Gaël Faye : « 20 ans après la génocide, c’est un miracle que le Rwanda se soit relevé »


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Comme beaucoup, le slameur franco-rwandais Gael Faye n’a pas oublié le génocide de 1994 qui a détruit la vie de nombre de ses compatriotes. Agé aujourd’hui de 31 ans, il n’avait que 11 ans lors de cette tragédie et était au Burundi où il est né et a grandi. Dans son dernier album Pili pili croissant au beurre, celui qui a été contraint à l’exil, raconte à travers des textes très poétiques le génocide pour qu’il ne se reproduit plus jamais et ne sombre dans l’oubli. A l’occasion des 20 ans du génocide rwandais, il revient pour Afrik.com sur cette page sombre de l’histoire de son pays qui a marqué à tout jamais sa vie. Rencontre.

Du haut de ses 1m95, Gaël Faye peu intimider à première abord. Mais le Franco-rwandais élancé au sourire facile, sait mettre à l’aise ses interlocuteurs qui le rencontrent pour la première fois. Derrière ses textes très durs sur les souffrances que le génocide a engendrées, il ne cache pas son malaise sur cette période sombre de l’histoire de son pays. D’un père Rwandais, et d’une mère Française, il est né au Burundi et y a grandit avant d’être contraint à l’exil en France lors du génocide. Une période qui a marqué Gaël Faye, et l’a poussé à exprimer tout cela à travers le slam, depuis 2004.

Afrik.com : Pourquoi est-ce aussi important pour vous de raconter le génocide dans vos chansons?

Gaël Faye :
Si j’en parle, c’est parce que c’est la chose la plus importante qui m’est arrivée dans ma vie d’être humain. N’importe qui, qui se penche pour lire un livre ou écouter un témoignage sur le génocide rwandais se rendra compte que c’est une histoire vertigineuse ! Le génocide a eu d’énormes conséquences dans la région, notamment en République démocratique du Congo, où la guerre a éclaté. Le génocide est très ancré dans ma famille aussi, qui a vécu le premier massacre des tutsi, et a été contrainte à l’exil. Etant enfant, on ne nous parlait jamais de ça. C’était presque tabou. Du coup, on avait l’impression d’être mis à l’écart. On se rend compte de toute la souffrance que la famille a portée. Quand on a une sensibilité artistique c’est difficile de passer à coté de l’art.

Afrik.com : Comment l’art peut-il permettre d’évoquer un sujet aussi difficile et douloureux que le Génocide?

Gaël Faye :
L’art permet de mettre des mots sur la souffrance que les gens n’arrivent pas à exprimer. Tout être humain ressent des choses. On a des douleurs, des bonheurs. Et l’artiste est là pour rendre compte de tout cela, de la forme la plus artistique possible, qui peut toucher.
C’est ce que j’essaie de faire avec la chanson. Il arrive parfois, qu’à la fin d’une commémoration, des personnes viennent me voir pour me dire « tu m’as fait pleurer. Tu dis exactement ce que j’ai ressenti, car moi, je ne sais pas le dire avec tes mots ».

Afrik.com : D’ailleurs, lors d’un concert à Kigali vous avez été interpellé par une jeune fille qui vous a reproché de toujours parler du génocide et non des jeunes qui s’amusent, vont en boîte de nuit… et n’ont pas connu ce drame. Elle semble vous avoir beaucoup marqué ?

Gaël Faye :
(Il rit avant de répondre). C’est vrai, cette jeune fille m’obsède toujours. Sa réflexion m’a beaucoup fait réfléchir. Elle m’a mise face à mes propres faiblesses. Je ne vois le Rwanda qu’à travers le prisme du génocide, car c’est ce qui ma le plus marqué. J’ai du mal à ne pas en parler. Or il n’y a pas que cela au Rwanda. Mais j’ai du mal à voir des lieux sans penser à ce qui s’est passé en 94. Et j’admets que ça finit par devenir un cliché. Dans le monde entier, dès lors qu’on dit qu’on est Rwandais, tout de suite on nous présente des condoléances. Ça finit à la longue par être pénible. Il faut que j’essaye de trouver un équilibre pour parler d’autre chose que du génocide. Pour cela, il faut que j’aille vivre au Rwanda d’aujourd’hui pour créer sur autre chose. Mais se mettre comme point d’opposition le génocide veut dire finalement qu’il est là initialement. Dans tous les cas, il sera toujours là, on n’y peut rien. Mon souhait est de voir le Rwanda sur un autre prisme que la souffrance, le génocide. Depuis, j’ai décidé de faire un documentaire. L’idée c’est de parler des jeunes Rwandais de 20 ans qui sont nés et qui ont grandi après le génocide. Or, nous sommes nés avant l’histoire du génocide. Nous avons vu les choses arriver. On connait l’avant et l’après. Raison pour laquelle, on est marqué à vie par ça. Ces jeunes de 20 ans, le sont mais ils n’ont pas les images du génocide qui leur reviennent. Elles sont toujours présentes.

Afrik.com : vous retournez au Rwanda tous les ans. Parfois même plusieurs fois dans l’année. Quel regard portez-vous sur l’évolution du pays aujourd’hui ?

Gaël Faye :
Vingt ans après le génocide, il n’y pas si longtemps que ça. Quand certains de nos proches vivent, les autres morts, la réconciliation se fait dans la douleur. Surtout quand certains qu’on côtoie ont massacré des membres de votre famille. On ne peut pas tout oublier du jour au lendemain et dire on est tous Rwandais, c’est sûr. Mais le Rwanda tel qu’il est aujourd’hui, c’est un miracle. Pas un groupe n’est mis de coté. Pas un groupe n’est massacré. Les gens vivent ensemble. Même si tout n’est pas réglé. Mais aujourd’hui, je le redis encore c’est un miracle la façon dont le pays a pu retomber sur ses pieds. Je pense que la communauté internationale a une très grosse culpabilité par rapport à 94. Elle critique le régime en place, alors qu’elle accueille des tyrans en grande pompe qui pillent leur pays. Il faut rappeler que quand le FPR est arrivé au pouvoir, il y avait 2 millions de Rwandais à l’extérieur du pays et un million de Rwandais morts et des milliers de blessés. Le pays était traumatisé. En 20 ans, les dirigeants ont réussi à stabiliser le pays. Si nous prenons les choses à l’échelle de la France, qu’est-ce que ça donnerait avec 60 millions d’habitants ? Cela veut dire qu’il y aurait eu 10 millions de morts, 20 millions de déplacés, et plus rien dans les caisses de l’Etat. Qu’est ce qu’un pays comme la France aurait fait ? Est-ce qu’en 20 ans, on pourrait attendre de lui 7% de croissance et une stabilité. Mais bien sûr que c’est un miracle. Mais c’est toujours pareil, quand l’Afrique fait des choses positives, on essaie de lui mettre des bâtons dans les roues. Je reconnais que le régime n’est pas parfait et c’est vraiment dommage. La Liberté d’expression et la liberté politique sont encore à améliorer. Mais je pense qu’il faut aussi évoquer les progrès qui été faits. Et le mieux est d’aller interroger les gens qui sont sur place pour voir réellement et concrètement ce qu’il en est, ne serait-ce que par honnêteté intellectuelle.

Afrik.com : Mais les plaies du génocide ne sont pas encore totalement pansées. Est-ce qu’on ne pourrait pas craindre une nouvelle explosion du pays ?

Gaël Faye :
Bien sûr que c’est fragile encore. On est en plus dans une région très instable, en République démocratique du Congo notamment, de même qu’au Burundi confronté à une guerre larvée. Il suffirait juste de gens mal intentionnés, politiciens, ou militaires pour remettre en avant la question ethnique et créer d’autres guerres, d’autres conflits. Sans compter que le Rwanda est surpeuplé. Le problème foncier est très important au Burundi et Rwanda. Les gens vivent majoritairement dans le secteur agricole. Les gens ont besoin de terre. Il y a une pression démographique énorme. Tout cela demande un effort perpétuel sur et demande qu’on prenne à bras le corps ces questions. Malgré le développement économique considérable, il y a des problèmes comme dans tous les pays du monde. Moi, je vais au Rwanda tous les ans depuis la fin du génocide, il y a de grandes évolutions, alors que le Burundi s’enfonce. Je ne vois aucun jeune de la diaspora qui part s’installer au Burundi, alors que le Rwanda c’est le contraire. Il y a plein de jeunes qui y vont. Il y a un vrai dynamisme et faut le saluer. Les gens ont confiance en l’avenir. C’est pas dans tous les pays ou les gens sont confiants en l’avenir.

Afrik.com : Vous n’aviez que 11 ans lorsque le génocide a éclaté. Comment avez-vous vécu ce drame lorsqu’il a éclaté ?

Gaël Faye :
Je n’ai jamais vécu au Rwanda. Je suis né au Burundi où j’ai grandi aux côté de mon père, qui gérait un parc naturel. Lui a toujours refusé de quitter le Burundi, même lorsque la guerre a éclaté en 1993 et lorsque le génocide a commencé, puisqu’il y a la même configuration ethnique. A ce moment-là, ma mère était réfugiée en France. Lorsqu’on a commencé à tuer les ressortissants français, mon père nous a rapatriés mon petit frère et moi en France. Dès que les expatriés ont commencé à être tué, tous les Blancs sont partis. D’ailleurs, je le dis dans un morceau de l’album. En Afrique, on tue un Blanc et ils se font tous rapatrier. Et je faisais partie de ceux qu’on a rapatriés parce qu’on me considérait comme Blanc et que j’avais un passeport français. Toutes les écoles belges et françaises ont été fermées. Pareil au Rwanda, on a tué dix Casques bleus et tous les Blancs sont partis. De même que l’ONU. Il y a un racisme cynique où on se dit que tant qu’on ne touche pas aux Blancs, les Africains peuvent s’entretuer. A l’école, on avait observé une minute de silence parce qu’on a tué des Blancs, or que la guerre se déroulait depuis plusieurs années au Burundi.

Afrik.com : Vous faîtes donc partie des exilés. Comment avez-vous vécu votre arrivée en France?

Gaël Faye :
Je l’ai très mal vécu. Surtout que j’étais un jeune adolescent, un âge où on est encore à la recherche de repères. C’est toujours difficile de trouver sa place quand on est arraché à un endroit. Au Burundi, j’avais tout, ma famille, mes voisins, mes amis. En arrivant en France, je devais tout recommencer. Je me soigne avec mes chansons certes, mais je ne serai pas honnête si je disais que je suis apaisé. Bien sûr, mon métissage est moins difficile à vivre qu’à une certaine époque. On regrette toute l’innocence de son enfance. Le racisme contre ceux considérés comme Blancs est moins difficile à vivre, car il est lié à la position sociale et économique et non la couleur de peau. En France, il est beaucoup plus violent et s’attaque à la dignité de la personne, car il est fondé sur un complexe de supériorité. D’autant que j’étudiais à Versailles. Je me souviens encore des réflexions de certains enfants : « vous savez lire en Afrique ? » « Vous avez des voitures ? » Lorsqu’il y a un primo arrivant, on le rabaisse. Et même les enfants issus de l’immigration s’y mettent. Mais aujourd’hui ça va. Je suis plus proche du Français moyen que du Burundais, dont l’espérance de vie est de 47 ans et qui n’a pas accès à l’eau ni l’électricité.

Afrik.com : Est ce que vous seriez prêt à vous installer un jour au Rwanda ou au Burundi qui est aussi votre pays ?

Gaël Faye :
Oui bien sûr, j’y pense constamment. D’autant que j’ai plein d’exemples de jeunes qui retournent vivre au Rwanda, monter leur projet. Il faut juste que je réfléchisse à ce que je pourrai faire et que j’ai un projet abouti, quelque chose qui a du sens. Le problème c’est que l’exilé ne retrouve jamais ce qu’il laisse derrière lui. J’aimerai bien trouver un endroit où je me sentirai chez moi. J’aime ma vie en France. Je fais le métier que j’aime. Mais Paris, ce n’est pas une ville où je me sens pleinement chez moi. Je suis encore à la recherche d’un endroit qui pourrait même se trouver en Jamaïque.

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