Côte d’Ivoire : bornes et limites de la démocratie


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Pourquoi faut-il qu’à l’approche des élections, notamment la Présidentielle, les populations soient toujours en proie à la peur, à l’angoisse et à toutes sortes d’inquiétudes ? Est-ce parce que la démocratie est mal maîtrisée, ou parce qu’elle est chaque fois volontairement bafouée dans ses principes et modalités par nos concitoyens ? Plusieurs faits, ces derniers temps, montrent bien à quel point les choses vont dans le sens contraire de la démocratie.

Premièrement, si l’on prend l’exemple de la Côte d’Ivoire, la campagne pour la Présidentielle d’octobre 2015 n’est pas officiellement ouverte, mais déjà, de grandes manœuvres sont en cours dans tous les états-majors pour appeler à voter X ou Y. Cette campagne anticipée est en soi porteuse de nombreux vices. Outre le fait de ne pas respecter les dispositions légales et constitutionnelles en la matière, elle favorise le déséquilibre des forces en présence, car les moyens de l’Etat, c’est-à-dire du contribuable, peuvent être utilisés à des fins personnelles.

Deuxièmement, le risque est grand, pour la nation, de lancer une campagne aussi importante de manière précoce, car durant ces périodes, les vrais problèmes sociaux sont relégués au second plan, voire complètement occultés par des dirigeants préoccupés par leur propre survie politique. Ainsi, à l’heure actuelle, les domaines de la santé, de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur sont quasiment au point mort en raison de revendications sectorielles non satisfaites. La douloureuse problématique de l’emploi, celle de la démobilisation des ex-combattants et l’épineuse question de la justice et de la réconciliation post-crise sont encore en souffrance.

Troisièmement, et c’est là le fait le plus déplorable, nous assistons en Côte d’Ivoire, depuis quelques années, à l’exercice d’une forme nouvelle de démocratie dans laquelle « borne » et « limite » sont confondues pour donner naissance à ce que l’on pourrait appeler la « démocratie régionaliste ».

Dans son principe, le régime démocratique vise l’unification des peuples, c’est-à-dire l’édification d’une nation. Ce qui est en jeu, c’est alors l’intérêt général et collectif, qui ne tient pas compte des clivages géographiques (nord-sud-est-ouest), ethniques ou régionaux. Or, sous le couvert de cette nouvelle démocratie, l’on assiste aujourd’hui à un marchandage, voire un chantage entre les candidats et les différents groupes ethniques et régionaux : « On vous promet ceci ou cela si vous votez majoritairement pour nous, sinon…D’ailleurs, nous vérifierons tout cela, bureau de vote par bureau de vote, après les élections… ».

Les théoriciens du nouveau contrat social qui ont permis l’avènement de nos républiques démocratiques ont tracé, depuis le XVIIIe siècle, les limites (théoriques et juridiques) de la démocratie, ainsi que les bornes (pratiques) que chacun doit respecter pour que ce régime fonctionne convenablement. Mais si l’on va au-delà des bornes de la pratique, on court alors le risque de remettre en cause la limite juridique qui a permis de fixer les bornes de l’action. Par exemple, les bornes définissent l’espace d’une propriété, le cadre d’une action, les modalités de fonctionnement d’une association, etc. Mais ce qui permet de tracer les limites, c’est-à-dire ce qui donne droit à fixer les bornes, ne peut être remis en cause, sinon on tombe dans le désordre et l’anarchie. En l’occurrence, la démocratie, ce n’est pas l’exercice d’une liberté sans limite, mais le respect des bornes sans lesquelles la liberté des uns entrerait en conflit avec celle des autres. Il serait donc dangereux de se servir de la démocratie pour faire ce que l’on veut, sous prétexte que « la démocratie, c’est la liberté ». Obéir à la borne, à la règle, à la loi, aux règlements et statuts d’un parti ou d’une association quelconque, c’est là la véritable liberté.

En tout état de cause, les citoyens attendent depuis toujours de vrais débats démocratiques sur le projet de société, les programmes objectifs de développement et le respect de la démocratie et de la bonne gouvernance. Malheureusement, les officines d’instrumentalisation de nos partis politiques trouvent toujours les ressources pour nous conduire vers les intérêts égoïstes et partisans qui constituent de véritables obstacles au développement de nos jeunes nations.

En définitive, si dans la pratique politique, les partis ne respectent pas les textes qu’ils se sont eux-mêmes donnés, si les dirigeants ne respectent pas les principes démocratiques, et si le peuple lui-même ne comprend pas que son choix ne doit souffrir d’aucune pression, alors, de manière récurrente, non seulement nous vivrons toujours dans l’angoisse à l’approche des élections, mais nous constaterons, au bout de plusieurs « changements », que rien n’a bougé, que tout est à faire, et que le non-développement nous colle à la peau.

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