Comment réconcilier les protagonistes du conflit malien ?


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Comment résoudre le conflit malien par la démocratie? Poser cette question permet de rechercher la solution du problème malien dans une démocratie différente de la démocratie de consensus et d’unanimité qui eut cours au Mali après la chute de la dictature.

Cette démocratie de consensus, qui devait permettre de construire une société réconciliée dans sa diversité culturelle et confessionnelle afin d’engager pleinement les Maliens dans la modernité politique, fut souvent décriée par les Maliens eux-mêmes malgré le triomphalisme de la communauté internationale. La désintégration du corps politique malien dans le séparatisme et l’intégrisme confessionnel a signifié que la démocratie de l’unanimité n’avait pas permis de réaliser l’intégration politique et économique de la pluralité, intégration qui constitue le télos du régime démocratique. Cette démocratie avait reconduit la logique de l’unification et de l’adhésion forcées, qui a fini par tuer l’affrontement et le débat démocratique en interdisant l’expression de la différence et la manifestation de la dissidence. Plus profondément, la démocratie du consensus n’avait pas permis de reconstruire le corps politique malien sur de nouveaux principes et de nouvelles valeurs démocratiques en réalisant la synthèse de l’universalisme et du particularisme.

Cette synthèse indispensable est en réalité la gageure que doivent pouvoir relever les discussions entre les protagonistes du conflit malien à Ouagadougou en formulant les axes généraux d’un projet de société qui la rende possible. Il faut parvenir à réaliser l’accord des parties sur un concept d’unité républicaine qui fonde sa substance sur la coexistence de la pluralité et sur la reconnaissance de la particularité, sur la libre expression de la différence et sur l’autorisation de la dissidence par rapport à l’avis de la majorité. Car, le fond du problème malien, comme celui de la plupart des crises politiques dans les Etats africains francophones, réside dans l’affrontement entre une vision républicaine jacobine centralisatrice et anti-particulariste du corps politique et une vision communautariste enracinée dans une logique d’homogénéité ethnoculturelle. Au Mali, une culture du contrôle jacobin du territoire et de la population par un Etat central unificateur affronte une culture de la différence identitaire d’un peuple qui revendique son particularisme et fonde sa pérennité sur la conservation de sa spécificité et de ses valeurs culturelles. Ces deux visions antinomiques du monde s’unissent toutefois dans le refus consensuel de la différence et s’affrontent pour instituer un modèle de société homogène dont la cohésion repose sur l’évacuation de l’expression de la différence et de la contradiction. Cet accord de fond sur le refus de la différence est paradoxalement la source de l’irréductibilité de leurs antagonismes. Comment réconcilier alors ces deux visions antinomiques ou, plus exactement, comment surmonter l’antinomie pour pouvoir réconcilier les protagonistes ?

La solution de cette antinomie se trouve, d’une part, dans l’abrogation réciproque de la culture du refus de la différence par les deux parties et, d’autre part, dans le dépassement de la démocratie de consensus qui, en renforçant la logique de la négation des particularismes, a stimulé la tendance centrifuge de l’irrédentisme touareg . L’échec de la démocratie du consensus d’Amadou Toumani Touré, l’ex-président malien, montre que la réconciliation des parties est à rechercher dans un modèle de démocratie qui en soit l’antithèse. Il est question de construire un nouveau modèle d’Etat républicain démocratique qui fonde l’unité du corps politique sur l’expression des différences et des divergences et en lequel le contrôle et la surveillance de l’Etat par la population se substitue au contrôle et la surveillance de la population par l’Etat. Il est question de rassembler les protagonistes du conflit malien sur le projet d’un nouveau corps politique qui établit le contrat social sur l’affrontement des opinions et des intérêts et sur la résolution institutionnelle des conflits sociaux sous le principe du service de l’intérêt général. Pour donner corps à cette « paix définitive » et à ce « développement inclusif dans le nord Mali » que le Président Blaise Compaoré appelle de ses vœux, il faut que le modèle de l’Etat républicain se réalise comme espace de vie de la pluralité et de la diversité en intégrant dans son concept d’unité rationnelle, les particularismes, la dissidence et l’affrontement des opinions et des intérêts. La société bien organisée et pacifique, de nos jours, n’est pas la société homogène qui expulse les différences et d’où les contradictions et les conflits sont évacués pour sauvegarder l’unanimité. C’est, au contraire, une société diversifiée qui intègre les différences et favorise l’expression des contradictions et des conflits afin de les résoudre institutionnellement par le compromis.

Un tel projet de société pourrait être extrait de la position conflictuelle et apparemment antinomique des protagonistes du conflit malien. Par delà l’apparente irréductibilité de leurs antagonismes, semble exister entre les belligérants une certaine convergence informulée qui permet de penser que cette démocratie de la contradiction, de la divergence, de l’affrontement politique entre majorité et minorité, affrontement fondé sur l’unité vivante de l’universalisme citoyen et du particularisme culturel, est le point nodal d’un rassemblement possible.

Faut-il en effet interpréter la décentralisation proposée par l’Etat malien comme une volonté de faire du peuple Touareg, un bantoustan sous la tutelle économique et politique de l’Etat central dans le territoire malien, ou comme une reconnaissance de la différence culturelle et confessionnelle du peuple touareg ? Le refus de l’autonomie touareg, à l’intérieur du territoire malien, a-t-il le sens de l’enfermement et de la ségrégation d’une minorité culturelle dans la nation malienne ou plutôt celui de l’intégration du peuple touareg dans l’Etat malien, sous le principe de l’égalité républicaine, dans une union citoyenne des peuples du Mali ? A contrario, demander l’autonomie tout en acceptant de renoncer à la volonté d’indépendance, comme le font les Touaregs, est-ce refuser de reconnaître l’autorité de l’Etat central, ou est-ce vouloir pouvoir contrôler et surveiller cet Etat de telle sorte qu’il puisse servir les intérêts régionaux des Touaregs dans le cadre du service de l’intérêt général du peuple malien en sa diversité ? Est-ce refuser d’être malien ou est-ce plutôt demander d’être reconnu comme malien dans l’affirmation d’une différence culturelle? Réclamer la sécurisation du scrutin présidentiel par les forces de l’ONU, est-ce simplement dénoncer la partialité de l’Etat malien ou demander un Etat impartial qui serve l’intérêt général ?

Dans les demandes divergentes et antinomiques des parties en conflit, l’on pourrait alors déceler l’aspiration commune à une nouvelle société démocratique en laquelle la reconnaissance de la citoyenneté républicaine s’allie à celle de l’identité culturelle dans un cadre d’affrontement et de résolution institutionnelle des différences et des divergences. Pour que cette convergence des différences s’effectue pleinement, il faut toutefois que les protagonistes du conflit malien se convertissent mentalement, d’une manière pragmatique, aux nouvelles valeurs de respect des droits des personnes et des collectivités, ainsi qu’à celles de l’égalité en tant que redistribution et relation de justice entre des citoyens ; valeurs qui sont les principes de la démocratie électorale-représentative. Ils doivent entreprendre intérieurement une révolution mentale qui leur permette d’abandonner réciproquement la conception homogénéisante et discriminatoire du corps social qui est contenue autant dans le centralisme jacobin négateur des particularismes que dans le communautarisme identitaire antimoderniste qui hiérarchise la société et refuse l’intégration des étrangers. Ce dont il s’agit est de résilier le modèle holiste unanimiste et globalisant du corps politique pour pouvoir construire une société de la conflictualité, de la contradiction et de la divergence. Ce modèle de société holiste, qui structure encore la vision du monde des protagonistes maliens, est la source du conflit qui les oppose. Mais il est aussi la racine profonde des guerres civiles qui déchirent les Etats multiethniques africains en général. Par cette révolution psychologique, qui permettrait aux protagonistes du conflit malien de se retrouver dans le même espace mental de la modernité politique et de ses valeurs, leurs positions antinomiques pourraient alors se rejoindre dans le nœud d’un accord. La démocratie du consensus, qui homogénéise le corps politique en évacuant les dissidences et les contradictions conduisant ainsi au séparatisme, pourrait être alors abandonnée au profit d’un accord sur une démocratie du conflit qui unifie le corps politique par l’intégration des différences. La démocratie de l’unanimité, qui contraint la minorité à se ranger aux opinions de la majorité en renonçant aux siennes, et qui finit par nier les intérêts des minorités au profit de ceux d’une oligarchie dominante, pourrait être jetée aux orties au profit d’un accord des parties sur une démocratie de la libre expression des divergences et de la représentation politique des intérêts de la pluralité sociale.

Les divergences pourraient donc converger si les élections qui doivent établir un nouvel Etat malien pouvaient ne pas apparaître comme des élections artificielles soumises à des pressions externes où la déclaration de la volonté générale légitimerait un Etat centralisateur qui se déchargera de ses responsabilités envers les peuples et leurs besoins quotidien après les élections. L’accord qui doit réconcilier les protagonistes ne doit donc pas être recherché dans leur consentement à vivre sous un régime politique dans lequel l’unité se paie au prix de l’uniformisation, de la négation des différences et des particularismes, de la renonciation aux dissidences et aux conflits d’opinions. Il doit être plutôt recherché dans l’autorisation des particularismes et des divergences, dans l’affirmation des identités et dans la formulation des opinions dissidentes. La formule réconciliatrice est la formule qui définit la conflictualité des opinions et des intérêts comme base du nouveau contrat social. La formule de la réconciliation est celle qui définit clairement les cadres institutionnels à travers lesquels les intérêts des acteurs sociaux seront politiquement représentés et leurs divergences et conflits résolus dans le compromis sous le principe de l’égalité républicaine.

Ce nouveau modèle républicain, où l’universalisme s’allie aux particularismes, cette démocratie du respect des particularités, où la citoyenneté se conjugue avec la mémoire et où l’unité sociale vit de l’affrontement des opinions et des intérêts, est le modèle démocratique du nouveau monde ouvert qui se dessine au XXIème siècle. Et c’est la médiation qui pourrait permettre au Mali, comme aux Etats africains en crise, de surmonter leur scission interne.

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