Coopération Sud-Sud : les pays émergents au secours de l’Afrique


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Les pays émergents à l’instar de la Chine, l’Inde et le Brésil ont renforcé leur présence sur le continent. Ils y achètent les matières premières et vendent leurs produits manufacturés. Mais ils investissement aussi de plus en plus et accroissent leur aide au développement. Ce nouveau partenariat pourrait vigoureusement contribuer au développement économique de l’Afrique. A condition que les gouvernements sachent défendre leurs intérêts, selon le rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) publié ce vendredi.

Les pays émergents, bons partenaires pour le développement de l’Afrique ? Le rapport 2010 de la CNUCED, consacré au développement économique du continent s’ouvre en tout cas sur cette note d’espoir : « La coopération sud-sud offre de nouvelles possibilités de transformer les économies africaines ». Cette étude détaillée de la coopération Sud-Sud constate que ces dix dernières années, les pays en développement comme la Chine, l’Inde et le Brésil, ont fermement pris pied sur le continent africain. Dans les faits, les relations entre ces pays en développement(PED) et le continent existent depuis les indépendances, il y a cinquante ans. Mais elles étaient surtout politiques. Cette fois, c’est l’économie qui prime. Le nombre et la nature des accords de coopération « Afrique-Sud » a ainsi connu « un accroissement notable », relève d’emblée le CNUCED.

Bien entendu, le commerce occupe la première place dans cette nouvelle orientation des rapports entre pays du Sud. Les pays émergents sont à la recherche de matières premières indispensables à leurs propres industries. Ils veulent aussi conquérir de nouveaux débouchés pour leurs produits manufacturés. Et l’Afrique, dotée d’immenses ressources naturelles et peuplée de plus d’un milliards d’habitants constitue dans ce cadre une destination incontournable. Selon la CNUCED, les échanges de marchandises entre le continent et les PED croissent rapidement, depuis le milieu de la décennie 90. Alors qu’ils étaient seulement de 34 milliards de dollars en 1995, ils sont passés à 97 milliards en 2004, avant de bondir à 283 milliards en 2008, année au cours de laquelle, pour la première fois, ils ont dépassé le commerce total entre l’Afrique et son principal partenaire commercial, l’Union européenne.

Investissement, aide au développement et transfert des technologies

Mais il n’y a pas que le commerce. Les PED multiplient aussi leurs investissements en Afrique et y accroissent dans le même temps leurs contributions financières au développement. La Chine par exemple a financé des infrastructures dans 35 pays du continent. De leur côté, l’Inde et le Brésil s’activent à transférer les technologies, notamment dans le domaine médical et agricole. Et bien que leur présence soit moins significative, les pays comme la Russie, la République de Corée, le Venezuela, la Turquie, les Emirats et monarchies pétrolières du Golfe arabo-persique interviennent dans les domaines comme la culture, les sciences, les technologies de l’information et l’éducation. Par ailleurs, affirme la CNUCED, les pays en développement ont fortement accru leur Aide public au développement (APD) en faveur de l’Afrique. Cet apport est difficilement chiffrable avec précision, en raison du secret qui entoure certaines opérations. Toutefois, dans ce domaine, ils sont encore loin de concurrencer les pays riches, qui demeurent les principaux pourvoyeurs de fonds du continent.

Dans leur coopération avec l’Afrique, les pays émergents utilisent des canaux souvent négligés par les pays du Nord qui sont les partenaires traditionnels du continent. Alors que ces derniers répugnent à se lancer dans des activités d’investissement avec les fonds publics, préférant octroyer des subventions aux budgets généraux des Etats, augmentant de ce fait les risques de détournement, les pays en développement injectent directement leurs APD dans des activités de commerce et d’investissement. Un choix qui profite à l’économie du pays bénéficiaire : le secteur privé profite de la manne, et l’industrie se développe. Ce qui à long terme permettrait d’atténuer la dépendance vis-à-vis de l’extérieur. « Le rapport constate que l’aide publique au développement (APD) des pays en développement se porte de plus en plus sur l’infrastructure et les secteurs de production des économies africaines, ce qui a permis d’étoffer les ressources disponibles pour la région et de diversifier les possibilités de financement de l’Afrique », lit-on dans la note de synthèse du rapport publié par la CNUCED ce vendredi.

L’Afrique doit adopter des stratégies de négociation cohérentes et efficace

Toutefois, l’Afrique ne sort pas gagnante à tous les coups, dans ce partenariat Sud-Sud. En dépit de leurs efforts d’investissement, le CNUCED relève l’engouement des pays émergent pour le secteur des activités extractives, celui des matières premières. Or si les ressources naturelles étaient transformées sur place, elles contribueraient à réduire la pauvreté, en créant des emplois. Même les produits manufacturés bon marchés venant de Chine, d’Inde et d’ailleurs posent problème : ils font concurrence aux productions des petites et moyennes entreprises locales. Le CNUCED déplore aussi le fait que le continent n’ait pas élaboré de démarche collective cohérente vis-vis de ses partenaires des PED qui, eux, ont mis sur pied des stratégies systématiques pour conduire leur coopération. L’Afrique perd au change : comme les pays riches, ce sont les pays émergents qui mènent le jeu, d’où un déséquilibre global des échanges à leur profit.

Il n’y a cependant pas de fatalité, estime la CNUCED. L’organisme onusien suggère plusieurs solutions à l’Afrique, pour équilibrer ses rapports avec les pays émergents. Il faut ainsi montrer de la prudence, face au robinet financier qu’ouvrent facilement un pays comme la Chine, qui prête à tout-va, sans tenir compte de l’état de la gouvernance et des capacités de remboursement. Si ces prêts consentis à des conditions de faveur permettent d’améliorer l’accès aux financements, il y a cependant risque que l’argent suive d’autres voies que celle de l’amélioration du bien-être des populations et obère au final des pays déjà dépendant de l’aide internationale. « Les gouvernements doivent être fermes lorsqu’ils négocient un accord de coopération avec d’autres pays en développement afin qu’il soit convenablement tenu compte de leurs intérêts », conseille par ailleurs le rapport.

Pour tirer avantage des investissements des PED, les pays africains gagneraient à adopter une approche axée sur le développement : créer des liens entre l’investissement et les économies locales ; orienter cet apport financier vers les secteurs où ils peuvent catalyser l’investissement intérieur ; stimuler l’intégration régionale, etc. Ils doivent aussi promouvoir les coentreprises entre sociétés nationales et entreprises des pays en développement. Ce qui faciliterait la diffusion des connaissances à l’intention des chefs d’entreprises locaux, contribuant de ce fait à la transformation des économies africaines. Bref, il s’agit d’apprendre à pêcher plutôt que de quemander du poisson, comme le dit si justement la maxime chinoise.

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