Françoise Foning : présidente du patronat féminin mondial


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Françoise Foning

Oscar 2004 du manager africain de l’année, la femme d’affaires camerounaise Françoise Foning deviendra en octobre prochain présidente de l’ong Femmes Chefs d’Entreprise Mondiales. Une première pour une entrepreneuse noire. Femme de poigne et chef de famille, la députée-maire de Douala est une self made woman boulimique de travail. Elle voit dans sa nomination un symbole et entend montrer le visage d’une Afrique dynamique et active. Interview.

Par Anna-Alix Koffi

Françoise Foning est une référence dans les milieux d’affaires panafricains. Partie de rien, cette ancienne employée dans le secteur touristique deviendra, en octobre prochain, la nouvelle présidente de l’Organisation non gouvernementale Femmes Chefs d’Entreprise Mondiales. En quarante ans, la femme d’affaires et politicienne camerounaise – elle est députée-maire de la ville de Douala– s’est forgée une solide réputation qu’elle dit devoir à Dieu et à elle-même. A présent, Françoise Foning entend faire partager son expérience et soutenir toutes les femmes.

Afrik : Comment devient-on Françoise Foning ?

Françoise Foning :
Je me suis fabriquée toute seule, je suis partie de rien. J’étais employée depuis douze ans dans le tourisme quand j’ai décidé d’ouvrir un restaurant, le « New style ». Je ne peux pas vous dire en quelle année de peur de vous dire des sottises (c’était en 1967, c’est maintenant le nom d’un quartier entier de Douala, Ndlr). J’ai ensuite eu une société de taxis, d’abord un, deux, pour finir à 150 véhicules. J’ai ouvert une société d’extraction de graviers : « Les graviers unis », pour ensuite créer une société d’import export alimentaire, la « Socamac ». J’ai une usine de meubles, « Anflo », qui a eu l’Etat comme client et qui exporte en Afrique et aux Etats-Unis. Je vous donne les principales étapes. J’ai racheté une clinique, « la polyclinique de la main noire ». Elle est actuellement en travaux, elle doit rouvrir bientôt avec de nouveaux partenaires. Je suis aussi propriétaire du « Collège de la Fraternité » à Douala. D’un enseignement général, nous passerons en septembre à un enseignement technique et informatique. Il sera plus facile pour nos étudiants de trouver du travail ensuite. J’ai monté plein d’affaires, fabrication de médicaments, BTP (bâtiments et travaux publiques, ndlr), construction de routes. Tout cela regroupé sous le groupe Foning, qui existe depuis 40 ans. »

Afrik : Et vous avez eu le temps de vivre ?

Françoise Foning :
(Rires) Je me suis toujours battue et j’ai quand même eu le temps d’avoir une descendance ! J’ai été mariée, je suis veuve à présent. Je suis mère de six enfants et neuf fois grand mère… Généralement, deux semaines après l’accouchement, j’étais déjà dans la rue ! J’ai toujours été très active, je ne me fixe pas de limite d’action.

Afrik : C’est donc cette boulimie d’activités qui vous a emmené à la politique ?

Françoise Foning :
Oui et non, mon énergie m’a aidée, mais je n’y suis pas allée de moi-même, ils sont venus me chercher. Ce devait être en 1960, j’étais dans un quartier populaire et une délégation est venue me voir : « Tu seras présidente de cellule », m’ont-ils dit. C’est ainsi que j’ai commencé à la base, gravi les échelons et me voici députée-maire de Douala 5 depuis 2002.

Afrik : Vous appartenez au Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), le parti du Président Paul Biya, dont vous êtes assez proche…

Françoise Foning :
Son Excellence Paul Biya œuvre beaucoup pour le soutien de la femme au Cameroun. Il sait récompenser les plus méritantes. Entre les jalousies et les haines que j’ai pu susciter, le Président et son épouse m’ont beaucoup aidée. Quand j’ai eu mon très grave accident de la route (en août 2003, ndlr), ils ont fait apprêter un avion privé pour me transporter à Paris. J’avais les jambes cassées, aujourd’hui je saute, je danse (rires). Je suis une véritable miraculée, le Seigneur a voulu que je m’en sorte et le couple présidentiel y a contribué. Quand on est née femme d’affaires comme moi, on tombe et on se relève.

Afrik : On peut, sans exagérer, vous qualifier d’exemple pour les femmes. Que faîtes-vous, à votre échelle, pour les femmes camerounaises, voire pour la femme africaine ?

Françoise Foning :
Comme je vous l’ai dit, le groupe Foning existe depuis 40 ans et cela fait 40 ans que je crois que la femme africaine peut faire beaucoup de choses dans le continent et dans le monde. Je suis présidente fondatrice du Réseau Africain pour le Soutien des Entreprises des Femmes (Rasef), où 57 pays sont représentés. Comme le nom l’indique, le réseau soutient les femmes dans leur création d’entreprise dans tous les domaines. Il existe, par exemple, un très grand nombre de femmes entrepreneuses au Cameroun dans tous les secteurs et à toutes les échelles. Nous devons les aider, celui qui connaît doit apporter son expérience aux autres. Je me bats pour leur montrer le chemin. Je pense que la femme est plus efficace que l’homme, elle est plus sensible et plus consciencieuse. Elle sait bien diriger son énergie. La femme n’a pas de deuxième bureau… Mais mon action ne se limite pas qu’aux femmes. Je suis aussi vice-présidente pour l’Afrique centrale de la table ronde des hommes d’affaires africains ; nous oeuvrons pour la prise en charge de tous ceux qui entreprennent, pour que les Africains travaillent ensemble, pour le développement dans les pays africains. Nous entendons être, sur le continent, un interlocuteur d’envergure pour une organisation comme le FMI (Fond Monétaire International, ndlr) par exemple.

Afrik : Votre succès ne semble pas s’essouffler, l’oscar du meilleur manager africain de l’année 2004 vient de vous être décerné et vous prenez en octobre la présidence des Femmes Chefs d’Entreprise Mondiales (FCEM). Pouvez vous encore être impressionnée ?

Françoise Foning :
En tout cas, j’ai été très honorée de recevoir cette distinction à Paris. Cet oscar, je le partage avec toutes les femmes qui entreprennent. Je veux qu’elles comprennent par là que tout est possible, qu’il ne faut pas avoir de complexes.

Afrik : Et la présidence de la FCEM ?

Françoise Foning :
J’en suis très heureuse. Je voudrais remercier les membres qui ont voté pour moi. Mon élection est un message. Les femmes chefs d’entreprise ont dépassé les questions de couleur et d’ethnie. C’est une révolution mondiale qui sert d’exemple. Elles ont pris le devant du G8 qui s’intéresse aujourd’hui à l’Afrique. C’est plus que jamais le moment de montrer au monde la grande étendue des possibilités du continent et de son peuple.

Afrik : Vous êtes autant admirée que décriée au Cameroun. Un de vos opposants vous a qualifiée d’« épouvantail du RPDC ». Quel serait votre message pour vos détracteurs?

Françoise Foning :
Je ne sais pas s’il existe femme aussi combative et combattue que moi au Cameroun. Je gène ceux qui ne prennent pas de risques. Mais les critiques paient. Je leur dirais que nous sommes obligés d’oublier les individualismes et de travailler ensemble pour le bien du pays et de l’Afrique. Je veux qu’ils regardent ce que j’ai fait et qu’ils fassent mieux que moi.

Afrik : Quelles sont vos perspectives ?

Françoise Foning :
Je veux véhiculer un message de paix pour le continent. L’Afrique a beaucoup à apporter pour le développement global du monde. Mais sans la paix, rien n’est possible. Avec le FCEM, je compte déposer très vite un plan d’actions au FMI, à l’Onu et à toutes les institutions susceptibles de nous venir en aide.

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