Eddufao ou quand la prison s’évade


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L'équipe d'Eddufao

Ils sont surveillants de prison, médecin, aumônier, professeurs avec pour points communs l’univers carcéral dans lequel ils travaillent en France et un idéal de solidarité. Ensemble, ils ont créé Eddufao, une association qui œuvre pour le développement durable en Afrique. Une initiative citoyenne et une aventure humaine où le collectif s’érige non pas en donneur de leçon, mais humblement en militant d’une simple cause : l’autre.

L’autre visage de la prison a un nom : Eddufao. Entendez par là : « Echange développement durable Fleury-Mérogis Afrique de l’Ouest ». L’association, initiée à la base par des surveillants pénitentiaires, regroupe un pool pluridisciplinaire de compétences pour apporter sa pierre à l’édifice d’une solidarité universelle. Destination l’Afrique, et plus particulièrement Djélibani, un village à 60km de Bamako au Mali, pour la mise en œuvre d’actions concrètes et concertées de développement : « Les potagers de l’espoir » et « Les bidons de l’espoir », entre autres…

Fleury-Mérogis (France), plus grande maison d’arrêt d’Europe, n’est plus synonyme de crime, de violence et de répression. « Nous voulons donner cette nouvelle image de la prison. Nous voulons la sortir de son contexte. La prison est un regard de la société. L’idée est de dire que si nous sommes utiles à l’intérieur, pourquoi ne pas l’être aussi à l’extérieur », explique Fassely Diawara, l’un de surveillants à l’origine d’Eddufao. « L’idée est venue d’une amitié entre nous. Je suis Guinéen, j’ai vécu au Mali et je suis né au Sénégal. Chaque fois que je retournais au pays, je rapportais quelques stylos, des médicaments. Quand nous discutions en équipe de nuit, nous nous sommes dit pourquoi ne pas créer une association. Nous avons choisi pour nos actions un village qui m’avait été conseillé par ma famille à Bamako », poursuit le vice-président de l’association.

« Les potagers de l’espoir »

« Nous préférons parler d’action citoyenne que d’humanitaire. Car il s’agit bien là de développement durable et non d’assistanat, comme l’indique le nom Eddufao », précise Christian Le Borgne, le président de la structure. « Ils ont fait ça avec leur cœur. Il faut savoir que ce sont des gens (les surveillants de prison, ndlr) qui passent leurs journées dans un univers carcéral avec des personnes très dures. Malgré tout, ils ont réussi à garder toute une humanité qu’ils auraient pu perdre dans une prison. Je ne travaille par comme eux tous les jours à la maison d’arrêt, et quand je sors de là je suis démoralisé. Ils font déjà de l’humanitaire en ayant de l’humanité », commente le pasteur Shébuel Mowhou, aumônier de prison, qui explique ainsi pourquoi il a rejoint l’association. Tout comme, entre autres, des institutrices et un médecin de Fleury-Mérogis.

C’est Fassely, l’enfant du pays, qui s’est tout d’abord rendu seul à Djélibani, en février dernier, pour sonder le terrain. Il revient en octobre accompagné de deux autres collègues et d’un médecin du centre de détention français pour une immersion complète dans la vie du village. « Quand nous sommes arrivés, nous avons respecté toutes les hiérarchies et protocoles sociaux en allant d’abord voir les anciens. Nous avons parlé et surtout beaucoup écouté. Pour mieux comprendre leurs besoins », explique Christian Le Borgne.

En concertation avec les villageois, ils créent, en s’inspirant des potagers municipaux dans la ville de Fleury, « Les potagers de l’espoir ». L’idée est simple, il s’agit d’apporter des graines de maraîchage (courgette, carotte, aubergine) pour faire trois cultures par an, à la place de l’unique récolte annuelle avec les cultures de rente. Donc trois fois plus de rentrées d’argent. Le concept va même plus loin, car il ambitionne à terme de créer des circuits de distribution des fruits et légumes autour de coopératives.

« Les bidons de l’espoir

Autre programme : « Les bidons de l’espoir ». Il est relatif à l’un des quatre secteurs visés par Eddufao : la santé (les autres étant l’agriculture, l’éducation et la culture). Pioché dans un livre traitant de médecine de brousse, le principe est simple. Il consiste à souder deux bidons ensemble et d’y installer un système de filtration fait de pierre et de sable, pour purifier l’eau des puits afin d’éviter certaines maladie. « Nous avons pris contact avec les forgerons de Bamako et nous leur avons proposé de faire une association qui soit reconnue au Mali. Nous pourrons ainsi être partenaires pour construire ensemble ces unités », explique Christian, qui annonce que le premier filtre doit être installée en février prochain.

« Nous n’avons rien fait d’autre que d’être à leur écoute pour répondre à leurs besoins, qu’ils connaissent mieux que personne », précise Fassely. Rien d’étonnant d’apprendre qu’ils ont eu l’adhésion et la participation totale des gens du village. D’où une lourde responsabilité morale pour les personnes de l’association. « Nous comptons bien honorer la confiance qu’ils nous ont tous donnée. Il faut que nous soyons sérieux, que nous soyons courageux. Et, avec l’aide de Dieu nous y arriverons », ajoute le vice-président d’Eddufao.

Eviter l’exode rural

Au-delà de ces actions de développement durable, le but est de fixer la population dans les villages pour qu’elle ne vienne pas gonfler la population urbaine. « Ce qui accroît la paupérisation, qui engendre l’insécurité et ses corollaires. Et, plus largement, partir à l’aventure, le but étant d’aller vivre aux Etats-Unis ou en Europe. Pas toujours en situation régulière », explique Fassely.

Catalyseur de bonnes volontés, Eddufao impulse une dynamique économico-sociale aux retombées multiples. Mais l’association a surtout fait naître une amitié transcontinentale et montre toute la vitalité de la société civile ici et ailleurs. Une action citoyenne parmi d’autres qui peut faire naître des vocations. Car chacun peut contribuer concrètement à son niveau au mieux être du continent. Comme le dit le proverbe « Ce sont les grains de riz qui remplissent le sac ». A méditer.

 Joindre Eddufao ou au 0(0 33) 6 64 81 73 38

 Vous pouvez également écouter toute une émission consacrée à Eduffao sur RFI dans la nouvelle émission d’Amobé Mévégué, Alternatives Sud, ce mercredi à 16h10 en temps universel (TU, 17h10 heure de Paris) et samedi 22h40 TU (23h, heure de Paris

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