Crise de l’emploi : l’Afrique doit miser sur « le travail décent productif »


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L’Organisation internationale du travail (OIT) consacre pour la première fois un sommet sur la crise de l’emploi. Il s’est ouvert ce lundi, à Genève, dans le cadre de la 98e Conférence internationale du travail. Les solutions envisagées par les experts de l’Organisation internationale du travail pour permettre aux pays africains de faire face à cette crise de l’emploi pourraient profondément modifier leur structure économique. Ils sont invités à promouvoir le travail décent en s’appuyant sur la diversification de leurs économies.

De Genève

Les conséquences de la crise financière sur le marché du travail obligeront les pays africains à repenser leur stratégie économique pour préserver des travailleurs déjà précarisés, selon les experts du Bureau international du travail (BIT). Ils préconisent plus de protection sociale, une politique de diversification économique accrue et la coopération pour garantir, dans l’avenir, une reprise du marché de l’emploi. Un marché sinistré par les effets de la crise financière.

La crise remet au goût du jour la protection sociale

« La crise est globale, il faut y répondre de façon coordonnée en mettant au centre de toute politique l’emploi et la protection sociale », explique Raymond Torres, le directeur de l’Institut international des études sociales de l’Organisation internationale du Travail (OIT). Une question sur laquelle l’OIT mène une politique très active depuis plusieurs années. « Une des leçons de la crise, c’est que la protection sociale n’est pas l’ennemie du développement.» Pour ce qui est de l’aide aux aux personnes sans-emploi, l’expérience indienne pourrait profiter aux pays africains dans lesquels plus de 70% de la population vit de l’agriculture. Les autorités indiennes ont mis en place des programmes d’emploi rural, « peu chers et très efficaces», qui permettent aux personnes sans-emploi de retrouver une activité pour une période de 100 jours. La priorité est donnée aux chefs de familles et aux femmes. « La rémunération est suffisante pour vivre, mais elle n’est pas trop élevée afin d’éviter que les personnes qui ont un emploi ailleurs puissent être attirées par ce nouveau travail ».

Troisième approche pour juguler la crise de l’emploi : prendre en compte, « plus que par le passé », la dimension du développement. « Il y a une vulnérabilité des pays qui vient du fait qu’on leur a souvent suggéré l’approche d’une libéralisation qui résoudrait tout », poursuit Raymond Torres. Conséquence : « une spécialisation à outrance ». La crise est l’occasion pour les pays africains de développer les autres pans de leur économie. Le Sénégal est devenu ainsi importateur net de riz, alors qu’il y a quelques années, sa production agricole était assez diversifiée pour lui permettre de couvrir la consommation locale de riz. De même, les pays en développement doivent « réallouer leurs ressources en se fixant d’autres priorités : l’emploi, le travail décent et la protection sociale ». Les réserves accumulées grâce aux revenus pétroliers par l’Angola ou l’Algérie peuvent être aujourd’hui investies dans le marché du travail. Pour ceux qui ne disposent pas de ce levier, l’aide internationale s’avère vitale. Il faut non seulement la maintenir, mais aussi la renforcer. « La Banque mondiale a créé un fonds pour réduire la vulnérabilité des pays en développement. Le Fonds monétaire international a également annoncé qu’il n’imposerait plus des conditionnalités à des pays qui ne sont pas à l’origine de la crise. » Les pays africains en sont surtout les victimes.

« Sortir du mirage de l’exportation »

Par ailleurs, Raymond Torres invite les pays africains à « éviter les approches individualistes, donc contre-productives », comme le protectionnisme économique ou social. « Une détérioration généralisée des conditions de travail pour gagner en compétitivité » serait un mauvais calcul. « La réduction des salaires va entraîner celle de la demande globale et aggraver la crise qui est, elle aussi, globale ».

Enfin, dernière option pour juguler cette crise de l’emploi : repenser les stratégies économiques. « On doit sortir de la crise avec une économie différente de celle d’avant. Cela est évident pour les marchés financiers qui doivent désormais travailler pour l’économie réelle, et non pas spéculer. En matière d’environnement aussi, nous disposons d’une quinzaine d’années pour modifier nos modes de production et de consommation afin de freiner le changement climatique ». Cela pourrait être une opportunité économique pour les pays en développement s’ils investissent dans les énergies renouvelables. Dans ces pays, il s’agit aussi de mettre fin aux inégalités sociales. « Avant la crise, la croissance était assez robuste en Afrique, mais elle a souvent bénéficié aux plus riches. Rééquilibrer la croissance au niveau interne peut aider à sortir de la crise. Cela signifie que les partenaires sociaux pourront négocier des conditions de travail et de salaires qui s’améliorent en même temps que la productivité. Les économies africaines doivent, pour espérer résister à la crise, « se diversifier, sortir du mirage de l’exportation ». « Le commerce international est important, insiste Raymond Torres, mais le développement des capacités internes d’un pays l’est tout autant ». En somme, sur le continent africain, cet ensemble de mesures supposent que « les maigres ressources disponibles soient consacrées à l’emploi et à la protection sociale » et « à des projets à forte intensité en emploi ». Comme les infrastructures. Leur absence contribue à réduire de moitié le PIB du continent africain par rapport à celui du continent asiatique.

Des jeunes au chômage et des travailleurs vunérables

En Afrique, le dispositif suggéré par les experts du BIT permettra surtout de lutter contre le chômage des jeunes. « Pour des raisons démographiques, quand on parle de chômage en Afrique, il s’agit surtout de celui des jeunes », analyse Duncan Campbell, directeur du département de l’analyse économique et des marchés du travail au BIT. Une situation qui tient à deux raisons majeures. Soit les jeunes ne sont pas formés, soit ils n’arrivent pas à trouver des emplois correspondant à leurs qualifications.

Si la question du chômage est un vrai problème, celle du basculement des emplois précaires vers des situations plus dramatiques interpelle plus encore, selon Lawrence Jeff Johnson, chef Tendance emploi au département de l’analyse économique et des marchés du travail. En 2007, près de 78% des personnes employées en Afrique sub-saharienne, contre 10% dans les pays riches, sont dans une situation qualifiée d’emploi vulnérable. Ce chiffre est de 37% dans le nord du continent. Ces salariés ne disposent pas de protection sociale et leurs droits au travail sont bafoués. Selon le scénario le plus pessimiste envisagé par le BIT, en janvier 2009, dans ses Tendances mondiales de l’emploi, leur situation devrait s’aggraver. On estime qu’en 2009, la proportion de personnes ayant une emploi vulnérable devrait dépasser les 82%, en Afrique sub-saharienne, et se rapprocher des 40% en Afrique du Nord. A la faveur de la crise, les pays africains et leurs partenaires économiques doivent chercher à investir dans « le travail décent productif », suggère Lawrence Jeff Johnson. Une démarche qui passe par la diversification économique.

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