Ces prophétesses d’Afrique…


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Dona Béatrice, Alice Lakwena, Alice Lenshina… Dans son dernier livre, Sectes et prophètes d’Afrique noire paru au éditions du Seuil en janvier, Claude Wauthier évoque ces grandes prophétesses africaines. Avec l’écrivain congolais Bolya, l’auteur français revient sur ces féministes avant l’heure.

Par Bolya

Dans son dernier livre Sectes et prophètes d’Afrique noire (Seuil, 2007), Claude Wauthier, l’auteur de L’Afrique aux Africains» (Seuil, 1977), Les Clinquantes Afriques (Seuil, 1979) et Quatre présidents et l’Afrique : De Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand (Seuil, 1995), présente des figures de femmes africaines ayant joué un rôle considérable dans la conception des mouvements religieux africains avant, pendant et après la décolonisation du continent. L’auteur met ainsi en exergue un féminisme qui, à bien des égards, est en avance sur son temps tout en rappelant que le fait religieux est un fait politique. Bolya est un écrivain congolais. Il est l’auteur de La profanation des vagins (Le Serpent à plumes, 2005).

Bolya : Partons de la première femme prophétesse, Dona Béatrice, que vous comparez à Jeanne d’Arc, brûlée sur le bûcher en 1706 par les missionnaires capucins du roi (catholique) du royaume du Congo…

Claude Wauthier : En effet, le messianisme de Dona Béatrice est déjà à la fois religieux et politique. Elle veut remédier aux malheurs du royaume. Elle s’oppose au roi et aux Capucins d’origine portugaise. Elle fonde une religion pour les Africains. Elle sera brûlée vive le 2 juillet 1706. Elle n’avait que 22 ans ! Du reste, l’écrivain ivoirien Bernard Dadié lui a consacré une pièce de théâtre, « Béatrice du Congo » (Présence africaine, 1970). Elle est une colonialiste avant la lettre.

Bolya : « La pucelle » d’Afrique, pour reprendre le mot du sociologue et africaniste Georges Balandier, précède Simon Kimbangu du Congo Brazzaville et André Matsoua du Congo Kinshasa…

Claude Wauthier : En effet, Matsoua est « un prophète gaulliste » à sa façon. Ancien combattant, il admirait le général de Gaulle. Syndicaliste, il veut émanciper, politiquement, d’abord, et religieusement le Congo. Il sera du reste emprisonné sous le régime gaulliste. Quant à Simon Kimbangu, il se pose en prophète noir, contestant tout à la fois les églises protestantes et l’église catholique. Dans la lignée de femmes noires prophétesses, il y a d’autres figures majeures comme la Zambienne Alice Lenshina, qui s’oppose au président Kenneth Kaunda au lendemain de l’indépendance de ce pays en 1964.

Bolya : Toujours dans l’histoire immédiate, il y a le cas de l’Ougandaise Alice Lakwena, qui fonde le mouvement du Saint-esprit pour résister au pouvoir en place ?

Claude Wauthier : Les prophétesses jouent un rôle de contestation de l’ordre établi. Et cela de tout temps.

Bolya : Cela débouche parfois sur une dérive inquiétante comme avec l’Armée de résistance du seigneur (LRA) de Joseph Kony, qui se prévaut d’une parenté avec Alice Lakwena.

Claude Wauthier : C’est une allusion directe au recrutement massif d’enfants-soldats…

Bolya : En effet, sur 300 000 enfants-soldats dans le monde, il y a 120 000 mômes africains !

Claude Wauthier : Il y a les crimes sexuels de masse, les viols de guerres contre les femmes et les fillettes. L’enrôlement des fillettes comme cuisinières et objets sexuels. Les bouches cadenassées pour détruire toute prise parole. Toute liberté d’expression. Le mouvement prophétique d’Alice Lakwena, tel que dévoyé par l’illuminé Joseph Kony, est un mouvement épouvantable ! Il est vrai que les femmes africaines prophétesses ont souvent préféré se cantonner au spirituel.

Bolya : Revenons à la prophétesse sud-africaine Nongqawuse…

Claude Wauthier : Dès 1857, la jeune fille de la tribu Xhosa, celle de Nelson Mandela, entre en résistance contre l’occupation britannique. Toutefois, cette femme prophétesse exceptionnelle a été victime du patriarcat et du machisme. Comme toutes les autres femmes porteuses d’une vision, elles ont été exclues du politique. Certaines ont voulu sortir de cette condition.

Bolya : Des féministes ?

Claude Wauthier : On les a souvent accusées d’être des femmes stériles. Donna Béatrice avait un enfant qui a failli être brûlé vif avec elle. Alice Lakwena et Alice Lenshina ont eu plusieurs enfants. Certaines ont même eu plusieurs maris.

Bolya : Le retour du religieux est un fait universel qui s’apparente à une lame de fond …

Claude Wauthier : En effet, il y a chez les néo-conservateurs américains un puissant courant religieux. Il en est de même pour le rôle des femmes dans la politique avec Angela Merkel en Allemagne, Michèle Bachelet au Chili et Ellen Johnson Sirleaf au Liberia. Hillary Clinton, aux Etats-Unis, et Ségolène Royal en France. Mais il y a eu par le passé Indhira Ghandi en Inde et Benazir Ali Bhutto au Pakistan, un pays musulman…
D’aucuns parlent aujourd’hui en France du « Temps des femmes ».

Claude Wauthier, Sectes et prophètes d’Afrique noire, Editions du Seuil, janvier 2007, 288 pages

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