Côte d’Ivoire : les Bidjan voteront-ils contre Gbagbo ?


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Les colons avaient exproprié brutalement les Bidjan, à la fin du XIXe siècle, pour construire la ville d’Abidjan. Aujourd’hui, leurs petits fils revendiquent leurs droits de propriété. En vain. Le candidat Gbagbo avait promis de régler ce problème s’il était élu, lors de la présidentielle de 2000. Ses solutions ne satisfont pas les Bidjan, qui menacent de le sanctionner lors de la prochaine échéance électorale.

Le problème est plus vieux que l’Etat moderne de Côte d’Ivoire. Les premiers colons trouvent dans la région, qui prendra plus tard le nom d’Abidjan, l’endroit idéal pour s’installer : elle est ouverte sur la mer. Seulement, elle n’est pas libre. Elle est occupée par un peuple appelé les Ebrié. Ceux-ci résistent à l’injonction du colonisateur de déguerpir. Ils jugent aussi ridicules les compensations qu’il leur propose, et ne les acceptent pas. Ils sont finalement chassés de force, dans le courant de l’année 1893. Les Bidjan, un sous-groupe du peuple Ebrié, sont les plus grands perdants, la plupart des meilleures terres arrachées leur appartenant.

Après l’indépendance, les présidents successifs de Côte d’Ivoire ne font rien pour réparer cette injustice, alors même que la constitution du pays garantit aux autochtones les droits de propriété exclusifs sur les terres qu’ils occupent. Le ressentiment des Bidjan est d’autant plus grand dans ce contexte, qu’Abidjan dont ils revendiquent la propriété devient rapidement le poumon économique du pays. Il y a le port d’Abidjan, le plus grand d’Afrique de l’ouest ; il y a toute la zone industrielle tout autour de cette ville, qui brasse des milliards, et il y a les vastes plantations de cultures de rente. La manne issue de tout ce bizness leur échappe totalement.

Pour Gbagbo, la terre appartient aux Bidjan

Pendant la campagne présidentielle de 2000, Laurent Gbagbo promet de se pencher sur le dossier une fois élu. « A des fins uniquement électoralistes », plaide un représentant des Bidjan déçu par l’approche du président. En tout cas, le président Gbagbo charge rapidement le préfet du département d’Abidjan, Sam Etiassé, de conduire au nom de l’Etat, les négociations avec les représentants des villages impliqués dans le conflit foncier. « Le dossier est très compliqué », reconnait ce dernier, joint au téléphone par Afrik.com.

Professeur d’université, Sam Etiassé a dirigé un mémoire sur l’occupation privative du domaine public urbain. Il reconnait que les Bidjan sont au sens de la loi, les vrais propriétaires des zones à l’origine du contentieux. Pour lui, le payement des compensations suffiraient à résoudre le différend. « Leurs revendications sont légitimes. Il faut purger le droit coutumier, pour mettre un terme au conflit ». Purger le droit coutumier, c’est payer des compensations financières aux populations abusées. M. Etiassé assure qu’il a beaucoup avancé dans sa mission. Il parle de plusieurs millions de francs CFA qui ont été payé ces trois dernières années à certains villageois. Ceux-ci avaient entrepris de détruire des villas et des sociétés en construction, appartenant pour la plupart à des Européens.

Sam Etiassé assure aussi que Laurent Gbagbo, qui a déjà reçu les représentants des villages suit personnellement l’avancée du dossier. Une affaire qui le tiendrait à cœur. « Votre problème, c’est la création de cette ville qu’on appelle aujourd’hui Abidjan. Dans ce problème, on essaie de faire le mieux possible pour le peuple Tchaman. Qu’est-ce qu’il faut pour que ces gens qui sont chez eux aient à boire, à manger, à circuler, à se vêtir, à s’habiller ? Comment faire en sorte que l’Ebrié ne regrette pas que la ville ait été bâtie chez lui ? Comment faire pour qu’il puisse préserver un avenir pour ses enfants ?», a déclaré le président, selon Le journal ivoirien la Voie. C’était en janvier dernier, lors d’une rencontre avec des élites Ebrié, au palais présidentiel.
« Nous espérons bientôt parvenir à des accords globaux. Par exemple, pour l’extension du port d’Abidjan ainsi que les travaux sur l’île Boulay, nous avons conclu un accord de principe pour purger les droits coutumiers » laisse entendre Sam Etiassé.

Les Bidjan rejettent le médiateur de Gbagbo

Dans la communauté Bidjan, cet auto-satisfecit du préfet d’Abidjan est loin d’être partagé. Pour Ahouo Koutouan, vice-président des Bidjan installé au Luxembourg, ce dernier n’est en réalité qu’un imposteur. Petit fils de l’ancêtre des Bidjan qui avait résisté, Ahouo Kouotan mène depuis plus de deux ans une campagne médiatique et institutionnelle en faveur des siens. A l’en croire, le préfet Sam Etiassé ne s’est attaqué qu’à une partie du problème, et n’a pas travaillé avec les bons interlocuteurs. « Sam Etiassé ne traite pas avec les Bidjan, mais avec les Atchan » martèle-t-il, tout en introduisant un autre terme, qui traduit la complexité des composantes ethniques qui ont, dans l’histoire, peuplé la région autour de la ville d’Abidjan.

En plus simple explique-t-il, tout autant qu’ils sont des Ebrié, les Bidjan sont une fratrie du peuple Atchan. Mais si des liens de cousinage sont évidents, tout le monde ne partage pas les mêmes villages. « Abidjan est constitué de dix communes. Huit appartiennent aux Bidjan », poursuit-t-il. Sam Etiassé n’aurait donc pas, de ce point de vue, véritablement traité avec les représentants des Bidjan. Ahouo Koutouan soupçonne même l’administration ivoirienne d’avoir expressément choisi de négocier avec des interlocuteurs plus conciliants, pour donner l’illusion de résoudre le problème. « Le président Gbagbo fait du patrimoine des Bidjan la propriété de tous les Atchan alors que nous avons 10 tribus et que chaque tribu a son propre territoire », écrit-il dans un mail envoyé à Afrik.com.

Et d’accuser Laurent Gbagbo d’avoir partie liée dans la distribution des prébendes autour des marchés juteux de la mise en valeur de la zone portuaire. D’où son éloignement vis-vis des Bidjan plus exigeants. « L’administration ivoirienne n’a jamais consenti à nous rencontrer en dépit de nos requêtes. Nous vivons comme des mendiants sur notre terre ancestrale », se plaint-il.

Pour lui, les revendications des Bidjan restent intactes : établir en leur faveur, un bail emphytéotique sur le port d’Abidjan ; les intéresser au moyen d’une rente, au bénéfice des sociétés de cette zone industrielle ; leur octroyer plus de postes au sommet de l’Etat et permettre à leurs jeunes diplômés du supérieur de trouver du travail.

En promettant de les remettre dans leurs droits, Laurent Gbagbo avait obtenu le soutien des Bidjan lors de la dernière présidentielle, qui l’avait porté au pouvoir. Cette fois-ci, les choses pourraient se passer autrement. « Laurent Gbagbo nous a menti une fois. On ne se laissera pas avoir une deuxième fois », averti Ahouo Koutouan. Plusieurs fois reportée, la présidentielle en Côte d’Ivoire devrait se tenir l’année prochaine.

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