Etranges étrangers : dévisager l’autre


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Comment les voyageurs occidentaux ont-ils regardé, décrit, représenté, les peuples d’Afrique, d’Asie, d’Amérique ou d’Océanie? C’est l’histoire que raconte avec justesse D’un regard l’autre, la première grande exposition temporaire du Musée du Quai Branly à Paris

Notre histoire commune part de ce regard jeté sur autrui, dans son étrangeté, irréductible aux codes occidentaux : coiffures, costumes, armes, usages, tout diffère de l’univers mental des premiers voyageurs qui, d’Europe, prennent pied sur les continents dont jusque là ils ignoraient tout.

Il faudra faire aussi l’histoire inverse, celle du regard que les amérindiens ou les tahitiens jetèrent sur les nouveaux venus, qu’ils aient décidé de les accueillir à bras ouverts, comme ce fut souvent le cas, ou de repousser leur intrusion dans leur univers. Comment les perçurent-ils et comment les désignèrent-ils, ces blancs qui débarquaient de grands voiliers fatigués par des mois de navigation incertaine?

Une exploration des images européennes

Le but de la superbe exposition qui inaugure les espaces d’installations temporaires du nouveau Musée du Quai Branly est précisément de proposer un voyage « chez les sauvages », vus à travers les yeux de ceux qui pour la première fois souvent les découvrent et les observent.

« A l’intérieur de grands blocs chronologiques, indique Yves Le Fur, Commissaire de l’exposition, « des thématiques évoquent les différents contextes dans lesquels les objets exotiques, souvent de même nature, ont été pensés. Il ne s’agit pas de parler des différentes cultures en soi, mais de les voir au sein d’une succession de configurations culturelles occidentales ». En bref : quelle image les Européens avaient des autres civilisations, donc comment ils en comprenaient les productions culturelles, les rites, et même l’organisation sociale.

L’art et l’humanité

La qualité de l’exposition tient à la rareté et à l’intérêt des représentations qu’elle réunit : peintures, dessins, gravures, tapisseries, vitraux, sculptures, photographies… Et au centre de ce long cheminement qui voit se succéder quelques phases historiques bien identifiées, l’évidence apparaît : ce regard sur l’autre est un insondable abîme, au fond duquel les voyageurs se cherchent eux-mêmes.

A travers l’art, c’est l’homme que toujours, inlassablement, la représentation essaie de débusquer, de reconnaître, d’analyser. Cet homme, qui diffère tellement, et dans les yeux duquel passent pourtant les mêmes éclairs, les mêmes émotions, les mêmes expressions. Le dix-neuvième siècle est l’âge des photographies : les portraits y gagnent cette puissance propre des choses vues. Ils y gagnent surtout des prunelles ardentes.

Soudain, dans ce regard qui passe intact à travers l’objectif et qui vient frapper le spectateur d’aujourd’hui, quelle interrogation, quelle violence, quelle vérité!

La reconnaissance de l’art moderne

Et ce n’est qu’au vingtième siècle que survient la « reconnaissance », c’est à dire la force de soutenir la réciprocité des regards, et le respect véritable d’autrui, en particulier par la réévaluation de ses créations. Les peintres européens du vingtième siècle s’abreuvent avec reconnaissance à cette source vive d’inspiration que constitue l’art africain. Matisse, Picasso… Les exemples seraient nombreux!

On ne sort pas indemne de cette randonnée dans le temps, à mi-chemin entre les peuples réifiés par le regard occidental et leur vitalité initiale, transmise par les oeuvres réunies. Il est donc possible que, pendant des décennies, des siècles, des civilisations s’ignorent et ne se croisent pas. Il est possible encore qu’après s’être croisées, elles ne se comprennent pas. Comment faire pour que le dialogue se noue, laissant à chacun son univers, sans que cela signifie de part et d’autre un rejet de ce qui échappe? Il y faut des efforts de considération réciproque. Avant de le dévisager avec effronterie ou de manière cavalière, il faut tout simplement commencer par considérer autrui.

D’un regard l’autre, au Musée du Quai Branly, à Paris, jusqu’au 21 janvier.

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