Côte d’Ivoire : mise au point sur le cadre juridique de l’élection présidentielle


Lecture 11 min.
arton21798

Le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé, conformément à l’accord intervenu entre les parties ivoiriennes à Prétoria, que le Haut Représentant des Nations Unies aux élections certifierait chaque étape clé du processus électoral en Côte d’Ivoire. Pourtant, Laurent Gbagbo et les siens ont passé sous silence la certification et arguent aujourd’hui d’une ingérence inacceptable.

Dans les deux systèmes linguistiques dont j’ai une relative maîtrise, le français et l’anglais [[Citoyen béninois, je suis francophone et ai fait l’ensemble de mes études jusqu’à l’université en français. Mais juriste au sein du Secrétariat général des Nations Unies, j’ai été vite amené à travailler essentiellement en anglais, au point que désormais je travaille pour une université américaine, toute communication étant exclusivement en anglais sans compter que je dispense mes cours de droit international et de relations internationales en Afrique exclusivement en anglais.]], il y a un même préjugé sur les avocats qui dénote une méfiance vis-à-vis du droit. L’avocat est généralement perçu comme un menteur, un beau parleur qui joue avec les mots et les concepts. Et les formules sont nombreuses et variées pour l’exprimer[[ Souvent en français, on parle d’un avocat comme d’un professionnel du mensonge, de l’ajustement continu avec la vérité. Ainsi on dit bien “mentir comme un avocat” pour signifier l’aisance à mentir. En anglais, on fait bien souvent de l’humour entre les deux mots lawyer (avocat, juriste) et lier (menteur), en raison d’une proximité phonétique.]]. Au-delà des individus auxquels chaque personne qui use de ces formules pourrait penser, à tort ou à raison, une telle opinion courante renvoie à l’idée que le droit n’est pas toujours clair et offre toujours sinon au moins très souvent une dualité de sens, chaque juriste mettant en avant celui qui servirait ses intérêts et/ou ceux de qui paie le juriste. Pourtant, certaines situations peuvent conduire à une réponse juridique simple et les élections présidentielles ivoiriennes semblent en être l’illustration.

Dans tout pays, la Constitution est la norme suprême. Dans certains cas, comme en Côte d’Ivoire, elle encadre le processus électoral avec des compétences données à différentes institutions, dont le Conseil constitutionnel. Conformément à l’article 94 de la Constitution de 2000, le juge constitutionnel ivoirien a la responsabilité de trancher en dernier ressort tout différend lié aux élections présidentielles, mettant ainsi un terme à l’élection. Sa décision a pour conséquence de confirmer pour tous les résultats des élections, et c’est donc le Conseil constitutionnel qui rend les résultats définitifs des élections présidentielles en Côte d’Ivoire (même article 94 de la Constitution). Ensuite, le président nouvellement élu prête serment devant le Conseil constitutionnel réuni en session solennelle, selon la forme que la Constitution prescrit (article 39 de la Constitution). Le code électoral qui ne saurait contredire la Constitution offre des éléments supplémentaires sur ce dispositif avec un rôle plus détaillé pour le Conseil constitutionnel. Toutefois, pour les causes de notre analyse ici, il n’est pas utile de s’y attarder outre mesure.

Le dispositif constitutionnel ainsi établi n’est toutefois pas inaltérable. D’abord la Constitution elle-même a prévu qu’en 2000, juste après son adoption, la Cour suprême exercerait ces fonctions dévolues au Conseil constitutionnel dans le cadre des élections présidentielles. Et, après la crise de septembre 2002, le même dispositif a été amendé à titre exceptionnel dans la quête d’une solution à la crise à laquelle la Côte d’Ivoire faisait face.

En effet, depuis le 19 septembre 2002, la Côte d’Ivoire est coupée en deux avec deux autorités administratives de part et d’autre, le gouvernement de Laurent Gbagbo n’ayant plus la maîtrise du territoire originel du pays. Dans le cadre de l’effort pour un retour à la normale, il a été convenu que les élections présidentielles seraient le point d’orgue du processus transitoire et des ajustements de nature constitutionnelle ont été apportés avec notamment le mandat confié aux Nations Unies pour certifier chaque étape clé du processus électoral. C’est l’accord de Prétoria qui prévoit que les Nations Unies assistent les parties dans le processus électoral, d’où la certification [[Ainsi pour l’organisation des élections, les parties ont convenu que:
« 10. Les parties signataires du présent accord sont conscientes des difficultés et sensibilités liées aux élections.
En vue d’assurer l’organisation d’élections libres, justes et transparentes, elles ont admis que les Nations Unies soient invitées à prendre part aux travaux de la Commission Electorale Indépendante. A cet effet, elles ont donné mandat au Médiateur, Son Excellence Monsieur Thabo Mbeki, d’adresser une requête aux Nations Unies, au nom du peuple ivoirien, en vue de leur participation dans l’organisation des élections générales.

Les parties demandent que la même requête soit adressée aux Nations Unies en ce qui concerne le Conseil Constitutionnel.
Les Nations Unies doivent s’assurer à ce que leur mission d’intervention sollicitée soit appuyée par un mandat et des pouvoirs appropriés à l’accomplissement de leur mission. »

Cette disposition ne parle par d’une quelconque certification mais elle reste la source du rôle critique qui sera déterminé par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1603 lorsqu’il demande au Secrétaire général de nommer un Haut Représentant aux élections ivoiriennes dont le paragraphe 7 de la résolution détaille le mandat.
]]. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a ensuite adopté cette mesure dans le cadre de sa résolution 1603 que le Conseil a inscrite dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, avec dès lors une obligation pour tout Etat membre de la respecter, au premier chef desquels la Côte d’Ivoire. Et c’est là où le bât semble blesser pour nombre d’observateurs.

D’abord, à propos de l’accord de Prétoria, il est évident que sa valeur juridique est très relative. Il s’agit d’un accord entre des parties qui n’ont pas l’autorité pour modifier la Constitution ivoirienne. En d’autres termes, cet accord ne saurait être une base suffisante pour déroger à la Constitution. Au mieux, il aurait pu acquérir une valeur juridique en droit interne si les instances compétentes ivoiriennes avaient pris des mesures subséquentes pour l’intégrer dans des normes juridiques internes spécifiques, avec par exemple une révision en bonne et due forme de la Constitution, ou une loi ivoirienne incluant les dispositions essentielles de l’accord.

Ensuite, il faut s’attarder sur la résolution et sa valeur juridique pour comprendre le système de droit d’exception mis en place. La clé de voûte du système est dans une lecture combinée de l’article 25 et du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. L’article 25 stipule comme que « Les Membres de l’Organisation conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte. » En d’autres termes, chaque Etat membre des Nations Unies accepte le caractère obligatoire des décisions précises par le Conseil de sécurité dans l’exercice de son mandat pour assurer la paix et la sécurité internationale. Quant au Chapitre VII de la Charte, il offre la possibilité au Conseil de sécurité de « décider » de toute mesure nécessaire pour rétablir la paix et la sécurité internationale, dès lors qu’il a pu constater l’existence d’une menace à la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression (voir les articles 39 à 42 de la Charte des Nations Unies). En l’espèce, dans sa résolution 1603, le Conseil de sécurité s’est inscrit dans le cadre du Chapitre VII et a décidé, conformément à l’accord intervenu entre les parties ivoiriennes à Prétoria lequel il a endossé, que le Haut Représentant des Nations Unies aux élections certifierait chaque étape clé du processus électoral. Cette résolution est ultérieurement complétée par différentes résolutions du même Conseil relatives à la Côte d’Ivoire [[Voir entre autres les résolutions 1609 (2005), 1633 (2005), 1643 (2005), 1652 (2006), 1721 (2006), 1727 (2006) et 1739 (2007).]] dont notamment la résolution 1633 qui est plus explicite encore sur le mandat des Nations Unies autour des élections ivoiriennes, à savoir l’arbitrage et la certification [[S/RES/1633 (2005), para. 2. C’est d’ailleurs la première résolution qui use spécifiquement du thème de certification.]] . Toutes ces résolutions s’inscrivent dans le même cadre du Chapitre VII de la Charte et ont une même valeur obligatoire pour les Etats membres des Nations Unies. Désormais ce mandat a une valeur de norme internationale qui s’impose à tous les Etats membres des Nations Unies, notamment la Côte d’Ivoire. A ce titre, la norme nouvelle entraîne naturellement une modification du régime constitutionnel antérieur. En clair, le Conseil constitutionnel maintient son pouvoir de trancher les différends liés à l’élection mais non plus en dernier ressort, puisque la certification est désormais le dernier niveau de la pyramide. Mais le Conseil constitutionnel reste l’instance devant laquelle la prestation de serment devra se faire.

Ce nouveau régime constitutionnel est clair et limpide, peu importent les arguments ici et là, notamment sur l’ingérence ou l’existence d’une politique de deux poids deux mesures par la communauté internationale. Et ce régime constitutionnel d’exception se comprend dans la situation de crise que connaît la Côte d’Ivoire. Les parties ne se faisaient pas confiance, chaque partie soupçonnant l’autre de plans de tricherie institutionnelle durant les élections. Et cette bataille n’est pas que du vent, mais elle a une réalité fort saillante. Tandis que Laurent Gbagbo a su mettre la main sur le Conseil de constitutionnel en s’y assurant une majorité indiscutable de juges favorables y compris le Président qu’il a nommé conformément à l’article 90 de la Constitution, l’opposition y compris les Forces Nouvelles ont su s’imposer dans la Commission électorale. C’est donc à dessein que les partisans de Laurent Gbagbo ont tout fait pour empêcher la Commission électorale de proclamer les résultats dans les délais, lesquels résultats ne devaient être que la compilation des résultats collectés dans les différents centres et consolidés après une décision initiale sur les contestations éventuelles. Laurent Gbagbo et les siens n’ont pas voulu courir le risque d’une annonce de résultats qui contrediraient les conclusions attendues du Conseil constitutionnel. A dessein, ils ont passé sous silence la certification et arguent aujourd’hui d’une ingérence inacceptable. Pourtant depuis Pretoria et surtout la résolution 1603 du Conseil de sécurité, toutes les institutions ivoiriennes se sont conformées à ce régime constitutionnel d’exception.

Il convient dès lors de s’affranchir de la démagogie en réfutant tout argutie sur un caractère éventuellement confus du droit relatif à cette élection présidentielle ou sur une ingérence des Nations Unies manipulée par la France ou je ne sais quel autre Etat. Il est certes exceptionnel pour les Nations Unies de se retrouver dans un tel rôle de certification et surtout de devoir contredire les institutions nationales, mieux pour un fonctionnaire des Nations Unies d’oser s’exposer en porte-à-faux d’institutions nationales. Mais il me paraît évident que cela s’est fait dans une légalité qui ne souffre d’aucun flou, et la souveraineté ivoirienne est bien sauve. Et cette analyse, je dois le concéder, n’a rien d’exceptionnel, ni d’ingénieux. Les leaders africains disposent de la compétence juridique appropriée et devraient user des moyens à leur disposition de façon plus professionnelle / sophistiquée pour asseoir la légalité de leurs actions. Laurent Gbagbo et son camp avaient certainement d’autres moyens qu’une tentative de coup d’Etat par voie judiciaire. Il demeurera cependant un débat sur la légitimité qui est en partie hors du champ juridique, et il faut espérer que toute intervention armée de la communauté internationale pour sortir la Côte d’Ivoire de la crise ne pèchera pas là en faisant perdre à Allassane D. Ouattara le soutien de la majorité des Ivoiriens.

Cet article de Roland Adjoviest un extrait d’un projet plus étendu sur la crise ivoirienne

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News