Grève massive de sans-papiers en France : «on sera là jusqu’au bout!»


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Plus de 250 salariés sans-papiers d’une vingtaine d’entreprises franciliennes ont commencé, mardi, une grève illimitée. L’opération, encadrée par le syndicat de la Confédération Générale du Travail (CGT), a été organisée dans la plus grande discrétion et semble bien partie. Nécessaires dans l’activité économique du pays, ces travailleurs de l’ombre exigent d’être reconnus. Ils entendent dénoncer leur situation et réclamer leur régularisation immédiate.

Paris, rue Lafayette. Bienvenu Chez Papa, une chaîne de restaurants bon chic bon genre. Quelques policiers rôdent autour du restaurant. Mais les employés, qui comptent bien y rester, semblent rassurés par la présence des militants CGT. L’occupation est prévue pour un temps indéfini nuit et jour. Dès le départ, le ton est donné. «On sera là jusqu’au bout! Jusqu’à la régularisation de tous les sans-papiers », déclare Adam Drame. Cuisinier dans le restaurant, ce sénégalais fait partie des exceptions. Celles qui confirment la règle. Arrivé en France en 1998, il a obtenu le fameux sésame en 2001. Alors, pourquoi est-il présent ? « Je ne peux pas imaginer le fait qu’un jour, en arrivant au boulot, je ne retrouverai plus certains de mes collègues », confie-t-il. Il estime essentiel de « s’impliquer » dans ce combat car il sait combien c’est dur. Presque tous cotisent et payent des impôts « comme les Français ». Un autre de ses collègues confie : « Vous ne savez pas ce que c’est que de vivre dans la peur de se faire attraper à chaque station de métro… » Mais aujourd’hui, l’espoir a remplacé la peur.

L’exemple du restaurant de «La Grande Armée»

Le coup médiatique du 13 février 2008 est présent dans les esprits. Ce jour- là et pendant une semaine, les cuisiniers du restaurant de luxe La Grande Armée, avec le soutien de la CGT, ont pris leur courage a deux mains en portant publiquement leurs revendications. Au bout de six jours, sept d’entre eux ont été régularisé en référence à la circulaire gouvernementale du 7 janvier 2008. Celle-ci prévoie la régularisation de travailleurs en situation irrégulière « à titre exceptionnel » dans les métiers où le manque de main-d’œuvre est symptomatique tels que la restauration, le bâtiment ou encore le nettoyage… mais sous certaines conditions.

Les risques sont grands. Ces derniers mois, les reconduites à la frontière se font de plus en plus fréquentes. Rémi Picaud, un des responsables de la CGT-Commerce, n’hésite pas à utiliser le terme de « rafles ». Mais « s’ils restent dans la clandestinité, ce n’est pas bon pour eux », estime-t-il, « les immigrés sans-papiers sont exploités et ils se laissent faire car ils n’ont pas le choix. »

Cependant, beaucoup se sont rendus compte que la médiatisation de leur cas peut jouer un rôle crucial dans l’obtention de leur carte de séjour. « Les dernières actions ont donné confiance», assure Caroline Aubry, responsable immigration de la CGT en Ile-de-France. Depuis l’épisode de La Grande Armée, des centaines de sans-papiers ont contacté le syndicat. Elle précise que ce ne sont pas moins de 800 contacts qui ont été pns et « près de 300 d’entre eux ont adhéré au syndicat ».

Des patrons bredouilles

Du côté de la direction de Chez Papa, c’est le dépit qui prime. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne s’attendait pas à une journée pareille. L’assistant de direction et le responsable du personnel n’ont pas souhaité répondre à nos questions. Ils n’ont laissé échapper qu’une seule phrase : « Nous sommes bien dans nos baskets ». Mais le patron de la chaîne, agacé et plutôt énervé, s’est exprimé au sujet de ses employés: «Ce ne sont pas des sans papiers mais des personnes qui possèdent de faux papiers. Je n’ai donc rien à me reprocher. Je ne me cache derrière personne! », s’est-il exclamé. Maintenant, il attend juste que « ça passe ».

Nombreux sont ceux qui tiennent le même discours. Mais selon C. Aubry, la réaction des patrons est assez bonne. « Les intérêts sont communs », ajoute t’elle, « alors les patrons nous demandent ce qu’ils peuvent faire. » En théorie, les patrons qui emploient des sans-papiers sont passibles de sanctions. Mais la majorité d’entre eux a une marge de manœuvre plutôt réduite. Certains secteurs d’activités manquent cruellement de bras. « Mais il ne faut pas se leurrer, beaucoup laissent faire ces pratiques qu’ils utilisent contre leurs employés pour ne pas payer les heures supplémentaires par exemple », déclare C. Aubry. Et elle assure que la CGT attaquera tous les patrons qui licencieront aux prud’hommes et même en appel « si les moyens le permettent». Quant au patron de la chaine Chez Papa, il déclare aussi être pour la régularisation mais que si la grève continue, il n’aura « d’autre choix » que de les licencier. Trois le sont déjà. « On n’a rien à perdre maintenant », soupire Issa Sako, l’un des trois ex-employés. Sénégalais, il a débarqué à Paris voici huit ans. Et voici cinq ans qu’il travaille dans le restaurant du 10ème arrondissement. Le patron connaissait-il leur situation ? « Bien sûr que oui ! », nous répond-il. « Ils [les responsables] savaient qu’on était sans papiers ». L’une des preuves avancées: la mauvaise maîtrise de la langue. Certains ont du mal à comprendre le français et ont parfois même besoin de traduction.

Même son de cloche chez la CGT. « Faisons tomber les masques. Arrêtons l’hypocrisie ! », martèle R.Picaud. Le syndicat souhaite porter ces revendications aux ministères de l’Immigration et du Travail et non plus aux préfectures. C’est pourquoi un rassemblement est prévu ce mercredi devant le ministère du travail, à 15 heures.

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