Hervé Bourges : « Le président Chadli Bendjedid a joué un rôle essentiel dans les 50 premières années de l’indépendance »


Lecture 5 min.
arton27356

Chadli Bendjedid, qui a dirigé l’Algérie de 1979 à 1992, s’est éteint ce samedi à 83 ans. « L’ère des Tempêtes (1988-2012)« , la seconde partie de « L’Algérie à l’épreuve du pouvoir (1962-2012)« , le documentaire de Hervé Bourges réalisé par Jérôme Sesquin, revient notamment sur sa gestion du pouvoir. Le président Chadli Bendjedid vu par Hervé Bourges. Entretien.

Afrik.com : L’ancien président Chadli Bendjedid est mort. Il est l’un des acteurs de votre documentaire L’Algérie à l’épreuve du pouvoir
(1962-2012
), dont la deuxième partie est diffusée ce dimanche sur France 5 à 22h. Que vous inspire cette disparition ?

Hervé Bourges : J’ai moins connu le président Chadli Bendjedid que je ne connais le président Bouteflika, que je n’ai connu les présidents Ben Bella et Boudiaf. Mais je me souviens qu’il avait été reçu à l’Assemblée nationale lors de sa visite à Paris et nous avions eu un entretien avec lui, Pierre Mauroy et moi. Je l’ai également vu à Alger à plusieurs reprises. Bien évidemment, la mort de quelqu’un inspire de la compassion. Pour le reste, je voudrais rappeler que Chadli Bendjedid a joué un rôle essentiel dans les 50 premières années de l’indépendance. A la mort du président Boumédiène en 1978, l’armée impose son candidat comme successeur. Tout le monde pensait que ce serait Abdelaziz Bouteflika, mais c’est Chadli Bendjedid qui est désigné. Il tente alors une libéralisation, qui se traduit dans les années 80 par la montée de la contestation dans le pays, parce qu’elle ne profite pas à l’ensemble de la population. Et la contestation se manifeste par le « printemps berbère », le combat des féministes, les protestations contre le parti unique. Et les islamistes, qui répandent leur diatribe, en profitent également avec la complaisance du pouvoir. Puis en 1986, le contre-choc pétrolier plonge l’Algérie dans une crise économique sans précédent qui se transforme en crise morale, sociale et politique. En octobre 88, cinq jours d’émeutes paralysent le pays. L’armée va réprimer cette révolte avec violence. Bilan : 500 morts. Au soir du 10 octobre, le président Chadli Bendjedid promet des réformes qui ouvrent la société algérienne à une véritable démocratie. C’est à cette époque que l’Algérie connaît son « printemps arabe », bien longtemps avant l’Egypte, la Tunisie ou encore la Libye.

Afrik.com : Vous le montrez dans votre documentaire : il est au premières loges de la montée des islamistes en Algérie ?

Hervé Bourges : Les réformes vont permettre la création de dizaines de partis politiques, l’instauration de la liberté de la presse qui est resté un acquis. Cependant, les tempêtes ne sont pas loin. Dès 90, le Front islamique du salut (FIS), dirigé par Abbassi Madani et Ali Belhadj, remportent les élections municipales. Benjedid pensait que ces élections seraient remportées par le FLN. Un an plus tard, le FIS arrive en tête des législatives. Ce que l’armée n’accepte pas. Ce fut le début des violences en Algérie. Le terrorisme islamiste se répand et l’armée réprime violemment. Cela va aboutir à dix ans d’actes sanglants et à 200 000 morts.

L’Algérie à l’épreuve du pouvoir (1962-2012) : L’ère des Tempêtes (1988-2012)

1978. Houari Boumédiène meurt et Chadli Bendjedid est choisi par l’armée pour lui succéder à la présidence de la République. Le nouveau chef de l’Etat algérien s’engage dans une sorte de « deboumédianisation » de l’économie algérienne. La libéralisation économique est engagée et, avec elle, la corruption prend des proportions grandissantes. En 1988, la révolte gronde et les islamistes s’en mêlent. Deux ans plus tard, le Front islamique du salut (FIS) remporte la moitié des communes, à la surprise des dirigeants du Front de libération nationale (FLN), et continue sa percée avec législatives. Chadli Bendjedid est démissionné par l’armée en 1992, emporté d’une certaine manière par la vague islamiste qui va plonger l’Algérie dans dix années de sang et de terreur. L’ère des Tempêtes (1988-2012) raconte les massacres, les drames et la douleur d’un pays. Il rend également compte des initiatives qui seront mises en place pour lutter et négocier, ensuite, avec les leaders du Groupe islamique armé (GIA). La deuxième partie de L’Algérie à l’épreuve du pouvoir (1962-2012), c’est la victoire d’Abdelaziz Bouteflika à la présidentielle de 1999. Pendant plus de deux décennies, il aura attendu patiemment de jouer sa partition politique. Cette fois-ci, il a la bénédiction de l’armée et tentera d’être l’acteur d’une « Concorde civile », qui continue d’être source de controverses dans la société algérienne. L’ère des Tempêtes (1988-2012) note que l’Algérie n’est pas encore un Etat de droit et que la corruption persiste. Il souligne aussi que le président Bouteflika à une mission politique et sociale : être l’artisan d’une nouvelle Algérie, où le chômage ne paralyse plus une vibrante jeunesse, d’un pays réformé et à même de se considérer comme une démocratie.

Afrik.com : C’est dans cette période de tumulte que Chadli Bendjedid démissionne en 1992 ou est plutôt démissionné par l’armée, celle-là même qui l’avait imposé ?

Hervé Bourges : Sa démission est dictée par l’armée. Imposé, ce sera aussi le cas de Mohamed Boudiaf qui le remplace. Ce dernier n’était pourtant pas proche des militaires. Tous les autres présidents algériens ont été pratiquement imposés par l’armée. En ce qui concerne le président Bouteflika, l’armée qui ne voulait pas de lui après la mort de Boumédiène, a accepté qu’il se présente en 1999. Je ne suis pas persuadé, contrairement à ce que l’on dit, que Bouteflika soit prisonnier des militaires. C’est quelqu’un qui a pris ses distances avec l’armée tout en s’appuyant sur elle et qui permettra, il faut l’espérer pour les deux ans de mandat qu’il lui reste, d’ouvrir la société algérienne; et de passer de la légitimité révolutionnaire à la légitimité populaire.

Afrik.com : Que retiendrez vous de Chadli Bendjedid à l’épreuve du pouvoir ?

Hervé Bourges : Le président Bendjedid avait sûrement de bonnes intentions mais il n’a pas pu faire face à une situation économique désastreuse. Par ailleurs, il pensait que l’ouverture démocratique ferait taire la contestation politique en Algérie. Au lieu de cela, elle permet aux islamistes de s’imposer. En somme, il a ouvert l’Algérie aux libertés démocratiques, sans se rendre compte qu’il était peut-être trop tard, et sans prendre les précautions nécessaires.

L’ère des Tempêtes (1988-2012) : la deuxième partie de L’Algérie à l’épreuve du pouvoir est diffusée sur France 5 ce dimanche 7 octobre 2012 à 22h.

Durée : 60 minutes

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News