Crise en Côte d’Ivoire : les étrangers en danger ?


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Qu’en sera-t-il des étrangers vivants en Côte d’Ivoire alors que ce pays semble glisser dangereusement vers le gouffre identitaire ? Terre d’accueil de nombreux ressortissants d’Afrique de l’Ouest, la crainte de voir resurgir la chasse à l’étranger en Côte d’Ivoire taraude la société civile burkinabè. Elle tire la sonnette d’alarme alors que les conséquences judiciaires des exactions commises en 1999 et 2000 sont toujours pendantes.

De notre correspondant

Président de l’association « le Tocsin », qui œuvre surtout pour la défense des droits des migrants, l’universitaire burkinabè Albert Ouédraogo, est connu de la scène locale pour ses positions tranchées sur la crise ivoirienne dont il situe l’origine dans la question identitaire qui a mis en lambeaux le tissu social de ce pays. Cette même référence identitaire, fait observer le professeur de lettres, alimente la haine de l’étranger, particulièrement des populations étrangères d’Afrique de l’Ouest installées en Côte d’Ivoire. Et alors que la Côte d’Ivoire chemine de nouveau vers des lendemains incertains, le Pr Albert Ouédraogo, par ailleurs président du conseil d’administration du Réseau Ouest Africain pour l’Édification de la Paix (WANEP), s’inquiète pour les millions d’étrangers qui y vivent et sonne le tocsin. Pour lui, avant de songer à toute réparation judiciaire des préjudices subis par les étrangers en 2000, il faut dans l’immédiat conjurer le danger qui se profile à l’horizon, par une plus grande volonté de dialogue des deux présidents actuels de l’unique Côte d’ivoire, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, qu’il n’est pas question de laisser aller à la boucherie.

Afrik.com : Depuis la proclamation houleuse des résultats de la présidentielle, la Côte d’Ivoire semble avoir renoué avec ses vieux démons. Craignez-vous pour les étrangers vivants dans ce pays ?

Albert Ouédraogo :
Objectivement, on a des raisons d’avoir toutes les craintes. Tout peut arriver. La crise ivoirienne est tellement profonde qu’une simple élection fût elle présidentielle ne suffit pas à la résoudre. La crise ivoirienne est un problème identitaire. Je l’ai toujours dit. Et malheureusement ce scrutin a consacré le retour du monstre identitaire. Au Tocsin, nous sommes assez inquiets. Quand des éléphants se battent c’est l’herbe qui souffre. Les populations émigrées en côte d’Ivoire constituent des populations fragiles. Elles se retrouvent dans toutes les zones. Quand la paix est menacée, c’est toujours l’étranger qui est le bouc-émissaire. Les signes du chaos sont déjà perceptibles. On dénombre déjà une vingtaine de tués par balles. C’est grave.

Avez-vous connaissances des mesures prises par les autorités burkinabè afin de protéger leurs citoyens en côte d’Ivoire ? Le Burkina s’est-il préparé au scénario du pire qui serait par exemple le retour massif et forcé de ses ressortissants?

Albert Ouédraogo :
Je n’ai pas vent pour l’instant des précautions que les autorités burkinabè sont en droit de prendre en la matière. Gouverner c’est prévoir. Beaucoup de chancelleries ont déjà commencé à alerter leurs ressortissants soit de quitter la Côte d’Ivoire soit d’éviter de s’y rendre. Je n’ai pas encore entendu ce type de discours de la part de nos autorités. Ce n’est pas normal. En le faisant, je ne pense pas que c’est de jeter de l’huile sur le feu. Appeler nos compatriotes à la prudence et à la retenue ne serait pas de trop. Dans une situation aussi trouble tout est possible. Il ne faut pas prêtre le flanc ni à gauche ni à droite. Nos autorités sont capables et sont même en devoir d’appeler nos compatriotes à la retenue afin de nous éviter le scénario que nous avons connu en 2002.

Afrik.com : Blaise Compaoré est resté peu prolixe sur la situation en Côte d’Ivoire. Quel commentaire faites-vous sur son attitude ?

Albert Ouédraogo :
Le Président Blaise Compaoré a toujours été une personnalité prudente dans ses déclarations publiques. Être responsable de nos jours, c’est éviter des déclarations à l’emporte pièce. En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, il s’agit d’amener tous les protagonistes à faire baisser le mercure. La posture de Blaise Compaoré est très responsable. Il ne faut pas que la Côte d’Ivoire s’embrase du fait du facilitateur. Ce serait le monde en l’envers. Blaise Compaoré ne s’est pas autoproclamé facilitateur en Côte d’Ivoire. Cela a été une démarche du Président Laurent Gbagbo. Aujourd’hui, l’Union Africaine a jugé utile de faire intervenir Thabo Mbeki pour une mission. Il est de bon ton que le Président Compaoré reste à l’écoute de ses pairs et analyse avec eux quelle est la posture la plus appropriée à adopter face à cette situation. C’est pourquoi il est plus que souhaitable que le Burkina s’implique dans la recherche de la solution.

Afrik.com : Que sont devenus les milliers de Burkinabè rapatriés de Côte d’ivoire en 2000 ?

Albert Ouédraogo :
La question des rapatriés est un véritable contentieux ! On a l’impression qu’ils sont passés par pertes et profits sur l’autel des accords passés par nos deux Chefs d’Etat qui ont voulu préserver l’essentiel. Mais nous estimons que cette question doit être résolue. Mais ne confondons pas vitesse et participation. Chaque chose en son temps. Beaucoup de nos compatriotes renvoyés de Côte d’Ivoire sont aujourd’hui morts, beaucoup d’autres sont toujours traumatisés et continuent de souffrir dans des situations terribles. Mais toutes ces solutions ne pourront être trouvées tant que la Côte d’Ivoire sera toujours en guerre. La justice est un luxe en temps de guerre. Attendons que la paix et la stabilité reviennent pour faire prévaloir les droits, en temps de guerre toutes ces valeurs sont foulées aux pieds. Et la Côte d’Ivoire n’est pas encore sortie de l’œil du cyclone malheureusement.

Afrik.com : Alors, devons-nous attendre dans les années à venir, si paix il y a, que le Tocsin se constitue partie civile dans des procès pour demander réparation à des Burkinabè lésés en côte d’Ivoire ?

Albert Ouédraogo :
C’est l’un des sens de notre combat. Notre principe est que chaque fois qu’il y a impunité, il y a récidive. L’histoire doit toujours retenir les faits glorieux et les faits monstrueux. Il faut réparer les faits monstrueux pour empêcher qu’on ne les banalise et à la fin qu’on ne les répète. De ce point de vue, le Tocsin s’inscrit contre toute impunité, contre toute amnistie de marchandage. Le Tocsin n’est pas pour la vengeance, mais pour la justice afin que demain on puisse construire un espace intégré en Afrique de l’Ouest où un étranger n’est plus chassé comme un vulgaire animal, sans honneur, sans respect, sans droit. Nous sommes pour une intégration en Afrique de l’Ouest afin qu’à terme on puisse abolir toutes les citoyennetés nationales, qui sont mortifères, pour des citoyennetés ouest-africaines qui doivent permettre de gagner la bataille du développement. La seule qui vaille la peine d’être menée.

Afrik.com : La Côte d’Ivoire est aujourd’hui divisée entre deux présidents. Comment faire pour la tirer de cette impasse ?

Albert Ouédraogo :
Bien malin qui pourra le dire. Le président Gbagbo ne s’est jamais préparé à quitter le pouvoir. Cette attitude est bien symptomatique des chefs d’États africains. Ils se préparent à venir au pouvoir mais ils ne le font pas pour le quitter. Cela est une immaturité politique. En démocratie, le changement est la règle sinon on serait dans une monarchie. Dans le cas actuel de la Côte d’Ivoire, il ne fait pas bon être à la place du président Gbagbo. Un chef d’Etat n’est pas comme un chef de village qui peut s’enfermer dans son petit espace et ignorer le reste du monde. Un président qui n’a pas de connexion avec le monde n’est d’aucune utilité pour son pays. Ce n’est pas en se repliant sur soi qu’on résout la question ivoirienne. La solution se trouve plutôt dans l’ouverture et non pas dans l’enfermement. La seule issue possible est de rentrer en dialogue avec Alassane Ouattara afin de sauver la Côte d’Ivoire. Gbagbo se trouve aujourd’hui dans une posture intenable qui ne peut déboucher que sur une violence généralisée. Et cela n’est bon pour personne.

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