Fabrice Di Falco, le Farinelli créole


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L'affiche du spectacle religieux de Fabrice Di Falco

Fabrice Di Falco, 30 ans, est l’unique sopraniste de France, ils ne sont qu’une quinzaine à travers le monde. Premier prix du Conservatoire de Paris, qu’il a fait en 5 ans au lieu de 10, l’oiseau rare de l’opéra français estime que sa voix de castrat est un don divin. Raison pour laquelle il la met souvent au service de Dieu à travers des concerts religieux. Le jeune métisse italo-martiniquais nous fait découvrir ses univers et revient sur son atypique et fulgurant parcours.

Une voix de femme dans un corps d’homme. Fabrice Di Falco fait partie du cercle très restreint des sopranistes. Ils sont en effet seulement une quinzaine à travers le monde à posséder une voix de castrat, une faculté que l’on développait, jadis, en castrant les artistes pour qu’ils puissent interpréter des rôles de femme à l’opéra. Diamant brut, le jeune métisse italo-martiniquais a taillé sa voix au Conservatoire à Paris, dont il a décroché le premier prix en 1999. Arrivé novice de sa Martinique natale, il n’aura fallu que 5 ans, au lieu de 10, au jeune prodige créole pour atteindre les sommets de son art. Un art complet qu’il nous fait découvrir et partager. Tout comme il partage son amour du Christ à travers les concerts religieux qui correspondent à une toute autre facette de son étonnante personnalité artistique.

Afrik.com : Les sopranistes sont extrêmement rares dans le monde. Qu’est ce qui fait de vous quelqu’un de si rare ?

Fabrice Di Falco : Je suis un chanteur lyrique avec la voix d’un soprano masculin. En fait, j’ai la voix d’un castrat sans avoir subi d’opération. Il faut savoir qu’au 17ème siècle, les femmes étaient interdites aussi bien à l’église que dans les opéras. Ainsi, on castrait les jeunes garçons pour qu’ils puissent garder leur voix avant la mue et jouer les rôles de femme. Et j’ai naturellement ce timbre de voix là. Je suis le seul sopraniste en France, et nous devons être une quinzaine dans le monde. Il existe toutefois une voix similaire, mais moins aiguë, celle de contre-ténor. En fait, les sopranistes et les contre-ténors sont les versions homme des sopranos et des altos qui sont des voix de femme.

Afrik.com : Comment avez-vous découvert votre don ?

Fabrice Di Falco : Cette voix féminine fait partie de moi, ça fait partie d’un tout. J’ai toujours aimé le spectacle, la danse, notamment pendant les carnavals en Martinique. J’ai rencontré Barbara Hendrix venue faire un concert en 1992 sur l’île. C’est elle qui m’a dit que ma voix était rare. Qu’il y avait beaucoup de contre-ténors qui utilisaient la voix d’alto, mais très peu d’hommes qui utilisaient la voix de soprano. Elle m’a conseillé, si je voulais en faire mon métier, d’entrer au Conservatoire pour vraiment développer ce don. J’ai donc quitté la Martinique en 1994, après mon bac, pour suivre des cours au Conservatoire de Paris. J’ai fait de l’opéra, car c’était la seule discipline qui me permettait de faire du chant, du théâtre et de la danse. A l’époque, les comédies musicales étaient peu connues en France, contrairement aux Etats-Unis et aux Anglais. Quelques années plus tard, la comédie musicale est arrivée en France, mais moi j’étais déjà lancé dans une carrière lyrique.

Afrik.com : Vous ne connaissiez rien à l’opéra en entrant au Conservatoire. Quelle a été la première réaction des gens qui vous ont entendu lors de vos auditions ?

Fabrice Di Falco : C’était de la stupéfaction, car pour la première fois ils voyaient un Noir avec une voix de sopraniste. Pour un Blanc, c’est déjà rare, alors un Noir ! Et puis, je n’avais aucune culture classique. Mais j’avais une vraie volonté d’apprendre et je voulais qu’on me guide dans ce nouvel univers. Pour eux, c’était un challenge de me prendre au Conservatoire, car je ne connaissais rien à part le solfège que j’avais appris au lycée. Donc de 1994 à 1999, j’ai été complètement formé par mon professeur de chant Liliane Mazeron. Et en 1999, j’ai décroché le premier prix du Conservatoire.

Afrik.com : Le Conservatoire ne se fait-il pas normalement en 10 ans quand on commence depuis le début ?

Fabrice Di Falco : J’ai eu la chance de faire 5 ans, alors que normalement j’aurais dû en faire 10 car je commençais au tout début. Mais Liliane Mazeron a accepté de me donner des cours particuliers. J’avais une véritable boulimie de travail et au lieu d’avoir un cours de chant par semaine, j’en avais quatre. Liliane et moi sommes arrivés à devenir les meilleurs amis du monde. Elle est devenue un peu comme ma deuxième maman. Je pense que si je n’avais pas eu Liliane comme prof, je serais encore au Conservatoire. Par ailleurs, je remercie beaucoup les finances de mes parents, car les cours de chant coûtent excessivement chers.

Afrik.com : Vous ne travailliez pas votre voix à la Martinique ?

Fabrice Di Falco : Non, c’était complètement brut. Aux Antilles, je chantais de façon tout à fait naturelle. Je ne me posais même pas la question de la technique. J’ai enregistré mon premier disque sans technique vocale, de même que mon opéra créole (1994, le premier du genre à la Martinique). C’est en prenant des cours que je me suis rendu compte que chanter n’était pas facile. Le Conservatoire m’a appris à maîtriser ma voix. Elle a pris de la maturité, elle est désormais homogène dans les graves, les médiums et les aigus. J’ai également travaillé la respiration et scéniquement le Conservatoire m’a appris à incarner ma voix au niveau corporel.

Afrik.com : Vouliez-vous être chanteur d’opéra quand vous êtes entré au Conservatoire ?

Fabrice Di Falco : Je n’avais pas forcément prévu de faire carrière quand je suis entré au Conservatoire. Pour moi, la finalité était d’enseigner l’art vocal. Le fait d’avoir eu le premier prix du Conservatoire, d’avoir fait des études solfégiques, harmoniques, de théâtre, d’art lyrique et de chant me permet maintenant d’être professeur de chant. La rareté de la voix a fait que l’on m’a tout de suite demandé sur scène donc que je n’ai pas pu enseigner. Mais je compte créer ma propre école de chant en 2007.

Afrik.com : L’opéra, ce n’est pas que le chant. Q’avez-vous appris d’autre ?

Fabrice Di Falco : Avant Maria Callas, la grande Diva de l’opéra, on vous demandait seulement d’être chanteur. Mais elle a prouvé que l’on pouvait être une tragédienne, une dramatique et une grande actrice tout en étant chanteuse. Puis tout a basculé. Les années suivantes, les metteurs en scène ont demandé aux chanteurs d’être des acteurs. Quand vous chantez un air d’opéra, vous devez désormais jouer le rôle d’un personnage. La technique vocale ne suffit plus, il faut allier à la technique vocale, le jeu de scène et parfois la danse… Au lieu de parler de chanteur d’opéra, il conviendrait plutôt de parler de chanteur de comédie lyrique. Car c’est comme dans les comédies musicales, sauf qu’ils utilisent une voix de variété avec micro et nous une voix lyrique sans micro. Il est toutefois plus difficile d’être chanteur d’opéra que de variété, car si ce dernier se repose sur son micro, nous c’est tout le corps qui doit vibrer. Il faut faire entendre toute sa voix, dans les graves, les médiums et les aigus, dans une salle aussi grande que le Palais des Congrès (salle de spectacle parisienne).

Afrik.com : Evoluer dans le registre si particulier de sopraniste ne vous ferme-t-il pas la porte à de nombreux rôles ?

Fabrice Di Falco : Complètement. Si j’étais contre-ténor avec une voix d’alto féminin, j’aurais beaucoup plus de travail, car les castrats sopranos ont été remplacés par des femmes. Mais ma voix est un don de Dieu et je préfère rester dans ma spécificité vocale, une voix d’homme avec des aigus de femme, quitte à avoir moins de productions baroques.

Afrik.com : Si vous évoluez dans le même registre que les femmes pourquoi des metteurs en scène font-ils appel à vous plutôt qu’à une femme ?

Fabrice Di Falco : Il est très difficile, en France, de faire comprendre à un directeur de théâtre qu’on puisse donner sa chance à un sopraniste, au moins de reprendre la place qu’il lui avait été donnée aux 17 et 18ème siècles. C’est plus facile à l’étranger. Pourquoi moi et pas une femme ? Il a deux choses qui vont jouer : mes origines et ma voix. Il se trouve qu’en Allemagne, en Autriche ou en Hongrie, ils aiment bien l’exotisme et l’ambivalence. Avoir un Noir avec une voix de femme est très apprécié, alors qu’en France, pas trop.

Afrik.com : Au niveau des sensations, qu’est-ce qui vous fait le plus vibrer quand vous êtes sur scène ?

Fabrice Di Falco : Au-delà de toutes les qualités techniques et scéniques, je dirais que 80% de votre réussite, c’est le public. C’est le public qui fait l’artiste. Quand vous arrivez sur scène, le public vous donne quelque chose, il vous aide à vous transcender sur scène. C’est là toute la magie du spectacle. S’il n’y avait pas de public, cela deviendrait ennuyeux. Si, pendant 3 mois, vous jouez un rôle devant une salle vide, vous finirez par ne penser qu’à vos mouvements et à la technique. Finalement, vous aurez l’impression d’être un fonctionnaire. Le fait d’avoir, chaque soir, un public différent fait que vous êtes chaque soir différent. Vous sortez des rails pour véritablement incarner votre personnage. Et ça c’est le public qui vous le donne.

Afrik.com : Vous donnez, ce mardi, un concert à l’église Saint Séverin à Paris. Vous faites également du gospel ?

Fabrice Di Falco : En parallèle de ma carrière d’opéra, je suis catholique très pratiquant. Quand je suis arrivé en 1994 à Paris, la prière et Dieu sont devenus une partie intégrante de ma vie. C’est quand je suis allé à Turin (Italie) pour aller voir le Saint Suaire, que j’ai éprouvé une dévotion pour le Christ, pour sa pureté, sa générosité et son amour du partage. Certaines religions diront que c’est un prophète, d’autres le fils de Dieu. Pour moi, c’est simplement un homme qui a eu une mission sur terre. J’ai donc décidé de rendre hommage, mardi en pleine semaine sainte, au linceul de Turin avec le Stabat Mater de Vivaldi, qui retrace les périodes les plus difficiles de la vie de Jésus au moment de la crucifixion et de sa mort, ainsi qu’une œuvre de Pergolèse dédiée à la vierge Marie. Dans ma carrière, je fais toujours beaucoup de concerts religieux, car il est toujours important pour moi de prier avec mon public. Je ne suis plus le Fabrice Di Falco chanteur d’opéra mais le Fabrice Di Falco, chrétien pratiquant, qui par sa voix transmet un message religieux. Le public, aussi bien croyant qu’athée ou agnostique, vient écouter ce genre de musique et se laisse emporter dans mon univers et par la pureté de la musique religieuse.

Afrik.com : Ces deux facettes artistiques se côtoient-elles sereinement en vous ?

Fabrice Di Falco : Elles se côtoient très sereinement, car je suis très double. Il y a une partie en moi très show man – l’opéra – et une autre partie beaucoup plus introvertie, beaucoup plus pieuse, religieuse et pure. J’estime avoir une mission sur terre et cette possibilité d’être près de Dieu par mon chant m’intéresse beaucoup.

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