Côte d’Ivoire/Election présidentielle : une jeunesse « désintéressée » ?


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Ce mercredi matin à Abidjan, les jeunes Ivoiriens du quartier d’Adjamé, « 220 logements », un quartier réputé favorable au Président sortant Alassane Ouattara, se rassemblent, comme chaque jour de la semaine, autour du café tenu par Aboubakar. Assis sur trois bancs en bois autour de la machine à café, face à la rue, plusieurs expliquent se désintéresser de l’élection présidentielle de dimanche prochain. Ils décrivent un débat politique public paralysé par la peur, encore sous le coup du traumatisme causé par la crise post-électorale de 2010.

De notre envoyé spéciale à Abidjan,

Une grande partie des jeunes qui se sont mobilisés à l’élection présidentielle de 2010 pour la candidature d’Alassane Ouattara ont été déçus par les promesses non tenues de l’actuel Président. Ces anciens militants ont été abandonnés par les représentants politiques de l’époque actuellement au pouvoir, déclare Aboudramane Coulibaly, un « occasionnel » du café d’Aboubakar.

« L’organisation des meetings » : « une perte de temps »

Beaucoup des personnes de son entourage ont récupéré leur carte d’électeur, mais ils ne comptent pas aller voter. « Le Président fait sa publicité, mais ils disent que la vie est devenue chère, qu’ils vont avoir du mal à payer l’école à leurs enfants », rapporte, calmement, Aboudramane. Pour sa part, « l’organisation des meetings » est une « perte de temps » et d’argent alors « qu’il y a trop de choses à faire ». Il va aller voter Alassane Ouattara dimanche prochain pour réaliser « les choses qu’il n’a pas pu faire ». Il cite notamment les un million d’emplois promis aux jeunes, les cinq Centres hospitaliers universitaires et les cinq universités que le chef de l’Etat voulait créer. « Il doit respecter cela », dit-il, avant de se plaindre de l’insécurité grandissante dans la capitale économique ivoirienne, Abidjan.

Au sujet de ses amis favorables à l’opposition, il déclare : « Le fait que Gbagbo ne soit pas là, ils n’iront pas voter ». Une grande partie de la population reste favorable à l’ancien président de la République. « Ils estiment que Affi (Pascal Affi N’Guessan, le candidat de la branche officielle du FPI opposé aux « Gbagbo ou rien » d’Abou Dramane Sangaré) ne peut pas le remplacer et qu’il travaille avec le pouvoir en place.

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Un système politique qui exclut la jeunesse

Soro se désintéresse de la politique ivoirienne dans son ensemble. Les jeunes militants qui « suivent » la politique au plus près sont « manipulés », avance-t-il, une tasse de café en main, une cigarette à la bouche. « Ils prennent leur argent et ils bouffent (expression ivoirienne qui veut dire gagner de l’argent) », indique Aboudramane Coulibaly, à leur sujet. En Côte d’Ivoire, les partis politiques motivent la participation des centaines de jeunes présents lors de chaque rassemblement en les payant.

La jeunesse ivoirienne est largement sous-représentée dans la politique ivoirienne. Ce phénomène est particulièrement visible au sein des trois plus grands partis de Côte d’Ivoire, dont l’alliance stratégique de deux de ces partis et l’isolement d’un autre déterminent à chaque élection le camp vainqueur du scrutin. « Ils vont venir parler des jeunes pendant les élections, et après c’est fini », dénonce Ibrahim.

A part Kouadio Konan Bertin, âgé de 47 ans, candidat indépendant membre du PDCI, qui peine à émerger sur le devant de la scène, la plupart des candidats sont âgés de plus de 60 ans. Le Président Alassane Ouattara est âgé de 73 ans, les candidats indépendants dissidents du PDCI, Charles Konan Banny et Essy Amara, ont respectivement 72 et 70 ans. Le candidat du Lider Mamadou Koulibaly a 58 ans, tandis que Pascal Affi N’Guessan est âgé de 62 ans. « Certains pensent qu’on ne peut s’impliquer en politique qu’à partir de 60 ans, mais la politique, c’est pour les jeunes », déclare Aboudramane Coulibaly qui déplore que l’ancienne génération « barre la route » aux jeunes.

Une « peur » du débat publique

« Tout Ivoirien a peur de parler en général. Il faut parler dans l’intimité, c’est pas bien de parler », affirme David, sur un ton confidentiel. Une grande partie de la population craint d’exprimer ses idées politiques en publique depuis la crise post-électorale qui a éclaté à l’issue du scrutin de 2010. Au moins 3 000 personnes avaient été tuées au cours de la conquête du pouvoir jusqu’à Abidjan par la rébellion pro-Ouattara qui occupait alors la moitié nord de la Côte d’Ivoire, face à une large partie de l’armée ivoirienne alliée aux milices pro-Gbagbo.

Ibrahim explique pour sa part qu’il y a beaucoup de démotivation parmi ses connaissances par rapport à l’élection précédente. « La majorité des jeunes sont aujourd’hui intéressés par le gain d’argent rapide plutôt que par soutenir un candidat ou un parti politique. (…) On est dans la misère, il n’y a rien, pas de travail », dit-il. Avant de poursuivre : « Maintenant, il y a la paix, alors qu’avant, il y avait beaucoup de tensions. Il y a beaucoup de tranquillité car il n’y a pas d’enjeux à l’élection. Personne ne veut revivre ce qui s’est passé en 2010 ».

Beaucoup de jeunes ont « d’autres problèmes en tête », indique encore Ibrahim, baissant quelque peu la voix. Il décrit « passer aux meetings » de temps en temps, quand ils sont organisés dans son quartier. Au sujet de la jeunesse, il défend le bilan du Président Alassane Ouattara qui fait du « bon boulot » et à qui il dit vouloir « laisser le temps ». Alors que le débat politique s’est largement apaisé depuis 2010, les rues d’Abidjan sont beaucoup plus calme que lors des élections précédentes, selon lui : « Normalement, la rue qui passe là, elle doit être embouteillée, notamment à cause des meetings. Ils n’ont pas été nombreux cette année. La ville s’est vidée un peu. Beaucoup ont voyagé, d’autres ont peur », conclut-il.

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