Djibouti : la stabilité confisquée


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Ismaïl Omar Guelleh, Président de Djibouti
Ismaïl Omar Guelleh, Président de Djibouti

Sous les dehors d’une réforme technique, c’est un véritable coup de force politique qui se joue à Djibouti. En supprimant la limite d’âge de 75 ans pour être candidat à la présidence, le régime d’Ismaïl Omar Guelleh, au pouvoir depuis 1999, ouvre la voie à un sixième mandat pour un chef d’État de 77 ans. Derrière le discours officiel de « modernisation des institutions » et de « continuité nécessaire », se dessine une réalité bien plus sombre : la confiscation du pouvoir par un homme qui se refuse à imaginer Djibouti sans lui.

Cette réforme constitutionnelle, votée à l’unanimité par une Assemblée nationale entièrement acquise au président, n’a rien d’un processus démocratique. Elle ne répond ni à une demande populaire, ni à une urgence institutionnelle. Elle traduit simplement la peur du vide, ou plutôt la peur du changement, d’un régime obsédé par la stabilité, mais incapable de concevoir celle-ci autrement que sous le contrôle d’un seul homme.

Depuis plus de vingt-cinq ans, Ismaïl Omar Guelleh a patiemment construit un système où le pouvoir législatif, judiciaire et médiatique gravite autour de la Présidence. La réforme du 26 octobre 2025 parachève ce verrouillage : en supprimant la limite d’âge, le président neutralise le seul obstacle qui restait à sa longévité politique. Et, comble du cynisme, il présente cette dérive autoritaire comme une « mesure de sécurité nationale » face à l’instabilité régionale.

Braquage institutionnel ?

Certes, la Corne de l’Afrique traverse des tempêtes : guerre civile en Éthiopie, fragilité somalienne, tension au Yémen. Mais faut-il pour autant confondre stabilité et immobilisme ? Guelleh n’est pas le rempart de Djibouti ; il en est devenu la prison. Car la stabilité qu’il prône repose sur la peur, la censure et la cooptation, non sur la légitimité populaire.

La société civile djiboutienne, étouffée mais lucide, ne s’y trompe pas. L’ancien conseiller présidentiel Alexis Mohamed a eu le courage de dénoncer un « putsch législatif » et un « braquage institutionnel ». Il pointe à juste titre l’illégitimité d’un Parlement où l’opposition réelle n’a pas voix au chapitre, et appelle à un référendum afin que le peuple puisse enfin se prononcer. Mais même cette perspective semble illusoire tant les conditions de liberté d’expression sont restreintes et les scrutins verrouillés.

Un silence international coupable

Plus révoltant encore que la manœuvre du pouvoir djiboutien, c’est le silence assourdissant de ses partenaires. Djibouti, petit territoire coincé entre mer Rouge et golfe d’Aden, abrite les bases militaires des États-Unis, de la France et de la Chine, un cas unique au monde. Cette position géostratégique exceptionnelle, à la croisée des routes maritimes et des rivalités globales, lui confère un statut d’allié indispensable. Et c’est précisément ce statut qui protège Guelleh de toute critique.

Washington, Paris et Pékin rivalisent d’hypocrisie lorsqu’il s’agit du régime djiboutien. Les premiers invoquent la lutte contre le terrorisme et la sécurité maritime ; les seconds la « coopération historique » ; les troisièmes, la « stabilité nécessaire au développement ». Trois langages diplomatiques pour dire la même chose : tant que Djibouti reste un port sûr pour leurs intérêts, peu importe qu’il devienne une forteresse politique.

Djibouti, un « partenaire fiable » ?

Ce pacte tacite entre le pouvoir et ses alliés est une trahison morale. Les grandes puissances, si promptes à donner des leçons de démocratie ailleurs, ferment ici les yeux sur un verrouillage institutionnel flagrant. Leur realpolitik a un coût : elle légitime la dérive autoritaire d’un régime vieillissant et prive le peuple djiboutien d’une alternative pacifique.

La France, ancienne puissance tutélaire, porte une responsabilité particulière. Elle continue de présenter Djibouti comme un « partenaire fiable », sans jamais remettre en cause les dérives d’un pouvoir qui muselle les opposants et contrôle la presse. Les États-Unis, eux, ont fait de la base de Camp Lemonnier un pivot de leur stratégie antiterroriste dans la région ; ils ne risqueront pas ce partenariat pour quelques principes démocratiques. Quant à la Chine, elle se satisfait d’un régime qui garantit l’accès à son port et la protection de ses investissements.

L’illusion de la stabilité

Cette complaisance internationale n’est pas seulement immorale : elle est dangereuse. Car la stabilité imposée par la force finit toujours par se fissurer. L’histoire récente de l’Afrique en témoigne : les régimes qui refusent l’alternance finissent par être emportés par la colère populaire. Guelleh croit tenir son pays d’une main ferme, mais c’est une illusion. Le ressentiment, l’exil des jeunes, la désillusion démocratique minent peu à peu les fondations du régime.

La stabilité véritable ne se décrète pas ; elle se construit par la confiance, la justice et le respect de la volonté populaire. En choisissant de prolonger son règne par des artifices constitutionnels, le Président Guelleh prend le risque de transformer Djibouti en une bombe politique à retardement.

Djibouti mérite mieux

Djibouti n’est pas condamné à ce destin de République figée. Ce pays, qui fut jadis un modèle de coexistence et de pragmatisme, a les ressources humaines et intellectuelles pour se réinventer. Encore faut-il que ses dirigeants aient le courage de transmettre le flambeau, et que ses partenaires cessent de confondre stabilité avec servitude.

En maintenant au pouvoir un Président à bout de souffle, la communauté internationale trahit ses propres valeurs. En fermant les yeux sur la dérive autoritaire de Guelleh, elle contribue à l’étouffement d’une nation qui mérite, elle aussi, le droit de rêver au changement.

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Très attaché à l’Afrique Centrale que je suis avec une grande attention. L’Afrique Australe ne me laisse pas indifférent et j’y fais d’ailleurs quelques incursions
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