Douala : quand « Petit Paris » devient « Grand n’importe quoi »


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A quoi pourrait-on comparer la métropole camerounaise ? A une vieille gloire qui n’en finit plus de déprimer.

C’est que l’on tend aujourd’hui à en faire une ville sans loisirs. Ici, c’est carrément les grandes réalisations en grognant. On a le développement acariâtre. Les communistes eux-mêmes, dans l’ex Union soviétique ou en Chine, n’ont pas mis autant de rigueur et d’énervement à se construire.

Prostituées bas de gamme, bières à haute teneur d’alcool, explosion de décibels: bienvenue dans le « temple du savoir » de Douala

La faute n’en incombe pas uniquement ni surtout à la présence de lieux de distraction dans le voisinage de l’université. Si l’Etat-RDPC veut vraiment créer une sorte de prohibition, qu’a-t-il donc à retirer de la main gauche ce qu’il donne de la main droite ?

Alors que d’une part des arrêtés préfectoraux sévissent dans l’environnement des universités, des négociations sont menées d’autre part par le gouvernement à seule fin d’éviter toute hausse des prix de la bière (pour le coup reconnu comment aliment de grande consommation).

Ne suffit-il pas pour diminuer la consommation étudiante d’alcools d’encourager les hausses de prix, voire de leur surajouter des taxes particulières ? Sous d’autres cieux, de telles mesures ont eu des effets mécaniques sur la consommation de cigarettes. Mais au « Cameroun des grandes réalisations », l’on est dans une étonnante schizophrénie, une particulière casuistique où le mal est mal quand on le décrète et bien quand on le négocie. Qu’elle se pare des vertus de l’éthique ou de l’efficacité académique, la preuve reste à faire que l’on ne peut pas élever des murs en riant. Témoin, les hauts lieux de compétitivité académique cités ci-après.

A Québec, à l’Université Laval, où de me soûler à l’occasion ne m’a jamais empêché d’étudier quand nécessaire, il y a le Pub, réputé pour ses « 5 à 7 » (moments de socialisation entre 17 et 19heures), où étudiants et enseignants, sportifs du Rouge et Or et supporters inconditionnels, se retrouvent pour des ailes de poulet et des « pichets » de bière blonde ou brune. Il y a aussi Le Grand Salon où, le jeudi (jour de paie), l’on a régulièrement « deux Molson ex pour le prix d’une » (enivrement à volonté). Ces bars dansants ferment aux mêmes heures que les bars de la Grande Allée ou du Vieux Québec.

A Massachussetts aussi, nous dit-on, les nightlifeurs ont au sein même du campus de Harvard toute une industrie de la distraction dont la gestion est confiée aux étudiants eux-mêmes. C’est vrai, les bars ici ferment peu avant minuit du fait de certaines lois puritaines dont l’observation peut s’observer au-delà du campus. Au reste, la trépidation des noctambules est amplifiée par la présence alentour de nombreuses discothèques.

Il ne s’agit pas d’imiter, mais simplement d’établir, fût-ce en faisant abstraction de ces exemples, que un, la joie ne nuit pas à l’édification, et deux, être sérieux, ça n’est pas toujours serrer les mâchoires. Quand en effet on cultive des hypocrisies dans les universités, on récoltera le double langage dans les administrations.

La question qui personnellement me taraude le système chaque fois que, toutes caméras dehors, des bars sont fermés parce qu’ils exerçaient dans l’illégalité, c’est celle de savoir si l’administration s’est regardée dans le miroir et s’est expliquée à elle-même la tolérance qui avait présidé à l’ouverture de ces bars. Ceux-ci exercent peut-être dans l’illégalité mais alors jamais dans la clandestinité. Entendu qu’ils ont pignon sur les rues les plus voyantes et ont souvent des enseignes notoirement connues (Facebook, le Club UV, etc.)

Dans un tout autre ordre d’idées, le même raisonnement sera mis à l’œuvre quand dans une entreprise publique l’on met à jour un réseau de faux diplômés exerçant professionnellement depuis des années, et ayant reçu des lettres de félicitations, des promotions et des formations diplômantes en interne. On l’a vu à la CNPS (Caisse Nationale de Prévoyance Sociale). L’on se dit : soit les diplômes dans l’environnement camerounais ne valent rien du tout et sont insusceptibles de servir d’étalon des compétences (ce qui serait au minimum dramatique), soit les administrations en cause devraient procéder à ces « nettoyages » en silence en en humilité. Car les faux diplômés, pas moins que les administrations qui les ont employés, sont tous passibles du plus grand mépris ou de l’indifférence publique.

L’on créé en permanence des boucs émissaires…

Depuis le 12 juin 2012, les « afro-sapiens » d’Etoudi ont décrété l’exhibition de leurs muscles à Douala, comme si la capitale économique abritait le siège social de Boko Haram Cameroun. C’est officiellement pour veiller à l’application des mesures prises par Bernard Okalia Bilai, préfet du Wouri, que l’armée a débarqué. Pour prévenir donc. Ou anticiper sur des manifestations de mototaximen. Certes ces personnels antiémeutes et leurs équipements d’acquisition récente tout droit venus de Yaoundé avaient besoin d’exercice… Soit dit en murmurant, la capitale concentre l’essentiel du matériel de répression camerounais, et les antiémeutes y ont fait défaut lors d’un drame récent au Marché de Mokolo, qui a vu la mort de plusieurs vendeurs à la sauvette.

Certes ceci. Il n’en est pas moins cela que si l’on considère à la fois le climat politique particulièrement tendu et l’omniprésence discrète des forces de l’ordre à Yaoundé, l’on ne peut que conclure à la polysémie ou, plus directement, à la forte charge politique de la présence policière à Douala.

La décision de limiter la circulation des motos aurait en réalité été prise pour légitimer a priori l’envoi prévu des gros bras de l’Etat-RDPC. Cette présence dissuasive viserait à décourager toute initiative subversive résultée de la propagande de Marafa Hamidou Yaya, ancien cadre du RDPC reconverti en une espèce de nouveau leader moral du SDF (premier parti d’opposition). Les mototoximen, nos bien-aimés et indispensables « ben-skinneurs », ne seraient que des victimes collatérales d’une guerre qui les dépasse. Autrement, l’on n’aurait pas attendu le 24 février pour pondre un arrêté en gestation depuis les émeutes de Deido, survenues elles la première semaine de l’année courante.

A moins que les policiers postés partout dans le « périmètre urbain » de Bonanjo n’aient vocation à camper là indéfiniment, leur présence n’est que strictement liée à l’actualité de Yaoundé. Les « efforts de rattrapage » de la Communauté Urbaine de Douala en matière d’infrastructures ne laissent aucune place à des pistes motocyclables dans les quartiers administratifs, c’est donc qu’à moyen terme la question des motos à Bonanjo reste ouverte, savamment irrésolue.

Pour se réaliser grandement, la Communauté Urbaine de Douala inaugure un nouvel art de vivre tristement

Dans les différents rapports visant à dégager une stratégie pour le développement de Douala, l’industrie du plaisir (loisir, pour parler plus net) est cruellement absente. Ils sont pourtant conçus par des experts internationaux, sur la base du PDUE (Projet de Développement des secteurs Urbain et de l’approvisionnement en Eau.), du PDU (Plan de Déplacement Urbain) et d’autres expertises obtenues suite à des appels d’offres internationaux. Leur en aurait-on voulu de copier-coller servilement ce qui se passe dans les métropoles européennes ?

Le fait est que l’on est en face d’un déficit de vision. La vision pauvre qui prévaut résulte de l’absence d’un vrai rêve pour notre pays. Et de cette pauvreté idéale découle mille et une approximations où l’on ne sait pas si « les grandes réalisations » sont un projet de société, un programme politique, une articulation concrète et argumentée du DSCE (qui doit nous mener vers 2035 dans un horizon que l’on ne touchera jamais parce qu’il s’agit d’un horizon, intangible par définition), ou bien comme on l’avait naïvement interprété un slogan de campagne.

Douala ressemble à une belle fille, délicatement manucurée, finement parfumée, vêtue avec goût, chaussée avec distinction, coiffée à la perfection, mais dont la chambre serait un bordel et le dessous de lit une vraie décharge. On pourrait la comparer à une prostituée qui reste belle tant qu’elle n’a pas bravé l’épreuve de la lumière. Si Douala était une fleur, elle serait une belle de nuit, qui s’épanouit à la tombée du soir. On pourrait la comparer à une femme polytraumatisée par un cancer brutalement soigné, et qui parviendrait à donner l’illusion de la beauté en s’attifant d’une chevelure postiche, de soutiens-gorge rembourrés et d’un fond de teint généreusement étalé par strates poudreuses successives.

On pourrait la comparer à un décor imparfait d’un nouveau film de Jean-Pierre Bekolo qui la raconterait elle-même, un décor étalant d’est en ouest un modèle de désordre esthétique et de paysages urbains disparates, qu’aurait cousus un docteur Frankenstein de l’urbanisme à coups de lacis labyrinthiques, d’artères criblées de nids-de-poule. A Bonapriso, ancienne gloire de cette ville que l’on appelait naguère “Petit paris”, les villas les plus superbes côtoient les cloaques les plus affreux et les égouts les plus insalubres, pour la propreté desquels Hysacam semble n’avoir jamais été payée. Douala, ville sans cinéma, sans théâtre, sans opéra, ville sans gratte-ciels, ville qui pour se donner un genre donne à voir pour seuls spectacles la misère et l’improvisation.

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