Haïti : Guito’b, le Bohémien


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Guito’b en a vu des vertes et des pas mûres. Mais, tenace et motivé, le chanteur haïtien fait tout pour réaliser son rêve : vivre de la musique. En attendant de sortir son premier album, il chante dans le métro parisien. Le jeune homme, qui vit de ces prestations underground, nous raconte son parcours, nous parle de son CD en préparation et de son pays natal.

Guito’b est arrivé ce mercredi chez Afrik.com, accompagné de sa guitare et de son manager Phil. Le chanteur de 29 ans, né à Haïti et arrivé en France à l’âge de 5 ans, semblait serein et à l’aise. L’artiste est passé dans deux émissions de téléréalités françaises, Popstars et Nouvelle Star, pour voir de quoi il retournait. Ce n’était pas son truc, mais il a beaucoup appris. Humble et franc, il nous raconte son amour de la musique, son parcours et ce qu’il espère pour son pays natal.

Afrik.com : Quel est votre parcours d’artiste ?

Guito’b :
Je suis chanteur compositeur depuis très longtemps. J’ai 29 ans, mais je chante à peu près depuis l’âge de 5 ans. A cet âge là, j’étais déjà dans une chorale de Gospel. Je n’étais pas habitué à écouter de la musique, mais j’étais habitué à apprendre les chants Gospel, à les répéter… Et quand j’ai eu mes 10-11 ans, j’ai commencé à composer. J’étais enfermé toute la journée dans ma chambre et je ne faisais que composer.

Afrik.com : Vous étiez prédisposé à faire de la musique…

Guito’b :
Ma famille a baigné dans la musique. Ça va de mon père à ma mère, en passant par mes frères et sœurs. Une de mes sœurs faisait de la harpe, une autre du piano, mon père et ma mère chantent. Un de mes oncles dirige une chorale, mon grand-père est maestro… Nous sommes une famille de musiciens, du coup je n’avais pas trop le choix (rires).

Afrik.com : Comment définiriez-vous votre style ?

Guito’b :
Je ne peux pas définir vraiment ma musique, mais c’est de la folk mélangée avec un peu de soul et j’essaie d’ajouter une rythmique de mon pays, Haïti. Quant à mes influences… je vais peut-être décevoir beaucoup de personnes, mais je ne suis pas vraiment influencé par des artistes. J’écoute un peu de tout, mais je ne suis pas bloqué sur un artiste. Et d’ailleurs c’est quand je suis rentré dans le groupe Presteej que j’ai appris à écouter les autres artistes. Avant, je ne le faisais jamais. J’ai écouté Steve Wonder, Michael Jackson… C’est là que j’ai compris que ce qu’ils faisaient était vraiment très grand. Je pense que j’ai développé un petit côté original parce que je n’ai pas écouté les autres artistes. Quand j’ai rejoint Presteej, je me suis imprégné de ce qu’ils faisaient et en même temps de ce que j’ai développé seul. Cela a fait un mélange, qui a donné ce que je fais aujourd’hui.

Afrik.com : Avec Presteej, vous avez fait la première partie de grands artistes…

Guito’b :
Oui. Il y a eu Corneille, Florent Pagny, Les Poetics Lovers, les Melgroove et encore d’autres artistes. C’était une belle époque.

Afrik.com : Certains vous comparent à Keysiah Jones…

Guito’b :
Ça me fait plaisir quand on me compare à Keysiah Jones car c’est un artiste vraiment à part. Cela me fait plaisir, mais en même temps ça me fait peur parce que ça met une pression : je ne sais pas comment Kesiah Jones réagirait en entendant ça.

Afrik.com : Pourquoi avoir participé aux castings de Popstars et Nouvelle Star ?

Guito’b :
Pour l’extase, pour sentir la sensation de ce que ça fait d’être devant un jury, de faire ce qu’on nous demande et subir toute cette pression, apprendre à garder son sang froid… Parce que je pense qu’à un moment donné, quand on est artiste, on aime bien toucher à tous les domaines de l’art qu’on pratique. Moi, c’est la musique. Dans ce milieu, les gens sont soit très puristes, soit très commerciaux. Je pense que c’est bien de connaître un peu les deux. Les émissions comme Popstar et la Nouvelle Star nous ramènent à la réalité. Souvent, quand on fait de la musique on rêve de devenir star, on a la tête dans les nuages… Mais on ne se rend pas compte de ce que c’est d’être star, d’avoir toute cette couverture médiatique, d’avoir derrière soi un manager, une production, le marketing qu’il faut faire…

Afrik.com : Participer à ces émissions vous a-t-il apporté ce que vous cherchiez ?

Guito’b :
Non. Disons que je ne me suis pas vraiment senti dans mon élément. Et en même temps, je me suis dit qu’il fallait absolument que j’essaie ce chemin. Pas forcément dans l’optique d’arriver jusqu’au bout, mais il fallait absolument que j’essaie parce que je voulais voir ce que c’était comme sensation et si ça pouvait ouvrir des portes par la suite.

Afrik.com : Et alors ?

Guito’b :
Je me suis rendu compte que, oui, effectivement, ça peut ouvrir des portes, mais ça en ferme beaucoup. Suite à Popstar et Nouvelle Star, j’ai eu des propositions pour faire des plateaux. Mais quand la personne qui organisait la scène visitait mon site et voyait que j’étais passé par ces émissions, elle me refusait. La personne a même eu l’occasion d’entendre mon album. Elle l’a apprécié et voulu me rencontrer et il a suffit qu’elle aille sur Internet et tout est parti.

Afrik.com : Vous regrettez d’être passé par ces émissions ?

Guito’b :
Non, pas du tout. Car, honnêtement, il y a quand même du positif dedans. Mais il faut se dire qu’il y a des règles qui régissent le milieu artistique et qu’il ne faut pas croire que parce qu’on est bon, on va y arriver. Moi, ça m’a appris à être plus humble et à comprendre qu’être artiste ce n’est pas seulement savoir chanter. C’est un tout. C’est l’image, respecter les gens qui s’occupent de nous, c’est travailler tous les jours et bien sûr, il ne faut pas oublier qu’à la fin, c’est le public qui décide. Quand on n’est pas vraiment confronté à ce genre d’émissions, on n’a pas l’occasion de s’en souvenir, mais c’est vrai. Quand on vend un CD en magasin, si personne ne l’achète, on a beau être bon, personne ne le saura.

Afrik.com : Vous avez un album en préparation qui doit sortir fin mars…

Guito’b :
Là encore, c’est compliqué, ce n’est pas sûr à cause de tous ces blocages. Mais je n’aime pas m’apitoyer en me disant que si je ne sors pas le CD c’est parce que j’ai fait Popstar ou Nouvelle Star ou parce que je ne rentre pas dans les case. Pour moi, il faut être positif, se battre et un jour où l’autre la chance te sourit. Car le milieu artistique c’est ça : 99% de chance et 1% de talent. C’est la dure réalité. Je suis désolé pour les artistes qui veulent percer, mais c’est véridique. J’insiste là-dessus car ça fait des années que je me bats pour essayer de vivre de la musique. Je ne dis pas de devenir une star, je dis de vivre de la musique. Simplement. Et j’y arrive, à tout petits pas.

Afrik.com : Quels sont les thèmes que vous abordez dans votre album ?

Guito’b :
J’essaie d’aborder des thèmes que je connais plus ou moins. Comment dire… Tout ce qui est rempli d’émotion et tout ce qui peut sensibiliser les gens à vouloir changer non pas à changer leur petit monde à eux, mais carrément le monde. Là, on essaie tous d’améliorer notre monde, mais très peu de personnes pensent à changer le monde en général. Les jeunes se battent pour réussir, mais qu’est ce qu’ils font pour que les générations qui vont les suivre n’aient pas à galérer ? J’ai une chanson qui s’appelle Le Bohémien, où j’explique que je ne vais pas abandonner, que la musique c’est toute ma vie et que j’ai tout sacrifié pour y arriver – mais je pense que beaucoup d’artistes sont dans ce cas. Sinon, il y a des sujets un peu plus difficiles comme les enfants-soldats qui doivent devenir adultes très vite car ils ont des armes entre les mains. Dans cette chanson, je n’aborde pas le côté meurtrier mais j’essaie de donner un peu de bonheur à ces enfants. Dans Les étoiles, je parle d’espoir, j’explique qu’il faut toujours rester fort et se battre. Bien sûr, j’ai des chansons un peu plus lovers (rires). J’ai une chanson qui dit « qu’on va s’envoler ». C’est pour dire aux femmes qu’il faut se laisser aux petits mots doux que leurs disent leurs copains, car ils sont parfois sincères. Dans ma chanson C’est le bon, j’explique aux femmes que les hommes ont besoin d’être aimés. Car on le sait pour les femmes, mais on ne le sait pas assez pour les hommes, je trouve.

Afrik.com : Vous jouez à Paris à la station de métro République. Comment ça se passe ?

Guito’b :
J’ai choisi République car les couloirs m’inspirent. Je chante tous les jours, mais j’évite le dimanche. Les gens dans le métro, quand ils me voient, sont supers gentils. Il arrive que certains d’entre eux me reconnaissent et ils sont un peu surpris qu’on puisse passer à la Nouvelle Star et se retrouver à chanter dans le métro. Mais je pense qu’il n’y a pas de frontières dans la musique. Cela me rapporte énormément sur le plan humain parce que je fais des rencontres extraordinaires. J’ai rencontré un homme qui avait 63 ans je crois. Il était en train de danser sur ma musique et quand j’ai fini, il m’a fait un baiser sur le front et m’a dit quelque chose qui m’a vraiment ému. Il m’a dit que ça faisait trente ans qu’il est dans le métro, qu’il aime la vie et que c’est bien ce que je fais. D’être jeune et de faire ce genre d’actions, de s’épanouir et d’aimer la vie. Il y a des gens avec qui j’ai noué des affinités et qui sont là tout le temps. Dès que je suis là, ils attendent, ils arrivent parfois avant moi. Certains viennent régulièrement et j’ai l’impression qu’ils rassemblent même de l’argent dans la semaine et ils me déposent toujours quelque chose dans la semaine.

Afrik.com : Combien gagnez-vous ?

Guito’b :
Suffisamment pour vivre et pour ne pas faire un autre boulot à côté. Je suis un peu gêné quand je dis ça, mais c’est dur pour moi. Parce que chaque pièce que les gens me donnent a beaucoup d’importance pour moi, car je regarde le visage des gens et ceux qui donnent des pièces et ils ne sont pas riches. Donc ça me met un peu mal. En moyenne, ils me donnent 50 euros par jour, voire 100 euros. En plus, je chante de 14 heures à 20 heures environ, mais je me pose, je prends le temps de discuter avec les gens… Donc ce n’est pas un travail, c’est la facilité. Et en plus je gagne de l’argent avec le sourire, donc je ne me plains pas. Mais ce n’est pas bien de rester comme ça donc j’essaie de faire le nécessaire pour que les choses avancent.

Afrik.com : Quelle place tient Haïti dans votre vie ?

Guito’b :
J’ai écrit une chanson où j’explique que je suis désolé car j’ai promis que je reviendrais très vite et je ne suis pas revenu. Mais qu’il ne fallait pas qu’ils s’inquiètent, que je reviendrai un jour de toute façon. En même temps, j’ai peur parce que les choses ne s’améliorent pas là-bas et c’est vraiment triste car les gens en veulent, ils sont intelligents. Ils parlent plusieurs langues, l’anglais, l’espagnol et le français. C’est un pays francophone, il ne faut pas l’oublier. Il ne faut pas oublier aussi que c’est le premier pays noir indépendant, en 1804 avec Dessalines, Toussaint Louverture… C’est le peuple noir qui a montré la route de la liberté aux autres, que ce soit les Africains ou les autres peuples. De voir qu’aujourd’hui ils n’arrivent pas à gérer leur indépendance, c’est triste. A chaque fois qu’il y a un nouveau Président, je me dis : « J’espère que ce sera le bon ». Ce que je pourrais faire pour Haïti, je le ferais. J’espère un jour pouvoir faire quelque chose pour mon pays. Je suis de là-bas, même si je suis venu en France très tôt.

Afrik.com : Vous êtes retourné quelques fois à Haïti. Quel sentiment ave-vous lorsque vous vous y rendez ?

Guito’b :
Le sentiment qui m’a vraiment fait mal à mon dernier retour d’Haïti, c’est dur de le dire parce que je suis Haïtien et black, est le fait de me sentir plus Français que Haïtien. En France, j’ai tellement été habitué à cette liberté d’expression et à cette sécurité, même si elle n’est pas de 100%, au confort et au reste que quand je suis à Haïti, où tout ça manque, je suis pressé de retourner en France. Je ne peux pas le cacher, c’est vrai, même si ça me fait mal. Quand je suis à Haïti, j’ai toujours cette sensation. Il y a une insécurité incroyable là-bas, les gens font un peu ce qu’ils veulent.

Afrik.com : Vos parents sont-ils fiers de votre parcours ?

Guito’b :
Au départ, ils ne me voyaient pas du tout dans la musique. Avec le temps, ils se sont fait une raison, mais ils ne sont toujours pas d’accord. Pour eux, dans la famille tout le monde est musicien par amour, pas par profession. On ne gagne pas sa vie avec la musique, ce en quoi ils n’ont pas tout à fait tort quand on commence dans le milieu. A ça vient s’ajouter un autre problème, et c’est pour ça que mes chansons sont accentuées dans l’émotion, c’est que je recherche beaucoup d’amour. Or j’ai pas eu une enfance facile et jusqu’à présent il y a des choses que j’attends de mes parents et que je pense tous les enfants ont eu dans leur petite enfance. D’ailleurs dans la chanson Maman Papa que j’ai écrite, je dis que j’attends que mon père me prenne dans ses bras, que ma mère me dise « je t’aime ». Aujourd’hui, j’ai fait le deuil des choses difficiles que j’ai vécues, je n’en veux pas à mes parents, mais la vie de famille que j’ai eu ce n’est pas un exemple. J’ai quitté le cocon familial à 18 ans et je n’ai pas revu ma famille pendant 10 ans. Je les ai revu récemment, mais la communication n’est pas très bonne. Avec mon père ça va, c’est avec ma mère que c’est compliqué. Mais mes parents ont beaucoup souffert et disons que la culture haïtienne est très stricte et que j’ai beaucoup subi. Mais même s’ils ne le montrent pas vraiment, je sais, je sens, qu’ils sont fiers de moi. Mais j’aimerais un jour les voir venir à l’un de mes concerts.

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