkuta – l’équivalent de « sortir du placard » – exhume une série de couvertures de journaux qui avaient fait grand bruit. Il s’agit de celles annonçant la publication de listes d’homosexuels présumés. Des listes qui comptent aussi bien des leaders politiques, que des artistes et autres chefs religieux.

« Sujet racial, historique »

A l’époque, l’atmosphère est électrique. Face à l’objectif, une jeune fille déclare que les homosexuels devraient « être pendus sur la voie publique », que les relations entre personnes de même sexe sont une « pratique satanique ». Un homme assimile pour sa part cette sexualité à une dérive sectaire ou franc-maçonnique. Un autre se plaint que c’est une perversion venue de « l’Occident ».

« Du point de vue camerounais, l’homosexualité viendrait de France et l’on voit dans le film qu’il reste de la rancœur envers l’ancien colon. Du coup, le sujet devient racial, en tout cas historique », commente Céline Metzger, qui a tourné en février-mars 2006 et en mai 2008.

S’ajoute à la dimension raciale et historique le paramètre social. Faire son coming out, c’est risquer l’exclusion familiale, la vindicte populaire. La sentence peut être la même en cas d’outing, le processus qui consiste à dénoncer un homosexuel. Reste que certains ferment les yeux sur l’orientation sexuelle de leur parent. Comme la mère de Muriel, persuadée que sa fille bisexuelle traverse une passade.

« Aller contre l’idée que le Noir serait « plus virile » »

En matière d’homosexualité, la répression, la stigmatisation, le compromis… n’ont rien de spécifique au Cameroun. Ce pays est l’un des 38 Etats africains qui criminalisent les relations gays et lesbiennes. Alors pourquoi l’avoir choisi lui plutôt qu’un autre ? « C’est le seul pays africain francophone à majorité non-musulman où l’homosexualité est pénalisée », confie simplement Céline Metzger.

Lorsqu’on lui demande quelles étaient ses motivations pour tourner Cameroun : sortir du Nkuta, la réalisatrice explique que c’était « d’abord un moyen de parler aux Blancs de l’homosexualité sans qu’ils se sentent attaqués dans leur homophobie potentielle. Il est en effet plus facile d’aborder certains problèmes en parlant des autres ».

Liberté d’être

Céline Metzger voulait aussi remettre les pendules à l’heure. « J’ai pensé que traiter de l’homosexualité chez les Noirs allait contre beaucoup de clichés, et surtout contre l’idée que le Noir serait « plus virile » que les autres hommes », dit-elle.

Si le 52 minutes décortique l’homophobie camerounaise – sans porter de jugement -, il reflète aussi le dynamisme des gays et lesbiennes qui militent pour la liberté d’être ce qu’ils sont. A l’image de Lambert.

L’ex-prisonnier de Yaoundé se bat aux côtés de l’Association de défense de l’homosexualité fondée par l’avocate Alice Nkom, qui l’a fait sortir de prison avec ses huit co-détenus. Il s’active par ailleurs au sein de l’association de droits humains Alternatives Cameroun.

« Cameroun : sortir du Nkuta »

Réalisation : Céline Metzger

Production : Les films du Balibari

Dimanche 31 mai (20h35) et lundi 1er juin (15h15) sur France Ô

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